INCERTITUDES

88ème semaine

Du lundi 3 au dimanche 9 avril 1916

LES ALÉAS D’UNE DISPARITION

Niel-Gabriel Maurin, 52ème régiment d’Infanterie,
tué le 2 septembre 1914,
officiellement mort le 3 avril 1916 à La Salle (Vosges)


Niel-Gabriel Maurin est né le 3 novembre 1891 à Florac. En 1911 il réside à Alès, où il est journalier, bien que son degré d’instruction soit bon. Incorporé le 9 octobre 1912, il est réformé temporairement pour blépharite (inflammation de la paupière) chronique. De plus il est classé comme soutien indispensable de famille, il est donc rayé des cadres en février 1913. Mais les menaces de guerre le rattrapent, on est de moins en moins regardant pour enrôler : en février 1914, il est réintégré dans les services auxiliaires, malgré blépharite et charges de famille. Il ne veut pas d’une telle affectation, et demande son versement dans le service armé : accordé. Août 14 le trouve donc prêt à partir au front dès le premier jour, dans le 52ème régiment d’infanterie basé à Montélimar.

Ensuite une étrange confusion de date et de libellés brouille les pistes. Sa fiche du ministère de la défense est sans équivoque : il a été tué à l’ennemi le 3 avril 1916, à La Salle (Vosges). Mais son registre matricule raconte une autre histoire : nommé caporal le 1er septembre 1914, il est porté disparu le lendemain même à Saint-Rémy. Il est rayé des contrôles le 2 novembre 1914, avec avis officiel de sa disparition le 15 octobre 1915. Mais le registre poursuit : décès constaté le 3 avril 1916 sur le territoire de la commune de La Salle (Vosges). Avis de décès du 4 février 1917, avec secours de 150 francs versé à sa mère le 19 février 1917. Et pour finir, le 7 avril 1921, un jugement du tribunal de Paris fixe officiellement la date de son décès au 4 avril 1916.

Voyons ce qui s’est passé sur le terrain aux dates évoquées.

Dès le début d’août l’armée française a pris l’initiative en cherchant à gagner du terrain en Alsace et en Lorraine : non seulement un tel mouvement correspondait à la doctrine offensive chère aux stratèges français de l’époque, mais surtout elle permettait d’insuffler à l’ensemble de la nation la fierté d’avoir récupéré une partie des provinces spoliées par les Allemands depuis 1870…

Historique du 52ème régiment d’infanterie :
« Le 27, la division a pour mission d’attaquer sur tous les points et chercher à prendre pied dans la ville de Raon-l'Étape. A peine le mouvement est-il commencé qu'arrive l'ordre de se replier en franchissant la Meurthe, au pont de Saint-Michel, mouvement prescrit en raison de l'occupation par l'ennemi de Saint-Dié et du bois de Repy. Le régiment rallié à Saint-Michel-sur-Meurthe se porte sur La Salle et se reconstitue grâce à l'arrivée de renforts. Le 28, le 2° bataillon prononce une offensive sur Neuf-Étangs par les Basses-Pierres; la progression est difficile. Le 1° bataillon a eu deux compagnies (1° et 4F) envoyées en soutien au 7° bataillon de chasseurs à Saint-Rémy: ce village est enlevé par les Allemands à la nuit tombante. Le lendemain, contre-attaque du 2° bataillon à l'ouest de Nompatelize; elle ne réussit pas à dépasser les boqueteaux à l'ouest du village, mais elle arrête le débouché de l'ennemi. Dans la soirée, le régiment reçoit l'ordre de se replier sur Mortagne.
Il faut signaler les heureuses dispositions du lieutenant Mouren qui, installant une section de mitrailleuses à la ferme du Han entre Saint-Rémy et La Salle, protégea efficacement la retraite du 1° bataillon et fit subir de très grosses pertes à l'ennemi. Dès le lendemain, l'offensive est reprise. La Salle est réoccupée. Le 31 août, le 52° doit attaquer Saint-Rémy. Le 1° bataillon pénètre dans le village. A la nuit, le 3° occupe la partie nord-est; le 2° fouille les maisons, occupe les lisières ouest et sud; le capitaine Alleaume, blessé le 28, est retrouvé et évacué dans la nuit; le nom du soldat Akoun de la 1° compagnie mérite d'être conservé; cet homme, étant resté fidèlement auprès du capitaine Alleaume pendant deux jours et demi, a su imposer le respect à l'ennemi par son dévouement et sa belle attitude. La 3° compagnie, envoyée en reconnaissance, le 1° septembre, vers le pont d'Etival, est accueillie au sortir de Saint-Rémy par des feux violents et prise d'écharpe par les mitrailleuses qui occupent une position dominante (cote 363) à l'est du village. Le capitaine Dellac, adjoint au colonel, prend le commandement d'un renfort de réservistes qui arrive non encadrés et le porte à l'attaque de cette cote 363. Il réussit à s'approcher à 200 mètres de la position sans parvenir à la réduire. A la nuit, le régiment se rallie à la ferme de Han pour réorganiser ses unités, puis il se reporte sur Saint-Rémy. Le 3 septembre, dès 6 heures, la canonnade ennemie commence à Saint-Rémy avec intensité. A 8 heures, pendant que l'artillerie allonge son tir, attaque brusque de l'infanterie. Le bataillon du 75° placé à la gauche du 1° bataillon cède; la 1° compagnie et une partie de la 3°, prises de flanc par les mitrailleuses, ne peuvent se dégager; il ne revient de la 1° compagnie qu'un caporal et onze soldats ».


Au cours de ces durs combats, dans des villages pris et repris, dans la confusion des corps à corps, il était difficile de dire ce qu’il était advenu de tel ou tel soldat ne rejoignant pas ses camarades : mort ? Prisonnier ? On le classait donc provisoirement comme disparu. C’est le cas de Niel-Gabriel Maurin, comme celui de l’un de ses voisins de régiment, Franck Roux, qui est né à Brignon le 25 septembre 1893. Il y exerce la profession d’agriculteur (son livret militaire précise « propriétaire »). Mobilisé à la 11ème compagnie du 52ème R.I. de Montélimar, il est fait prisonnier dans les Vosges en septembre 1914. Il passera quatre années de captivité en Allemagne dans deux fermes de la région de Stuttgart. Il se marie en décembre 1919 et décède le 10 avril 1964. Son carnet sera publié par ses enfants.

Niel-Gabriel Maurin, lui, reste classé comme disparu, il ne figure sur aucune liste de prisonniers ni de blessés chez les Allemands. Mais en 1916 le front bouge un peu, les Français récupérant le secteur de Saint-Dié, dont le village de Saint-Rémy est proche. On ne peut que faire alors l’hypothèse suivante : la sépulture de ce soldat a été identifiée, et son état de Mort pour la France enfin officiellement reconnu. Ce qui explique ces curieux états administratifs : porté disparu entre le 2 septembre 1914 et le 3 avril 1916, il n’est reconnu comme mort qu’à la date de l’identification de sa dépouille.


Les petits cimetières locaux ont été regroupés dans la Nécropole nationale Les Tiges à Saint-Dié. Cette nécropole contient 2.608 corps (dont 1.182 en 2 ossuaires) des soldats français rassemblés des cimetières de : Ravin, la Côte, Mailleufaing, La-Salle, Saint-Rémy et Nompatélize. C’est là que repose Niel-Gabriel Maurin, tué le 2 septembre 1914 à l’âge de 23 ans, après une vingtaine de jours de guerre et le lendemain de sa promotion au grade de caporal. Mais ce tué ne sera officiellement mort que dix-huit mois plus tard. Son nom figure sur le monument aux morts d'Anduze.


A suivre…
Le front le 2 septembre 1914 : Saint-Dié et sa région sont âprement disputés, pris et repris. puis les Français se replient.

Le front en avril 1916 : le secteur de Saint-Dié est de nouveau aux mains des Français.