LE DUR CHEMIN DES BLESSÉS

43ème semaine

Du lundi 24 au dimanche 30 mai 1915

L’imprenable

crête de Vimy

Fernand Durand, 6ème régiment d’artillerie de campagne,
Mort le 25 mai des suites de ses blessures à Villers-Châtel


Fernand Durand est né à Bagard en 1893, il est donc déjà sous les drapeaux dans le cadre de son service militaire lorsqu’éclate la guerre en août 1914. Affecté à l’artillerie il intègre le 6ème régiment d’artillerie de campagne basé à Valence. Les batteries de ce régiment accompagnent d’abord les troupes qui tentent de reconquérir la Lorraine et l’Alsace, puis doivent se contenter d’une guerre de position du côté d’Arras et de Cambrai.


En décembre, la Division remonte vers le Nord. L’Artillerie occupe des positions autour du Mont-Saint-Eloi. Jusqu’au 22 Avril c’est la rude et déprimante vie de tranchée dans les boues de l’Artois.
Le 22 avril subitement l’existence change, il y a quelque chose de nouveau qui vient rompre le cours de cette léthargie, l’Artillerie se déplace et prend des positions d’attaque. Les réglages sont poussés activement, tandis qu’à l’arrière on sent l’activité des grands jours ; on est à la veille d’une grande offensive.

En effet le 33° Corps formé depuis l’hiver sous le commandement du Général Pétain a reçu pour mission de s’emparer de plusieurs positions dominantes, dont la crête de Vimy. Cette butte est sans doute l’un des points stratégiques d’importance capitale pour l’Allemagne : non seulement elle permet de voir, de son sommet, tout ce qui se passe dans les tranchées adverses, mais elle protège également les mines de charbon de Lens servant grandement à l’économie de guerre allemande. Prise au tout début de la guerre, en octobre 1914, la crête sera pendant toute la guerre l’objet de nombreux assauts par les Français et par les Britanniques, le tout portant les pertes de l’Entente pour cette seule position à plus de 150 000 hommes.

Le général Barbot (avec le béret) et le général Pétain préparant l'offensive de Vimy
Pour l’instant, en mai 1915, c’est la première tentative majeure de prendre cette position dominante. Les préparatifs de l’offensive française sur la crête de Vimy et l’éperon de Notre-Dame-de-Lorette commencent le 3 mai, avec le déclenchement du bombardement méthodique des lignes allemandes. Il se prolonge pendant six jours et six nuits.

Le 9 mai, de 6 heures à 10 heures la préparation d’artillerie est intense (250 coups par pièce), les réseaux allemands sont détruits, les tranchées et boyaux intenables. A 10 heures la Division s’élance ayant à sa gauche la 70° et à sa droite la Division Marocaine. Elle bouscule l’ennemi et s’avance sur une profondeur de plus de 4 kilomètres précédée du tir de nos 75. A 14 heures la crête de Vimy est prise, des éléments sont dans Givenchy. 41 officiers, 2000 prisonniers, un Groupe d’Artillerie de personnel et matériel ont été pris. Dans l’après-midi les 3 Groupes se portent en avant et s’échelonnent en profondeur à partir du point G, dénomination du plan directeur tristement célèbre pour les anciens artilleurs du 6°, car les renforts n’arrivent pas, la Division est en pointe et violemment contre-attaquée sur trois faces, elle est obligée d’abandonner  les crêtes si difficilement conquises. L’artillerie allemande reprend possession des batteries qu’elle avait abandonnées et que l’on n’avait pas eu le temps de détruire. Un ouragan de fer et de feu s’abat sur l’Infanterie et l’Artillerie sans abri.

Les combats se prolongent pendant une semaine, avec des affrontements sauvages sur les hauteurs de Notre-Dame-de-Lorette. Au final, le résultat de l’offensive française est limité : les villages de Carency et d’Ablain-Saint-Nazaire ont été pris, mais la crête de Vimy, et donc le contrôle de la plaine minière, restent dans les mains allemandes. A la suite de ces opérations le 33° C.A. est cité à l’ordre du Groupe des Armées de l’Est.

Fait exceptionnel : deux généraux sont successivement tués au feu sur ce théâtre d’opérations. Le 10 mai le Général BARBOT est tué au milieu des batteries, le Général STIRN qui lui succède succombe à son tour le 12.

Pour retracer de tels jours l’on peut s’appuyer sur le carnet de Claude Parron, soldat au 26 RI, qui a participé à ce combat avant d’y être blessé :
« Le 28 avril on partait cantonné a Mareuil a environ 4 kilomètres d’Arras, alors depuis le 28 avril jusqu’au 9 mai jours de la grande attaque on allait travailler a faire des boyeaux un peu de partout quelquefois entre les 1ère lignes Boches et les notres, quoique a partir du 1er mai le 1er bataillon de mon régiment était en ligne. Puis le 7 mai et 8 on sentait qu’une attaque approchait et en effet nos officiers nous en parlait en nous disant de bien marcher qu’ils comptait sur nous et que tout marcherait surement bien car ils nous avertissaient qu’ils y avait une préparation d’artillerie formidable telles qu’on en avait jamais vu de si terrible qu’on comptait envoyer onze cent coups a la minute et par ce moyen bouleverser complètement les tranchées Boches et abrutir ceux qui se trouveraient dedans. Enfin nos officiers et nous mêmes nous avions une grande confiance dans la réussite surtout d’après ce qu’on venait de nous dire car on nous disait même qu’on pouvait prendre les tranchées sans perdre beaucoup de monde et alors depuis le 7 on se tenait prêt pour l’attaque nuit et jour avec une bonne confiance qui ne fut malheureusement pas récompensée. On allait attaquer, on partit donc de Maroeuil le 9 vers 1 heure du matin on passa dans les boyeaux et on arrivera vers 4 heures dans nos seconde ligne, puis arrivez là on nous expliqua que notre role était de partir dans l’attaque sur la direction de Thélus qui était aux Boches a environ 2 kilomètre en arrière de leur 1er ligne, puis on devait prendre Thélus, mais il fallait pour cela enfoncer la 1er ligne Boches la seconde puis la 3ème et surtout traverser le fameux Labyrinte de boyeaux dont les Boches en avait fait un vrai endroit fortifié. Pour l’attaque nous le 3ème bataillon comme c’était notre tour nous formions la 3ème ligne d’attaque et toutes ces lignes devait se suivre a une distance d’environ cinquante mètre et pour partir pendant que la 1er ligne se déployait en tirailleur au bout du boyeaux que nous avions creusés entre les tranchées boches et nous la deuxième devait immédiatement se trouver dans ces boyeaux et la 3ème, c’est a dire mon bataillon devait se trouver en 1er ligne et tous prêts a partir c’est a dire en 1er ligne de tranchées et c’est dans cette formation qu’on se trouva en effet au moment de l’attaque malheureusement que sa ne réussit pas. Enfin depuis quatre heures jusqu'à 6 heures du matin on se fit tant bien que mal des abrits contre le bombardement qu’on devait redouter. C’est alors que vers 6 heures notre artillerie commenca son bombardement sur toutes les positions d’infanterie et d’artillerie Allemande. Il fut en effet comme on nous l’avait dit d’une grande intensitée. Et il dura jusque vers 10 heures environ c’est a dire l’heure fixé pour l’attaque c’est alors a ce moment qu’on se trouva tous dans la formation qu’on devait être c’est a dire prêts a foncer. Puis a ce moment l’artillerie ralentit son tir et tira plus en arrière et on donna de partout le signal d’attaque alors d’un seul coup toutes les troupes qui se trouvait sur notre gauche partirent en tirailleurs ainsi que nous, mais d'après ce que j’entendis dire là-bas par les hommes et mêmes les sous-officiers le 17ème corps qui se trouvait sur notre droite ne voulut pas sortir des tranchées c’est a dire ne voulut pas attaquer et c’est même d’après les dire de beaucoup pour ce motif que l’attaque échoua en grande partie. Seulement on tint toujours caché le plus qu’on put ces faits, car on dit même qu’on en fusilla pas mal du 17ème pour les punirs mais jamais ceux qui était en arrière ne l'apprirent car sa aurait produit un mauvais effet sur la population.

Le village de Neuville en mai 1915
Quand a mon régiment tout était prêt et au signal toute la 1er ligne partit elle avait une espace d’environ cent cinquante mètres a franchir. Mais malgré une bonne préparation d’artillerie la 1er ligne Boches n’avait pas de mal et elle se trouvait au contraire criblée de mitrailleuses en face. Où mon régiment attaquait et on en comptait au moins une trentaine sur une largeur de douze cent mètres, c’est a dire juste la largeur où mon régiment attaquait car c’était un des endroits que les Boches avait le plus fortifié parce qu’il formait pour eux un point de grande importance et avec cela le terrain allant légèrement en pente de leur côté ce prétait pour ce motif admirablement bien pour eux au tir de leurs mitrailleuses. C’est donc justement ce qui arriva notre 1er ligne partit mais a mesure qu’elle avancait les hommes tombait étant fauchés par la mitraille puis on envoyait pendant un moment du renfort de la seconde ligne mais les hommes tombaient toujours et des sections entières étaient fauchées, cependant quelques uns arrivèrent jusqu'à une trentaine de mètres mais ils ne purent aller plus loin car ils seraient tombés avant d'arriver. C’est alors qu’après une heure environ d’un travail si terrible et voyant qu’autant on en enverrait autant ils en tomberaient les Chefs donnèrent l’ordre d’arrêter l’attaque sur ce point mais ceux qui était en bonne santée ou blessé et qui se trouvaient entre les deux lignes furent obligés d’y rester et beaucoup de ceux-la trouvèrent la mort comme cela car aussitôt qu’ils faisaient un mouvement les Boches tiraient dessus et les achevaient ou les tuaient. C’est ainsi qu’en une heure de temps environ ils firent de terribles ravages dans nos rangs du 1er et 2ème bataillon on comptait prêt de huit cents morts Et plus de quatre cents bléssés en si peu de temps, puis ceux qui purent revinrent le jours mais une bonne partie furent obligés de rester couchés jusqu’à la grande nuit a 30 ou 40 mètres de la ligne Boches et ce n’est que le soir que les rares survivants purent revenir dans nos lignes a la faveur de la nuit quand aux blessés ceux qui pouvaient revenir revenaient mais les autres restaient car ils était impossible d’aller les chercher et c'est ainsi qu’ils durent attendre pour seule délivrance qu’ils pouvaient espérer c’est a dire la mort et pour moi j’en ai vu chose qui m’aurait déchiré le cœur en tout autre circonstance qui remuaient encore le lendemain de l’attaque dans la soirée. Et c’est justement ce qui ma le plus frappé ainsi que les cris des mourants qu’on entendait a tout instant et qu’on était impuissants a secourir ».

Le 21 mai au soir Claude Parron est lui-même blessé « juste au moment où on allait y aller à la baïonnette ». Son récit se poursuit alors comme un extraordinaire exemple de lutte individuelle pour la survie de la part d’un simple soldat renvoyé de poste de secours en ambulances diverses, puis de celles-ci vers des services médicaux plus structurés.

« Alors je laissa mon sac sur place et je me traina un peu en arrière ou je trouvait un trou d’obus alors là je quittait tout mon fourmiment pour essayer de me sauver comme je pouvait car les balles sifflaient sans discontinuer et durent comme grêle puis avec cela je perdais assez de sang et je craignais qu’après cinq mois de fatigue et tout cela les forces viennent a me manquer. Mais enfin grâce a Dieu tout alla encore pour le mieux et je réussis enfin a atteindre le boyeau d’ou on était partit. Alors la je me trouvais a l’abri au moins des balles puis je le suivis jusqu'à notre tranchée de la 1ère ligne ou je fit encore une centaine de mètres pour trouver un camarade qui avec mon paquet de pansement me donna les premiers soin c’est a dire banda ma blessure ou le sang coulait afin de l’arrêter un peu. Il était temps car en plusieur fois pendant qu’ils me pensait mes forces faillirent me manquer mais je rassemblait tout mon courage et aussitôt mon pansement fait au lieu d’attendre la que les brancardiers viennent me chercher je partit résolument a Mareuil endroit situé a environ 4 kilomètres au moins et ou se trouvait l’infirmerie. Je partit donc dans les boyeaux ou je trouvait des hommes du génie qui s’en allèrent assez loin sauf un qui voulut me donner a manger et a boire. J’acceptai un œuf avec du pain et deux canon de bière. Puis je repartit tout seul a travers champ car le petit jour commencai a venir et je trouva d’ailleurs assez bien mon chemin grace au artilleurs qui se trouvait partout en arrière et a qui je demandait puis finalement j’arrivai a Mareuil a 4 heures du matin environ. Alors là je trouvais l’infirmerie ou les majors me firent asseoir puis me donnèrent a boire car encore une fois malgré moi les forces semblaient encore vouloir me trahirent mais je tins bon et vers cinq heures deux majors regardèrent ma blessure d’ou le sang sortait toujours. Ils la trouvèrent assez grave puis ils me dirent que j’avais en effet eu une forte hémorragie de sang mais que ce n’était pas très sur que l’os fut touché alors ils lavèrent un peu la plaie et me refirent mon pansement car le mien était baigné de sang puis me firent coucher sur un brancard pour m’envoyer immédiatement pour être visiter encore une fois a Aubigny petite ville un peu plus a l’arrière car tous ceux dont l’étât parraissait un peu grave était revisiter a Aubigny avant d’embarquer pour partir. J’attendis donc demie heure environ puis on m’embarqua dans une auto avec cinq autres camarades des plus blessés couchés sur des brancards les uns accrochés au-dessus des autres Puis on partit pour Aubigny qui se trouvait a 15 kilomètres environ et ou on n’arriva vers 6 heures. Alors la on nous emporta a l’ambulance ou j’attendis jusqu'à 7 heures environ puis un major vint me défit mon pansement qui était trempé de sang et examina ma blessure qu’il jugea pas trop grave car il me dit que l’os ne devait pas être touché mais que j’étais faible et qu’il faudrait un peu manger. Puis il m’aida a quitter ma flanelle ma chemise et mon tricot parce que tout était trempé de sang puis il me nettoya ma blessure et me refit mon pansement puis me donna une autre chemise qu’on m'aida a prendre et c’est tout ce que je gardais sur moi avec ma capote car sa ne faisait d’ailleurs pas froid. Puis vers 10 heures j’alla manger et boire et ensuite je me reposa jusqu'à 4 heures environ ou on vint me réveiller parce qu’on allait nous embarquer on nous remmena donc en auto jusqu'à la gare ou on nous embarqua dans le train sanitaire qui était en train de se former jusqu'à ce qu’il y eut assez de blessés pour compléter le train. 

Puis vers 7 h 30 du soir comme le train était complet on partit dans la direction de Paris et on pensait qu’on nous menait a Bordeaux mais on alla plus loin. Voici d’ailleurs les principales villes que j’ai passées : Amiens, Montdidier, Clermont, Creil, Beaumont (sur Oise), Ecouen, Le Bourget, Paris, Juvisy, Essonnes, Etampes, Angerville, Artenay, Orléans, Angers, Poitiers, Angoulème, Bordeaux et Pau ou je suis arrivé a 9 heures du matin environ le 25 mai 1915. Seulement j’ai oublié de marquer beaucoup de villes car en chemin je dormait car j’étais très fatigué ».

Fernand Durand, Anduzien de 22 ans, artilleur au 6 RAC, a dû suivre à peu près le même itinéraire. Blessé au cours du même combat, il se trouve le 25 mai à l’une des ambulances, la 5/38, dans la ville de Villers-Châtel, base arrière des troupes françaises, et c’est là qu’il meurt des suites de ses blessures. Il a sans doute aussitôt été inhumé dans le cimetière militaire provisoire.

A suivre...

Le cimetière militaire provisoire des ambulances de Villers-Châtel