33ème semaine
Du 15 au
21 mars 1915
La triste
histoire du soldat Loche (3/4)
Alfred Loche, de
Bessèges, a été passé par les armes le 11 novembre 1914, pour abandon de poste
en présence de l’ennemi et dissipation d’effets. L’accusation principale, qui a
provoqué le verdict, est celle de désertion devant l’ennemi à Dieuze le 20 août
1914. Des débats du Conseil de Guerre, fort limités, il ressort en effet que le
soldat Loche a ce jour-là quitté les rangs en plein combat sans autorisation.
Le jugement de cette
condamnation à mort et d’exécution est affiché à partir du 17 novembre à la mairie
de Bessèges. La famille du soldat fusillé pour l'exemple était donc doublement
touchée par le deuil. En effet la honte d'avoir eu un frère, un père, un époux
condamné pour sa lâcheté était très difficile à supporter. Cela s'ajoutait
inéluctablement au poids du deuil. Le frère de Henry Floch indique lors de
l'inauguration du monument de Vingré en 1925 : « Nous avons vécu dans une atmosphère affreuse de suspicion illégitime et
de honte injustifiée ». Le fils de Pettelet, autre fusillé de Vingré,
a du être retiré de l'école, son éducation confiée à un précepteur. La veuve
Pettelet a reçu des insultes et des menaces, elle sort dans la rue avec un
pistolet pour se protéger.
Les martyrs de Vingré |
Mais les mentalités
évoluent, les combattants ont raconté leurs épreuves, l’opinion publique est mieux
disposée à faire la part des choses. Le 29 janvier 1921, la condamnation à mort
des soldats de Vingré est cassée. Les « martyrs de Vingré » sont des
soldats du 298e RI qui avaient été surpris par une attaque allemande le 23
novembre 1914. De nombreux soldats furent faits prisonniers, mais 24 d'entre
eux avaient réussi à rejoindre les lignes françaises. Lors de l’enquête
sommaire, les soldats indiquent avoir reculé sur ordre du sous-lieutenant
Paulaud, et s'être repliés dans une tranchée en deuxième ligne. Le sous-lieutenant
Paulaud niera avoir donné cet ordre de repli, et accablera les 24 soldats. Ces
soldats furent accusés de désertion et d'abandon de poste devant l'ennemi. Un
tirage au sort désigna six d'entre eux qui furent exécutés pour l'exemple le 4
décembre 1914, à la suite des directives données au Conseil de guerre par le
général Étienne de Villaret pour aider les combattants à retrouver le goût de
l'obéissance.
Est-ce la porte
ouverte vers une plus ample démarche de réhabilitation?
En fait les
procédures de réhabilitation se présentent comme longues et complexes. Elles
mettent en scène des acteurs divers relevant de mondes différents. Au cœur du
propos, un fusillé, condamné à mort par une action judiciaire. Autour de son
cas à nouveau étudié, gravitent le monde de la justice, des services
administratifs de l’État, des associations, de la presse et, bien sûr, des
familles. La Ligue des droits de l’homme joue un rôle prépondérant. Créée en
1898, dans le cadre de l’Affaire Dreyfus, la ligue voit dans la défense des
fusillés et de leur famille un combat « naturel », tant l’innocence
de ces hommes paraît souvent évidente. Elle entend lutter contre « les
crimes des Conseils de guerre ». Quand elle essuie un refus de réhabilitation,
la LDH transmet le dossier à l’opinion publique via des articles de presse, des
conférences-débats, pour faire pression sur les cours de justice concernées
dont la Cour de cassation. Des associations d’anciens combattants interviennent
également. Fait important, les anciens combattants sont les premiers vecteurs
de la mémoire des fusillés et ils agissent en faveur de leur réhabilitation.
Après une première
loi d'amnistie en 1919, une deuxième loi d'amnistie, votée le 29 avril 1921,
instaure un recours contre les condamnations prononcées par les Conseils de
guerre spéciaux, ouvert aux conjoints, ascendants et descendants jusqu'au
quatrième degré. Si la révision est jugée recevable, la Cour de cassation peut
accorder une réparation morale et pécuniaire.
C’est dans ce cadre
juridique qu’en avril la mère d’Alfred Loche commence une longue démarche pour
la réhabilitation de son fils.
Millerand, Président de la République |
« Bessèges le 18 avril 1921,
A M. le Président de la République Française à Paris,
Monsieur le Président,
Je soussigné Alauzier Anne Marie, veuve non remariée
de Loche Auguste, ménagère, demeurant à Bessèges, ai l’honneur de solliciter de
votre haute bienveillance la réhabilitation de mon fils le Loche Alfred,
fusillé à Montzéville dans le mois de novembre 1914 pour abandon de poste devant
l’ennemi, je crois.
Voici, M. le Président de la République, les raisons
que j’invoque pour obtenir cette réhabilitation : mon fils Alfred Loche
était ouvrier aux forges de Bessèges. Il appartenait à la classe 1909 et fut
mobilisé comme simple soldat au 58ème Régiment d’Infanterie. Il
était malade, ne jouissant pas de la plénitude de ses facultés mentales, ainsi
que le démontre le certificat de M. le docteur Bouchet à Bessèges, qui lui a
donné des soins. J’annexe ce certificat médical à la présente requête et
l’appréciation du docteur Bouchet ne laisse aucun doute sur l’irresponsabilité
de mon malheureux enfant. Ce certificat constitue le meilleur plaidoyer en sa
faveur. Il est corroborée par la déclaration du patron de mon fils, M. le directeur
de la compagnie des forges de Bessèges, que je joins également à la présente et
qui démontre encore que Loche Alfred ne jouissait pas de la plénitude de ses
facultés mentales. Donc l’irresponsabilité de mon fils établie par des
documents authentiques, je n’aurais rien à ajouter pour obtenir votre clémence,
mais je tiens, M. le président de la république, à vous exposer ma triste
situation, rendue encore plus malheureuse par la tragique fin de mon enfant.
Dans cette terrible guerre, surtout dès le début, il fallait une âme forte et
un caractère solide pour supporter les cruelles épreuves des combats ; des
caractères faibles comme celui de mon fils, qui ne jouissait pas de la
plénitude de ses facultés, ne pouvait évidemment résister et c’est sans en
mesurer les conséquences et sans se rendre compte de la gravité de son acte,
que mon malheureux enfant a commis cette faute, dont il a été cruellement
punis, bien qu’irresponsable.
Mes malheurs, M. le président de la république, sont
très grands. Ceux qui connaissaient mon enfant ont excusé son acte dû à son
irresponsabilité. Moi-même j’ai bénéficié de leur pitié, et si le châtiment a
été cruel, il faut malheureusement se reporter à l’époque tragique où les faits
se sont passés. Je suis actuellement âgée de 58 ans, j’ai été veuve jeunes et
j’ai eu neuf enfants. Sur ces neuf enfants cinq sont morts jeunes de la
tuberculose, le sixième a été fusillé, il ne me reste que trois enfants,
Adrien, âgé de 25 ans, ouvrier mineur ; Marcel, âgé de 23 ans, ouvrier,
un, Marthe, âgée de 21 ans. Tous sont d’une santé très délicate et malades. Je
dois ajouter que l’un de mes fils, Fernand, étant soldat au 44ème régiment
d’infanterie, fut réformé sans pension en juin 1913, atteint de tuberculose, il
est mort en mars 1914. Un autre de mes fils, Adrien, classe 1915, a été appelé
sous les drapeaux et a fait la campagne d’Orient. L’autre, Marcel, classe 1918,
fut fait prisonnier de guerre en Allemagne. Tous deux ont donc fait leur devoir
pendant la guerre. Ils sont revenus malades et ne touchent aucune pension.
Je vous ai dépeint, M. le président de la république,
ma misérable situation - aux heures tragiques a succédé une période de calme et
d’apaisement – et c’est actuellement qu’il convient d’apprécier les actes
commis. Si certains de ces actes sont répréhensibles lorsqu’ils ont été
exécutés par ceux qui jouissent de la plénitude de leurs facultés et qui, par
suite, sont responsable, il n’en est pas de même lorsqu’ils ont été accomplis
par un irresponsable, comme mon pauvre enfant, ne jouissant pas de ses facultés
mentales, comme je l’ai établi par les certificats ci annexés.
C’est donc à votre Pitié que je m’adresse, M. le président
de la république, en vous priant très respectueusement de prendre en
considération mon humble requête. Par la réhabilitation de mon enfant, vous
atténuerez la douleur et la misère d’une misérables mère, veuve, malade, ayant
vu disparaître six enfants : cinq d’une maladie implacable et un d’une
façon tragique. Les autres me restent malades.
Avec mon dévouement et ma très profonde reconnaissance,
je suis avec respect, M. le Président de la République, votre très humble
servante. Veuve Loche.
Vu pour légalisation et certification de
l’authenticité de la présente requête que le Maire recommande à la bienveillante
attention de M. le Président de la République ».
Presque
simultanément une autre lettre est postée :
« Grenoble, le 26 avril 1921.
M. Le garde des sceaux,
J’ai l’honneur de vous exposer les faits
suivants : au mois de novembre 1914 le Conseil de guerre de la 30e
division d’infanterie, siégeant à Montzéville (Meuse), sous la présidence du
lieutenant-colonel Léochard, le capitaine Guilhaumon étant rapporteur, jugea et
condamna à mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi, un soldat du 58
RI, nommé, sauf erreur, Domergue. J’assistai personnellement aux débats,
derrière l’accusé. Je ne pus voir sa physionomie ; mais, d’après les
réponses qu’il fit, il devait être hébété. Le réquisitoire lui
reprochait : 1° - d’avoir disparu du front le 21 août 1914, deuxième jour
de la bataille de Dieuze, et de n’avoir été retrouvé que dans un hôpital de
l’arrière, à Lourdes je crois. 2° - lors de son retour au front, de s’être
écarté de la colonne qui l’amenait de la gare de débarquement au lieu de
stationnements de son régiment, et d’avoir été trouvé errant dans la région de
l’Argonne par les gendarmes. L’accusé ne se défendit presque pas. Son
défenseur, sur le premier chef, soutint que la disparition de Domergue après la
bataille de Dieuze pouvait avoir été régulière, il ne put le prouver. La
sentence des juges fut exécutée le lendemain matin, à Montzéville. Quelques
jours plus tard, les fonctions d’officier interprète à l’Etat-major me laissant
des loisirs, le commandant demanda de me donner de l’occupation au bureau des
effectifs. Pour faire mon initiation je pris en main le dossier des pièces
arrivées dans les dernières semaines. Je trouvai alors, là, une lettre du chef
de bataillon commandant le 58e RI, adressée au général commandant la
division, en réponse à une demande de sa part, et dont la teneur était la
suivante : « le soldat Domergue du 58e RI a été
régulièrement évacué le 21 août 1914 ». Je ne dis pas l’impression
profonde que me fit cette lecture. Mais il n’y avait pas revenir sur un arrêt
qui, hélas, avait reçu sa sanction. Je ne fis part à personne, sauf plus tard
dans une conversation particulière, à un camarade de l’Etat-major, de ma
découverte.
Les raisons qui m’ont dicté mon silence n’existant
plus à l’heure actuelle, je vous livre, M. le ministre, le secret qui a pesé
trop longtemps sur ma conscience. Et je vous prie de bien vouloir donner à
cette lettre, dont j’attends un accusé de réception, les suites qu’elle
comporte. Il est possible - car je n’ai gardé sur le fait aucun document écrit
– qu’il s’y soit glissé quelques erreurs de détail, mais elle contient des
précisions suffisantes pour que l’importance de la chose apparaisse au premier
coup d’œil, et pour que l’enquête aboutisse rapidement. J’ajoute pour terminer
que je n’ai jamais eu de relations avec la famille du condamné et que je prends
pour moi seul, par devoir de conscience, la responsabilité d’une démarche
qu’elle ignore. Antonin Duraffour, chargé de cours de philologie provençale à
l’Université de Grenoble ».
On a du mal à croire
à la simple coïncidence de ces deux courriers, écrits à huit jours d’intervalle
sept ans après les faits, et à l’assertion d’Antonin Duraffour selon laquelle
il ne serait pas en relation avec la famille Loche. Mais s’il l’était, pourquoi
se serait-il trompé de nom dans sa lettre, écrivant Domergue pour ce qui
concerne de toute évidence Loche ? Il faut donc admettre l’effet de l’air
du temps, et de l’influence de l’opinion publique quant à la mise en œuvre de
ce deuxième courrier.
Toujours est-il que
les choses vont alors assez vite. Le 13 juin 1921, une dépêche du Garde des
sceaux prescrit de saisir la chambre des mises en accusation, « vu la lettre de la dame veuve Loche
demandant la révision de la sentence qui a frappé son fils ». Aucune
allusion au courrier d’Antoine Duraffour, dont l’erreur quant au nom de la
victime a sans doute empêché les services du ministère de faire le
rapprochement. Le 22 juin un arrêt de la chambre des mises en accusation ordonne
un supplément d’information. Le 27 octobre un nouvel arrêt de la même chambre
ordonne un nouveau supplément d’information.
La gendarmerie fait
alors diligence pour interroger les témoins. Celle de Bessèges procède le 2
juillet aux auditions de l’ingénieur Cyprien Chas, et du cordonnier André
Aubenque, le 3 juillet à celles du mineur Auguste Bertrand et du contremaitre
Joseph Meyssonnier, les 4 et 5 juillet à celles du gendarme Marcel Pradon, et
du docteur Maurice Richard. Celle de Tunis interroge le 5 septembre Albert
Gueydan, ex-défenseur de Loche devant le Conseil de guerre.
En 1922 les
auditions continuent -
– 28 avril 1922 -
audition à Béziers du commandant Guilhaumon, ex rapporteur au Conseil de guerre
qui a condamné Loche,
– 2 mai 1922 -
audition du docteur Rogier à Orléans,
– 14 juin
1922 - audition d’un gendarme à Lanslebourg (Savoie)
– 14 novembre 1922 -
audition d’un gendarme à Uzès,
– 1 décembre 1922 -
audition d’un voisin de Bessèges à Safi (Maroc).
(NB : On aura pu lire l’essentiel de ces dépositions dans l’un de nos billets
précédents consacrés à ce sujet, semaines 31 et 32).
Mais sans attendre
le retour de toutes ces informations, le
procureur général a requis le 3 juillet 1922 :
« Vu la demande en révision du 18 octobre 1921
par la veuve Loche, basée non sur l’incertitude de l’infraction dont la
matérialité est indiscutable, mais sur l’état mental du condamné
- attendu que l’information a été des plus sommaires,
que le soldat Loche étant illettré, de caractère sournois, a pu par le
laconisme de ses réponses ne pas éveiller l’attention du magistrat militaire
sur sa faiblesse mentale,
- Attendu au surplus que rien dans l’enquête
préliminaire n’indique que les juges qui ont prononcé la condamnation aient été
mis au courant des tares psychologiques de Loche,
- Attendu que, si ce passé mis en évidence par
l’enquête complémentaire, eut été connu des membres du Conseil de guerre, le
prévenu aurait très vraisemblablement pu bénéficier soit d’un verdict
d’absolution soit d’une très grande bienveillance,
- Attendu dès
lors que des documents recueillis il résulte la preuve que les facultés
mentales de Loche étaient diminuées au moment de l’action, que son état morbide
préexistant à la décision du 10 novembre 1914, postérieurement révélée,
constitue le fait nouveau susceptible de justifier le recours en révision,
- requiert qu’il plaise à la Cour, accueillir la demande de la veuve Loche
et dire que les pièces du dossier seront transmis à la chambre criminelle de la
Cour de cassation pour être définitivement statué sur le fond ».
Le 20 juillet 1922, la Cour dit qu’il y a lieu à révision. Mais ce faisant elle se
contente de faire la liste des actes précédents et n’apporte aucune précision
sur ses raisons pour ouvrir cette voie de recours.
Le 19 juillet 1923,
la Cour de cassation estimant que la demande de révision formulée le 20 juillet
1922 par la Cour d’Appel d’Aix a été présentée sans aucun motif à l’appui de sa
décision, déclare la demande non
recevable.
André Maginot |
Sur ce un nouvel
élément juridique apparaît : un nouveau corps de magistrats militaires est
créé, juristes de formation, relevant directement du ministère, sans être
soumis à l’état-major. Par le même texte est définie la position « en présence de l’ennemi » qui a conduit
tant d’hommes au peloton d’exécution. André Maginot, ministre de la Guerre,
ancien combattant lui-même, grièvement blessé à Verdun, s’était engagé à
produire cette réforme. C’est sans doute ce qui permet au ministère de faire reprendre
le dossier…
10 novembre 1923 :
« Vu la dépêche de M. le garde des sceaux du
17 septembre 1923,
Vu les pièces du procès dont il était donné lecture
par le greffier
Attendu que la demande est régulière et introduite
conformément à la loi,
Attendu qu’il ressort de l’ensemble des dépositions
recueillies que Loche ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés
mentales,
La Cour ordonne
le renvoi de la demande de la procédure à la chambre criminelle de la Cour de
cassation ».
On note toutefois
que c’est toujours sur la base de son état mental que l’exécution d’Alfred
Loche est contestée, nul ne faisant allusion aux révélations d’Antoine Duraffour.
L’abandon de poste en présence de l’ennemi reste avéré.
Le 27 mars 1924 la
Cour de cassation fait connaître son verdict :
« - attendu que le fait d’abandon de poste
n’est pas contesté, mais qu’il est allégué dans la requête et dans
l’instruction que le condamné n’était pas responsable de ses actes,
- Or, attendu que, contrairement à ses prétentions, il
n’est nullement établi qu’au moment du fait pour lequel il était condamné,
Loche n’eût pas conscience de ses actes et se trouvât dans l’état de démence
prévu par l’article 64 du code pénal,
- Qu’en effet,
si Loche a pu être considéré comme faible d’esprit ou déséquilibré dans certaines
circonstances antérieures, rien dans sa conduite au mois d’août 1914 ne dénote
un trouble mental qui serait de nature à faire disparaître sa responsabilité,
Que dans ces conditions, il n’y a pas lieu à décision
nouvelle,
Par ces motifs,
Rejette la demande ».
En mai 1924 la
victoire politique du cartel des gauches (radicaux et radicaux-socialistes) aux
élections législatives relance le débat au niveau national. La réhabilitation
est perçue comme un moyen « d’en finir avec la guerre ». Le débat houleux va
jusqu’à préconiser la création d’une Cour spéciale pour éviter le passage par
la Cour de cassation. Le 9 aout 1924, la réhabilitation possible des soldats
exécutés sans jugement est votée.
Le 3 janvier 1925,
une nouvelle loi d'amnistie instaure une procédure exceptionnelle devant la
Cour de cassation, alors que le code de justice militaire est révisé en 1928.
Le 11 juillet 1925, il est enfin procédé à
une audition d’Antoine Duraffour,
professeur à l’Université. Voici sa déposition :
« Je confirme les termes de la lettre que j’ai
adressée, le 26 avril 1921, à M. le garde des sceaux, sauf en ce qui concerne
le nom du soldat du 58ème régiment d’infanterie faisant l’objet de ma lettre et
qui se nommait Loche, et non Domergue, ainsi que je m’en suis rendu compte plus
tard, en lisant dans les journaux des renseignements sur une procédure de
réhabilitation concernant le soldat Loche. Je précise que c’est dans le Petit Dauphinois
du 28 mars 1924, que j’ai retrouvé ce nom pour la première fois, et j’ai, à ce
moment, écrit à M. le président de la chambre criminelle de la Cour de
cassation, pour lui signaler ma lettre du 26 avril 1921 ainsi qu’une autre
lettre du 19 mai 1922, cette dernière adressé à M. le procureur général de la
Cour de Grenoble et conçue à peu près dans les termes de ma lettre au garde des
sceaux, mais contenant des précisions de manière à faire aboutir l’enquête. J’y
expliquais que le nom de Loche était bien le nom du militaire faisant l’objet
de ma précédente lettre, le nom de Domergue s’étant substitué, dans ma mémoire,
à celui de Loche. Je précise en outre que, dans la période de temps que j’ai
envisagée, il n’a été prononcé par le Conseil de guerre de la 30e
division, qu’une seule condamnation à mort. Ce soldat du 58 était je crois
mineur de profession, de stature élevée, carré d’épaule, il paraissait hébété ;
et maintenant le nom de Loche a repris dans ma mémoire la place du nom de
Domergue que je lui avais attribué, d’ailleurs avec des réserves. En résumé
j’affirme que le soldat Loche était accusé d’avoir disparu du front le deuxième
jour de la bataille de Dieuze, il avait été retrouvé dans un hôpital de
l’arrière à Lourdes, je crois, ce fait est celui qui a entraîné la condamnation
capitale, ayant été qualifié d’abandon de poste en présence de l’ennemi. Le
capitaine rapporteur a expliqué, dans son réquisitoire, que des recherches
faites par lui pour établir dans quelles conditions Loche avait été retrouvé
dans un hôpital de l’arrière étaient demeurées sans résultats, il en concluait
à l’abandon de poste. Lorsque quelques jours après, j’ai eu l’occasion
d’examiner le dossier du personnel, j’ai trouvé une lettre du chef de corps
adressée au général commandant la division, en réponse à une demande de
renseignements, et ainsi conçue : « le soldat Loche a été
régulièrement évacué le 20 août 1914 ». Cette pièce, qui eût dû parvenir
au rapporteur du Conseil de guerre, était restée classée aux archives du
personnel. J’affirme que le soldat qui faisait l’objet de cette lettre est bien
celui qui a été condamné à mort et exécuté au village de Montzéville, quelques
jours auparavant ».
Mais cette
déposition, une fois de plus, reste lettre morte, et le 6 mai 1926 la Cour de
cassation, toutes chambres réunies, promulgue la décision suivante :
« Vu le recours formé le 17 septembre 1923 par
le ministre de la justice,
Vu l'arrêt de la chambre des mises en accusation de la
Cour d'appel d'Aix, en date du 10 novembre 1923, déclarant, au vu de
l'information à laquelle elle a procédé, qu’il y avait lieu à décision nouvelle
et renvoyant le dossier devant la chambre criminelle de la Cour de cassation,
Vu l'arrêt de la chambre criminelle du 27 mars 1924,
rejetant le recours,
Vu la lettre du 13 mars 1925, par laquelle le ministre
de la justice informe le procureur général près la Cour de cassation, qu’après
avis du ministre de la guerre, il estime qu’il y a lieu de déférer l’affaire à
la Cour de cassation, toutes chambres réunies, pour un nouvel examen,
Vu la requête du 30 mars 1925, par laquelle le
procureur général a saisi la Cour de cassation,
Vu l’arrêt du 27 juillet 1925 ordonnant un supplément
d’information,
Vu le réquisitoire de M. le procureur général, en date
du 23 février 1926, déclarant y avoir lieu à décision nouvelle,
Attendu en conséquence, que la culpabilité et la
responsabilité de Loche étant pleinement démontrée,
Il n’y a pas
lieu de réformer la décision du Conseil de guerre en date du
10 novembre 1914 par lequel le nommé Loche Alfred a été condamné à la peine de
mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi ».
Onze ans déjà depuis
l’exécution d’Alfred Loche, et tant de démarches sans résultat…
A
suivre…