DE PALACE EN MOUROIR

71ème semaine

Du lundi 6 au dimanche 12 décembre 1915

RETOUR SUR LA GUERRE DES MINES

Henri-Antoine Hierle, 7ème régiment du Génie,
mort le 14 novembre 1914 au Mont-d’Or (Puy-de-Dôme)


Henri-Antoine Hierle est né le 13 novembre 1892 à Boisset-Gaujac. Le lendemain de l’anniversaire de ses 22 ans, il s’éteint à l’hôpital du Mont-d’Or. Il avait été affecté comme sapeur-mineur de 2ème classe au 7ème régiment du Génie, basé en Avignon.

Le rôle des sapeurs-mineurs était simple et dangereux : il s’agissait d’aller creuser sous les lignes ennemies des sapes pour y  faire sauter des mines juste avant l’assaut des fantassins, de façon à bouleverser ses lignes de défense, tuer un maximum de défenseurs et assommer les autres sous l’effet de l’explosion.

L’effet d’une mine sous une tranchée pouvait être effroyable. En voici le récit fait par un soldat : « Un tremblement se produit sur notre gauche. C’est comme un geiser qui fuse dans les airs, avec la différence qu’au lieu d’être de l’eau, c’est une pluie de boue et de matériaux de toutes sortes, ainsi que des êtres humains saisis par l’avalanche. C’est une mine allemande, juste au-dessous de notre première ligne, que l’ennemi vient de faire sauter. Dès la fin du bouleversement causé par la mine, un cri d’horreur sort de nos poitrines. Dans ce décor hallucinant, des corps hachés, des têtes horribles à voir, un liquide noirâtre de sang coagulé a jailli sur tout ce qui se trouve dans ce cratère, les outils de terrassement sont réduits à leur plus simple expression, rien n’a subsisté, le fer a fondu, le bois a brûlé, les chairs sont calcinées, la terre elle-même n’a plus de couleur ».

Éclatement d'une mine
L’article suivant est paru en juin 1915 dans le journal Le Matin :
« Tout au long de la tranchée, ce sont maintenant les coups cadencés des pioches et le bruit de la terre que les pelles projettent. Soudain, de chantier en chantier, un ordre court : Cessez le travail. C’est l’heure de l’écoute. L’écoute ! Heure impressionnante entre toutes dans cette guerre de mines, moment où l’on va tâcher de discerner l’avance sournoise des autres vers nous ; où l’on va, au bruit souterrain de leurs outils, déterminer leur marche, leurs projets, la minute, peut-être, où ils tenteront de nous faire exploser. Dans cette guerre sans merci, ce n’est pas seulement du ciel sillonné d’obus que vient la mort ; ce n’est pas seulement à la surface du sol qu’elle rampe parmi le crépitement sec des mitrailleuses ; c’est encore là, à 12 ou 15 mètres du sol, qu’elle vous guette et traitreusement vous frappe en pleine sécurité, parfois en pleine victoire. La mine souterraine, la sape, c’est un peu pour nous ce qu’est le sous-marin pour l’équipage du navire !
- Venez ! Le lieutenant de génie qui, dans notre secteur, dirige, depuis de longues semaines, les travaux de sape et de contre-mine, m’entraîne à sa suite dans les méandres de la tranchée. A nos pieds, sous un abri, un puits s’ouvre, sombre, profond, à l’haleine fétide. Un treuil le chevauche, où s’enroule un cordage qui remonte les seaux de terre et, au besoin, les cadavres. A côté ronfle un ventilateur. C’est l’entrée de la sape. L’orifice mesure 1 mètre de diamètre et, du haut en bas de la paroi, c’est-à-dire sur une profondeur de 15 mètres, court une échelle de corde que fixent, de distance en distance, des fils de fer. Par cet escalier de fortune on ne peut descendre qu’un à un, et encore faut-il que les mains se cramponnent fortement, tandis que les pieds mal assurés recherchent les échelons inégaux.
A côté du lieutenant, me voilà maintenant au fond de la mine. Dans la galerie qu’éclairent faiblement des lampes à huile, les hommes attendent, l’outil au poing, et ils écoutent. Ils écoutent, à travers cette terre, les coups sourds et rythmés des pioches et des pelles, tous les bruits que fidèlement elle leur transmet et qui leur dévoilent le travail qui s’exécute et le danger qui vient. A mon oreille, pourtant ardemment tendue, tous ces sons paraissent vides de sens, confus, lointains. Mais eux, les hommes d’écoute, ils savent. Ils travaillent, murmure le lieutenant. Il n’y a point de doute. Ces gens sont d’une admirable persévérance. Les voilà qui reprennent à pied d’œuvre une sape que nous leur avons, il y a quinze jours, complètement démolie. A ce moment, nous avancions à la contre-mine, c’est-à-dire non pas pour arriver jusqu’à leur tranchée, mais plutôt pour protéger la nôtre. A l’écoute, nous en avions eu la certitude, ils avançaient sur nous très rapidement. La direction exacte, la profondeur, à cause de certaines difficultés locales, nous ne pouvions les savoir très exactement. Malgré tout, on travaillait ferme, on travaillait avec, au cœur, ce sacré petit pincement qui vous prend lorsqu’on se demande : « Pourrons-nous, à temps, leur barrer la route ? » Et cela, voyez-vous, la responsabilité de toutes ces vies humaines, cela vous fait le bras rudement fort et donne à votre oreille une incomparable finesse. Nous n’avions plus le temps de passer en dessous, on décida de passer à côté. Ne pouvant les faire sauter de bas en haut, nous allions leur flanquer un « camouflet », c’est-à-dire, sacrifiant une partie de notre sape, écraser la leur. On les entendait maintenant avec une prodigieuse netteté, on ne les entendait pas seulement travailler, on les entendait tousser. La victoire allait appartenir à celui qui, une minute avant l’autre, prendrait la décision suprême. En ces moments dramatiques, je vous l’affirme, j’aurais voulu que vous puissiez voir mes hommes. Chaque coup de pioche qu’ils donnaient pouvait être le dernier, chaque seconde de retard pouvait être employée par l’ennemi à préparer sa mine ; et c’est avec méthode, avec sérénité que tous ces hommes travaillaient. Ce fut un magistral « camouflet ». Ce mur que vous voyez, nous avons dû l’élever pour calfeutrer dans le boyau de sape les gaz délétères dont l’explosion l’avait empli. Malgré tous nos efforts, il se fait parfois des fissures et alors, comme l’autre jour, en dépit des ventilateurs, en dépit de toutes les précautions, c’est un pauvre « bonhomme » qui succombe. Il n’y a pas que vous, là-haut, qui ayez les gaz asphyxiants ».

En fait un régiment de Génie n’était jamais rassemblé au même endroit, pour accomplir la même tâche. Il était composé de près d’une centaine de compagnies, chacune d’une centaine d’hommes, qui allaient là où l’on avait besoin d’eux.

Au début de l’automne 1914 le régiment cantonne dans la Meuse, autour de Dombasle ou Chattancourt. Ces villages ont été entièrement détruits par les premiers combats. La guerre de mouvement est terminée, il faut s’enterrer dans les tranchées. Les sapeurs du Génie interviennent ici ou là, à l’appel de leurs camarades moins équipés pour les travaux de terrassement nécessaires. Ils sont soumis à des bombardements fréquents. C’est sans doute au cours de l’un d’entre eux qu’Henri-Antoine Hierle a été blessé, il a été évacué vers l’arrière et se retrouve à l’hôpital du Mont-d’Or (Puy-de-Dôme). Du fait de sa très grande infrastructure hôtelière le Puy-de-Dôme a pu très rapidement se transformer en vaste centre d’hébergement des soldats blessés : Hôtel des Bains, Hôtel Gallia, Hôtel des Etrangers, et autres palaces sont devenus des lieux de souffrance et de mort.

Henri-Antoine Hierle y décède le 14 novembre 1914, le lendemain de son 22ème anniversaire. Il ne figure pas sur le monument au mort d’Anduze, mais sur la stèle de l’église Saint-Etienne, Boisset-Gaujac faisant alors partie de la paroisse d’Anduze.

Au cours de toute cette guerre, le 7ème régiment du Génie aura eu de lourdes pertes :
- 1505 morts
- 6773 blessés
Il lui a été distribué 311 médailles militaires et 68 légions d’honneur.

A suivre…