42ème
semaine
Du lundi 17 mai au
dimanche 23 mai 1915
Les débuts de
l’aviation militaire
Au moment de la
déclaration de guerre, le 3 août 1914, l’aéronautique militaire française
dispose de 158 aéroplanes répartis en 24 escadrilles ainsi que de 5 dirigeables.
Les avions ne sont
pas armés pour ne pas détourner les aviateurs de leur rôle d’observateurs.
Certains à
l’état-major mettent en doute leurs capacités militaires.
Mais ils vont
prouver rapidement la valeur de leur nouvelle arme. C’est grâce aux
reconnaissances des aviateurs de l’escadrille du capitaine Bellenger que le
mouvement de l’armée von Klück est décelé. Les renseignements fournis au
général Galliéni vont permettre de remporter la victoire de la Marne. Les
aviateurs n’hésitent pas non plus à emporter des obus et à bombarder les
troupes ennemies.
Ils montent des
armements à bord de leurs appareils afin d’éliminer l’adversaire rencontré en
vol.
Au moyen du
fusil-mitrailleur que le constructeur Gabriel Voisin a installé sur un de ses
appareils, le sergent Frantz et le caporal Quénault remportent la première
victoire aérienne, le 5 octobre 1914. L’aviation militaire va bientôt se
structurer et se renforcer. Elle se spécialise dans la chasse, le bombardement
et l’observation. Les avions vont profiter de continuelles améliorations
techniques, malgré des erreurs et des retards.
A la fin de la
guerre, le SPAD XIII pour la chasse et le Breguet XIV, pour l’observation et le
bombardement apparaissent comme les spécimens des ultimes progrès industriels.
Utilisés en lourdes
formations coopérant avec les chars d’assaut, ils stoppent les attaques
allemandes et contribuent à percer le front ennemi en 1918.
Premier bombardement
de Paris en août 1914
En cette fin de la
deuxième quinzaine du mois d'août, des avions aux croix noires, des croix de
Malte, des monoplans Rumpler " Taube " atterrissent sur un terrain
près de Saint-Quentin et s'y installent.
Le fameux Taube allemand |
Parmi les pilotes de
ce 11e groupe, un jeune lieutenant, déjà pilote chevronné : von Hiddessen.
Depuis 1912, cet aviateur a participé à la poste aérienne sur le Rhin et c'est
peut-être son habitude des vols à grande distance qui va le faire désigner pour
une mission particulière de la guerre psychologique. Le soir du samedi 29 août,
il reçoit l'ordre du commandant de groupe de survoler Paris le lendemain. La
mission est de repérer d'éventuels mouvements de troupes mais aussi de jeter
quelques bombes, des paquets de tracts et une longue banderole aux couleurs
allemandes.
Ce vol ne peut avoir
aucune signification militaire car les bombes sont trop petites et les avions
n'ont pas encore à l'époque d'appareil de visée, il est surtout d'une
importance psychologique avec pour but, la démoralisation des arrières du front
en touchant les civils avant une bataille militaire que les Allemands pensent
être décisive devant la capitale.
Au matin du dimanche
30 août, le terrain d'aviation et la région saint-quentinoise sont recouverts
par un épais brouillard. Impossible de décoller, mais ce brouillard annonce une
belle journée et tout à l'heure, le soleil brillera. Sur le terrain, le "
Taube " avec son chargement attend bien sagement.
Vers 10 heures, le
ciel se dégage et le soleil commence à percer la brume. Il est un peu plus de
11 heures quand le lieutenant Von Hiddessen et son observateur décollent leur
monoplan du terrain, sous les regards des camarades d'escadrille venus leur
souhaiter bonne chance.
Von Hidessen |
A midi vingt, un
moteur ronfle bruyamment dans le ciel de Paris. C'est le premier avion allemand
qui survole la capitale. Voici les impressions que rapportera Von Hiddessen de
son raid sur Paris :
« Je partis avec mon observateur et nous
atteignîmes, sous quelques coups de feu, la banlieue et la ceinture de
fortifications de Paris aux environs de midi. De l'altitude où nous volions,
nous avions une vue superbe de la jolie ville qui s'étendait sous nous, en
plein soleil. Nous connaissions Paris pour avoir visité deux expositions
d'aviation et nous savions la richesse de son histoire, de sa culture et de ses
monuments.
Pour éviter des pertes parmi la population civile,
nous avions reçu l'ordre d'emporter les plus petites bombes, d'environ 2 kilos.
Elles n'avaient presque pas d'efficacité, mais elles faisaient énormément de
bruit. Seul le moral de la population pouvait être influencé par ce raid, et
peut-être pouvait-on espérer faire déclarer Paris ville ouverte, vu l'état de
la vétusté de ses fortifications.
La population était nombreuse dans les grandes rues et
sur les places par ce beau jour d'un été tardif. Il n'y avait aucune panique,
les habitants paraissaient tranquilles et ils regardaient en l'air.
Après avoir survolé la ville pendant environ une
demi-heure, mon observateur me rappela notre ordre. Il me désigna une région où
les rues étaient étroites, les places petites, et où il y avait peu de monde.
C'est à cet endroit qu'il lança, à de courts intervalles, les bombes et tracts
par dessus bord.
C'était une impression pénible d'autant plus que nous
n'avions remarqué aucune bataille ni aucune défense ».
Si cette incursion d'un
aéroplane ennemi dans le ciel de Paris fut la première du genre, elle marque
aussi le premier bombardement aérien de la capitale.
Il est exactement
midi quarante-cinq lorsque le premier projectile est lancé de l'avion allemand
qui survole Paris à une hauteur estimée a un peu moins de 1 000 mètres. Une
violente explosion retentit au 39, rue des Vinaigriers, au coin de la rue
Albouy, à côté d'une boulangerie dont la vitrine vole en éclats tandis qu'une
épaisse fumée noire se répand dans la rue. Quelques instants plus tard, un
second projectile tombe en face du numéro 66 de la rue des Marais devant un
magasin, non loin du boulevard Magenta. Là aussi, quelques vitres sont
également brisées par l'explosion.
Une troisième bombe
tombe dans la cour de l'immeuble situé 107, quai de Valmy, devant un asile de
nuit dont les vitres volent en morceaux. Il y a deux femmes très légèrement
blessées que, pour la forme, on conduit à l'hôpital Saint-Louis.
Enfin une quatrième
bombe tombe rue des Recollets, sur la toiture vitrée d'une cour intérieure.
Elle n'éclate pas et on retrouve un engin d'une vingtaine de centimètres de
haut, en forme de poire, sans empennage, chargé de poudre et de shrapnels.
Le " Taube
" tourne toujours dans le ciel de Paris. Les deux aviateurs allemands
ayant épuisé leurs munitions, lancent une oriflamme aux couleurs allemandes,
longue de deux mètres cinquante, à laquelle est attachée une pochette en
caoutchouc contenant du sable pour faire le poids et entraîner le drapeau vers
le sol.
A cette pochette
lestée, est fixée une enveloppe contenant une lettre disant : " L'armée
allemande est aux portes de Paris, vous n'avez plus qu'à vous rendre ".
Longtemps, dans les
différents récits faits sur cette première attaque aérienne de Paris, il n'a
été question que des quatre bombes et de l'oriflamme sans jamais parler des
nombreux tracts qui furent lancés en même temps.
Ce n'est pas un seul
" avis " que jeta von Hiddessen, mais bien de nombreux tracts que
l'équipage déversa par dessus bord. L'avis était le même que celui accompagnant
l'oriflamme et signé : Lieutenant von Hiddessen. Première campagne de
démoralisation des arrières, au cours de cette guerre, par la voie aérienne...
L'oriflamme est
recueillie. Elle est transportée à la Préfecture de Paris dans le cabinet de M.
Hennion et par un temps toujours très beau, l'avion allemand quitte le ciel de
la capitale. Deux heures plus tard, après un vol sans histoire, le " Taube
" repasse le front et se pose sur son terrain de départ parmi les applaudissements
des compagnons du Lieutenant von Hiddessen, présents à leur retour.
Comme ce 30 août
1914 est un dimanche, un public considérable ne cesse de circuler durant
l'après-midi autour du théâtre des explosions. Rue des Vinaigriers, notamment,
la foule est très dense. On se montre les éraflures que les éclats ont produit
sur les pierres des immeubles avoisinants, à plusieurs mètres de l'endroit où
la bombe a creusé un trou dans le sol.
Cette promenade
agressive du premier avion allemand dans le ciel de Paris, loin d'affoler la
population, avait excité sa badauderie en lui faisant choisir pour but de
promenade dominicale les points de chutes des bombes. Cela changera avec la
venue des " Zeppelins ", plus tard des " Gothas " et enfin
des obus...
Deux jours plus
tard, le 1er septembre, un autre " Taube " rend visite à Paris.
Quatre rues reçoivent des bombes et avec ce second raid les premières victimes.
Une bombe tombe au 1, rue de Moscou et fait deux morts et dix blessés. La
deuxième explose 37, rue de la Condamine où il y a un mort et six blessés. Deux
autres bombes sont encore jetées sans faire de victime.
Malgré les premiers
tués et pensant, suivant la théorie bien connue " que se faire tuer par un
" Taube ", cela n'arrive qu'aux autres ", les Parisiens sont
davantage dominés par la curiosité que par un sentiment de frayeur. Ils sortent
armés de jumelles et s'installent sur les bancs des squares et des boulevards
pour attendre les assaillants.
On fait même mieux !
Les points élevés de Paris sont envahis et sur la butte de Montmartre on loue
des chaises et des longues-vues pour attendre l'apparition dans le ciel des
" Taubes quotidiens ".
Effectivement, le
mercredi 2 septembre, un premier avion allemand aux grandes croix de fer noires
peintes sur et sous les ailes apparaît, du côté de Neuilly, vers cinq heures du
soir. Il passe non loin de la Tour Eiffel, fait un crochet au-dessus de la
place Denfert et après avoir approché la cathédrale Notre-Dame s'éloigne vers
l'est.
Un second "
Taube " est aperçu, un peu avant 18 heures, sur la droite de Saint-Denis
et approche Paris vers la Porte de la Chapelle en direction de la rue des
Poissonniers, tourne au-dessus de la basilique du Sacré-Coeur, pousse jusqu'au
Louvres et sort du ciel de Paris en survolant les abattoirs et de nouveau la
Porte de la Chapelle.
Un troisième avion,
vers la même heure, arrive par l'est de Paris et fait des crochets, à une assez
grande hauteur, entre la butte de Montmartre et Belleville puis s'éloigne.
Ces trois avions
n'ont pas tous jeté des bombes sur Paris. On signale seulement quatre points de
chute qui font un mort et trois blessés. En prenant le chemin du retour, ces
avions larguent leurs trois dernières bombes rue Ferragues à Aubervilliers,
dans un champ près de cette ville et la troisième sur la gare de marchandises
de la Plaine Saint-Denis.
Une curieuse
histoire, faisant probablement partie des légendes circulant à cette époque
mouvementée, se déroule dans l'après-midi du mardi 8 septembre vers 17 heures.
En cet instant, plusieurs avions allemands - " Taube " ou autres
avions - survolent la région parisienne sans lâcher de bombes. Peut-être
viennent-ils voir le déroulement de la bataille et les armées allemandes
approcher de Paris ? L'un d'eux, après avoir survolé Raincy, arrive en vue du
fort de Chelles où un régiment d'infanterie stationne. Tout le régiment tire,
au fusil, un feu de salve sur l'avion qui, réservoir d'essence crevé, se voit
contraint de descendre en vol plané entre le fort de Chelles et le village de
Bron. L'avion vient - parait-il - se poser en plein dans un chantier où des
ouvriers terrassiers sont occupés à creuser des tranchées autour du camp de
Paris car les armées de von Kluck et von Bülow avancent toujours vers la
capitale où l'on se prépare à la bataille.
Le pilote, un
officier allemand, saute de son appareil, décharge son revolver en direction
des ouvriers qui, pioches dans les mains, se ruent sur lui et l'exécutent sur
le champ à coups de pioches. Nous n'avons retrouvé aucune trace officielle de
cet événement qui tient certainement davantage à la légende qu'à l'histoire.
Quinze jours après
leur retraite sur le nouveau front, l'aviation allemande reprend ses incursions
sur Paris. Elle revient le 27 septembre 1914 sans faire beaucoup de dégâts.
Trois attaques seront encore faites en octobre, les 8, 11 et 12 de ce mois
toujours sans grands résultats. Ce 12 octobre sera la dernière visite de ces
premiers mois de guerre. On compte neuf tués et cinquante-trois blessés pour
ces trois mois de raids aériens sur la capitale et sa banlieue.
La visite des avions
ennemis sur Paris ne reprend qu'en mai 1915, les 11, 12, 24 et 28 de ce beau
mois de printemps après le dur hiver que les fantassins des deux camps ont
passé, à barboter dans la boue des tranchées.
La dernière attaque
se situe le lundi 27 juillet 1915. Si les avions n'ont guère évolué, il y a en
cette journée une nouveauté dans le domaine des projectiles. Des torpilles de
10 kilos tombent près de la gare de la Chapelle, à Saint-Denis et au Bourget.
Ce sont les mêmes armes employées depuis le bombardement du 30 août 1914. Par
contre, et pour la première fois, des bombes de 50, et une de 100 kilos, sont
larguées. Quatre torpilles de 50 kilos sont jetées sur la Courneuve et deux
dans les champs proches du Bourget. Par chance, il n'y a aucune victime. Celle
de 100 kilos s'écrase au 50, avenue de Paris, à Saint-Denis... et n'éclate pas.
Elle est désamorcée. C'est une mine empennée d'un poids de 100 kilos qui
ressemble davantage à un bricolage artisanal qu'à une construction en série.
Plus tard viendront d'autres bombes du même poids mais parfaitement adaptés au
bombardement aérien.
Deux ans et demi
vont passer avant que des avions allemands reviennent sur Paris. Si la première
visite des nouveaux bombardiers allemands n'aura lieu qu'en janvier 1918, la
capitale sera attaquée avec les " Zeppelins " par deux fois en
1916...
Au matin du 5
octobre 1914, le sergent Joseph Frantz et son mécanicien-mitrailleur, le
caporal Louis Quenault, à bord de leur biplan Voisin, croisent la route d’un
Aviatik allemand qu’ils parviennent à abattre, remportant ainsi la première
victoire aérienne de l’histoire. Cet événement marque une étape décisive dans
l’histoire de l’aéronautique militaire, née en 1909 et qui aligne aux premiers
jours de la guerre 138 appareils répartis dans 23 escadrilles. Ces fragiles machines
entoilées sont chargées de tâches de reconnaissance destinées à renseigner le
commandement sur les mouvements de l’adversaire, mais aussi de missions
offensives par le lâcher d’explosifs et de fléchettes en acier sur les troupes
en marche.
Le biplan Voisin |
Peu avant 8 heures,
ce 5 octobre, le sergent Frantz se prépare sur le terrain de Lhéry pour une
sortie au-dessus des lignes allemandes, dans la région de Reims, avec mission
de larguer six obus de 75 sur des rassemblements ennemis. Accompagné de son
mécanicien, le caporal Quenault, il opère à bord d’un biplace Voisin LA-3,
avion équipant leur escadrille V-24 commandée par le capitaine Faure.
L’appareil, propulsé par un moteur de 110 Ch situé à l’arrière du fuselage, est
de structure entièrement métallique. Il présente la particularité d’avoir été
armé, à la demande de Frantz, d’une mitrailleuse Hotchkiss, fixée sur un
trépied et installée par le constructeur, Gabriel Voisin, en personne et ami du
capitaine Faure, sur les six machines de l’escadrille. Quenault prend place
derrière le pilote, avec à ses pieds les obus et devant lui la mitrailleuse
dont la fourche mobile permet de balayer l’horizon à 180 degrés.
Frantz et Quenault |
Alors qu’ils
évoluent dans les lignes françaises à près de 2 000 mètres, les deux hommes
aperçoivent un biplan Aviatik dont l’équipage, composé du sergent Wilhelm
Schlichting, pilote, et du lieutenant Fritz von Zangen, observateur, est armé
d’une simple carabine. Frantz décide aussitôt de se placer dans l’axe de son
ennemi, légèrement en arrière et un peu au-dessus, afin de permettre à son
équipier d’ajuster son tir. En effet, ce n’est pas la première fois que Frantz
et Quenault engagent le combat. À onze reprises déjà, ils ont tenté d’abattre
un appareil adverse et savent qu’il faut s’approcher à moins de 10 mètres et
tirer avec leur mitrailleuse au coup par coup, car cette dernière présente le
fâcheux défaut de s’enrayer inopinément. Dans une telle configuration,
l’Aviatik est gêné tant par son moteur que par l’hélice installée à l’avant,
ainsi que par les empennages de l’arrière qui limitent le tir de l’observateur.
Pendant près d’un
quart d’heure, Quenault tire avec régularité quarante-sept balles tandis que le
pilote allemand tente d’exécuter une large spirale afin d’échapper à
l’assaillant. Alors que la mitrailleuse s’enraye et que Quenault commence à
démonter la culasse, Frantz voit l’Aviatik soudain se cabrer, s’abattre sur
l’aile gauche et piquer à la verticale pour s’abattre en flammes dans les
marais près de Jonchery-sur-Vesle, sous les yeux du général Franchet d’Esperey.
Pour la première fois dans l’histoire, un aéroplane en a abattu un autre,
inaugurant ce qui allait devenir le combat aérien. Cette première victoire vaut
au sergent Frantz la Légion d’honneur et au caporal Quenault la Médaille militaire.
A
suivre…
Ce texte est essentiellement issu du livre de Jean
Hallade "1914-1918, de l'Aisne on bombardait Paris"