128ème
semaine
L’Argot
des Poilus
Dictionnaire
humoristique et philologique
du
langage des soldats de la grande guerre de 1914
François
Déchelette
Poilu
de 2° classe, Licencié
ès lettres
L'auteur au lecteur
Il est de mode dans des milieux
très différents d'accabler de mépris l'argot des poilus ou même de nier son
existence. On a protesté avec véhémence contre les « bousilleurs du lexique »
et raillé « les linguistes de rédactions bourgeoises » qui se plaisent à étudier
le vocabulaire argotique. Certes, on a raison de défendre la littérature contre
l'invasion de l'argot poilu ; mais il ne faut pas s'exagérer ce péril
linguistique : les livres comme le Feu, d'Henri Barbusse, où foisonne l'argot,
sont des documents plutôt que de véritables œuvres littéraires. La mode
d'écrire en langage poilu ne survivra pas à la guerre et disparaîtra, comme ce langage,
avec les circonstances qui l'ont créée. Quand M. Emile Bergerat dit : « La langue
française suffit aux héros », il exprime une loi littéraire, mais non un fait ;
car si la psychologie des héros peut et doit être exprimée dans notre bonne
langue française, il n'en est pas moins vrai que la langue académique n'a pas suffi
aux poilus ; loin de là. M. Edmond Valéry Guiscard s'est diverti à présenter l'exégèse
des textes poilus comme de « nouvelles fonctions où les mutilés de la guerre pourront
déployer leur activité » ; et il se promet « d'assister à la soutenance de
thèse du futur Vaugelas Hottentot ». C'est ainsi que les puristes mêlent avec
esprit l'ironie au dédain.
Loin du clan des puristes, on
trouve des poilus authentiques qui nient l'existence de l'argot poilu ; et les
linguistes de l'arrière enregistrent avec joie cet aveu qu'ils croient autorisé.
Ils ne se rendent pas compte que le poilu soutient ce paradoxe pour des motifs complexes
; il a honte de mal parler, comme le paysan, qui a honte de son patois — en quoi
les deux ont tort du reste, — ou bien il veut cacher ce langage aux profanes de
l'arrière.
Nous touchons ici une des lois de
l'argot que M. Alfredo Niceforo a fort bien mise en lumière dans le Génie de
l'Argot. «L'Argot », dit-il, « tend à
être un instrument de mystère ». Quand le poilu veut persuader au civil que tel
mol connu de l’arrière n'est pas ou plus en usage au front, il ne fait que
suivre cet instinct de 1’argotier qui le pousse à s'entourer de mystère.
L'argot est un instrument de défense d’un groupe et le secret est la condition
nécessaire de ce rôle.
Il n'est pas nécessaire
d'accumuler des preuves de l’existence de l'argot des poilus. De même que
Diogène le Cynique prouvait le mouvement en marchant, les poilus prouvent
l'existence de leur argot en le parlant.
Quelques-uns nous chercheront
peut-être chicane sur le terme lui-même d'argot et prétendront qualifier ce
langage, selon leur fantaisie, de jargon, ou parler ou langage spécial; à
l'exclusion du mot argot. Mais nous ne nous attacherons pas à rechercher dans
quelle mesure l'argot des poilus est un langage secret, ce qui est pour M.
Alfredo Niceforo le signe d'identité de l'argot ; nous nous en tiendrons au
sens large que Littré donne au mot « argot », après le sens de langage des
vagabonds et voleurs : « Par extension, phraséologie dont se servent entre eux
les gens exerçant le même art et la même profession ».
Il est cependant certain que le
poilu tend à cacher son argot aux civils, ainsi que nous l'avons dit plus haut.
La connaissance de l'argot poilu est comme un signe de l'initiation à la vie du
front. Le rapide remplacement d'un mot démodé par un autre, la création d'un
grand nombre de doublets, sont des moyens de maintenir ce secret.
Il va de soi que l'argot des
poilus n'est pas une langue, car il n'a pas de syntaxe différente du français
et si parfois, dans le cours de ce dictionnaire, nous avons employé le terme de
« langue poilue », c'était uniquement pour faire ressortir par une
plaisante exagération l'unité et la cohésion du langage que les soldats parlent
tous de Belgique en Alsace.
L'existence isolée d'un groupe
d'hommes, la communauté de sentiments et le fait d'avoir les mêmes occupations
professionnelles sont des conditions de choix pour susciter un argot.
Que l'on veuille bien réfléchir à
l'abîme qui sépare le poilu du civil dans sa façon de sentir, dans ses
occupations journalières, professionnelles en quelque sorte ; que l'on considère
que, pendant les premiers mois de la guerre surtout, les poilus vivaient — et mouraient
— aussi isolés du reste du monde que des moines cloîtrés ; et l'on ne
s'étonnera pas de la naissance de l'argot des poilus.

Quand, avec l'automne de 1914,
arriva la guerre de tranchées, ce vocabulaire s'élargit naturellement à mesure
que l'existence du poilu était mieux organisée. Les relèves et les mouvements
de troupes, changeant de secteur tout le long du front, aidèrent à la
généralisation des mots usités seulement dans de petits groupes. C'est ainsi
que l'infanterie coloniale, où l'argot militaire était déjà très développé
avant la Guerre, par suite de son esprit de corps, et qui avait un certain
prestige sur l’infanterie métropolitaine, imposa des mots comme pinard, jaffe, barda, guitoune, cagnat,
nouba, toubib, klebs, etc.
L'ouvrier parisien, profitant de
la supériorité que lui donnait le prestige de Paris, répandait son langage
imagé. L'argot poilu s'enrichit encore à mesure que se modifiaient l'armement
et les méthodes de guerre ; d’où les mots de calendrier, montre, tortue, raquette, valise, tromblon, cagoule, museau
de cochon, pilonner, etc.
En même temps, d'autres mots se
démodaient comme tigres bleus, bouchers
noirs ; des doublets remplaçaient les mots usés ; ainsi se succédèrent pour
exprimer la même idée : dégoter,
dégauchir, grouper, camoufler.
L'argot d'aviation se développait
par suite de l'importance que prenait cette arme. Enfin, après quatre ans de
guerre, l'argot des poilus forme un ensemble riche et touffu.
« Le même parler », dit Henri
Barbusse, « fait d'un mélange d'argots d'atelier et de caserne et de patois,
assaisonné de quelques néologismes, nous amalgame, comme une sauce, à la
multitude compacte d'hommes qui, depuis des saisons, vide la France pour s'accumuler
au Nord-Est ».
Il semble intéressant pour
l'avenir de conserver la clé de ce langage, qui a débordé des tranchées dans
les journaux et dans les livres.
Nous espérons que le présent
ouvrage, qui comprend plus de 1000 mots, comblera mieux cette lacune que les
lexiques parus jusqu'à ce jour. L'auteur a voulu en faire à la fois un travail
philologique et un tableau pittoresque de la vie du front. Il a non seulement
étudié les mots mais aussi, dans beaucoup d'articles, sous forme de
commentaires humoristiques, la vie intime du poilu.
Commencé en 1914 dans la tranchée,
ce dictionnaire parut en partie dans le Journal de Roanne. Il lut composé au
hasard des loisirs du front et enfin complété pendant une convalescence. C'est
dire que les éléments en sont puisés directement dans l'usage . L'auteur n'a
pas étudié l'argot des poilus, comme une langue morte ; il l'a parlé ; il a
vécu dans le pays où on le parle et il a pu contrôler lui-même les
significations qu'il indique — exception faite pour l'argot spécial de
l'aviation et de l'aérostation.
Mais, comme un grand nombre de
mots, en usage au front, sont déjà connus par l'argot parisien, il a fallu
procéder à un choix. Il n'entrait pas dans l'intention, ni dans la compétence
de l'auteur, de faire un dictionnaire général de l'argot, mais seulement de
donner un lexique qui permît de comprendre le langage des poilus et les œuvres
écrites sur la guerre où fourmillent les mots poilus.
Il a donc mis dans ce dictionnaire
:
1° Les mots nouveaux de l'argot de
la guerre ;
2° Les principaux mots d'argot
parisien qui sont d'un usage courant chez les poilus;
3° Les mots d'argots militaires
spéciaux (aviation, aérostation, automobilisme). Mais il a systématiquement
écarté les mots que l'on trouve dans les dictionnaires spéciaux, c'est-à-dire,
soit les mots d'argot parisien les plus connus, soit les mots de technique militaire,
comme: parados, parapet, pare-éclats,
fusilier-mitrailleur, caponnière, mitrailleuse, etc.
Ces mots ne rentrent pas en somme
dans le cadre du langage poilu et se comprennent assez facilement, Cependant
l'auteur a admis certains mots qui sont intimement liés à la vie du
poilu : vague, Viven-Bessière, réseau,
coureur, voltigeur, grenadier, relève, évacuer, évacuation, intérieur,
camoufler, camouflage, aviatiks, albatros, artillerie d'assaut...
Ces mots ont pris depuis la guerre
une signification particulière qu'on ne trouverait dans aucun ouvrage
antérieur; c'est pourquoi nous avons jugé bon de les noter.
Nous avons aussi admis pour la
même raison des mots comme : bleuets, les
dérivés de boche : bochophile,
philoboche, bochisme, etc. qui sont de création savante, mais que l'on
trouve dans la presse et dont le poilu a pu se servir accidentellement après les
avoir lus.
Pour les mots usuels, la frontière
est assez imprécise entre l'argot poilu d'une part et ses sources d’argot
ancien, parisien, militaire ou colonial d’autre part. Sauf pour quelques mots
assez peu nombreux et que l'on retrouve facilement, par exemple marmite, moulin à café, valise, montre, tortue,
etc., une limite serait arbitraire et sujette à des erreurs.
Nous préférons indiquer ici, dans
une classification sommaire, les origines très diverses des mots poilus : ce
sont :
1° Des mots imagés pour désigner
des choses nouvelles ou créer un doublet argotique. Ex. : Calendrier, montre, tortue, raquette, valise, tromblon, cagoule, museau
de cochon, ficelles, etc.
2° Des mots français auxquels on a
donné un sens nouveau ou que l'on a déformés. Ex. : Filon, graisse de chevaux de bois, guetteur, se taper la tête,
embusqué, frigo, auxi, tranchemar, etc.
3° De vieux mots de français ou de
patois provinciaux. Ex. : Marre, bourrin,
etc.
4° Des mots d'argot parisien ou
d'atelier appliqués à la guerre. Ex. : Zigouiller,
louper, fade, poteau, boulot, etc.
5° Des mots de caserne. Ex. : Rabiot, boule, fayot, Jus, cabot, pied,
rempilé, rata, biffe, citrouillard, etc.
6° Des mots provenant des troupes
coloniales (algériennes, tonkinoises, ou sénégalaises), la plupart provenant
des langues indigènes. Ex. : Nouba,
cahoua, klebs, toubib, guitoune, cagnat, chourn-choum, toumani, bananes,
etc.
7° Quelques mots étrangers,
allemands, italiens ou anglais. Ex. : Nixe,
schlass, schloff, kapout, schnaps, schnick, mariole, bath, ridère, palace,
etc.
Enfin, comme nous l'avons dit, il
y a une foule de mots d'argot parisien, en usage au front, sans avoir un
rapport direct avec la guerre.
Si nous analysons la formation des
mots nouveaux de l'argot poilu, nous remarquerons les deux tendances de tous
les argots qui consistent : 1° à avilir et dégrade la langue; 2° à matérialiser
l'idée.
L'envie de mal parler est instinctive.
Du temps de Molière, les turlupins
l'avaient déjà. En môme temps, les précieuses
avaient le défaut opposé, l’affectation. C'est entre ces deux pôles
qu'oscillent perpétuellement les langues. L'avilissement et la dégradation des
mots dans le bas langage ont été observés par Raoul de la Grasserie. Le peuple
dans son parler transpose au degré inférieur le mot propre, et donne par
exemple à une personne le nom d'une chose inerte. Il en est de même en poilu.
Ainsi sergent (homme) devient pied, on pied de banc (objet inanimé).
Une autre forme de la dégradation
des mots est la déformation par apocope, aphérèse ou par application de suffixe
argotique. Ainsi se sont formés : pitaine,
piston, juteux, colon, stration, hosteau, véteau, perme, bâton, frigo, auxi,
autochir, mitraillou, tranchemar, officemar, mouscaille, tringlot, etc…
La matérialisation de l'idée, qui
est l'autre tendance des argots, a fourni beaucoup d'expressions pittoresques :
c'est le meilleur du langage poilu, ce qui lui donne sa vigueur, sa couleur et
son relief. Ce sont les figures de mots et surtout la métonymie, qui sont à
l'origine des mots de cette espèce. Ainsi se sont formés : billard, dragée, mouche à miel, épluchure, marmite, queue de rat, valise,
tortue, montre, babillarde, boyau, saucisse, saindoux, chape, téléphoner, pétoir,
cloche, etc. Ces mots, issus de la vision directe des choses, font image.
Notons encore que l'argot poilu a
une extraordinaire richesse de synonymes dont nous avons facilité le
rapprochement par de nombreux renvois.
On comprendra, par ce rapide
aperçu, le grand intérêt philologique que présente la formation rapide du
langage spécial de la guerre. De plus, cet argot a pour attirer notre attention
un autre titre : M. Maurice Donnay l'a indiqué en caractérisant ainsi l'argot
des poilus : « Langue que je trouve savoureuse et qu'il faut noter, conserver, parce
qu'en l'employant les poilus de la grande guerre lui ont donné ses lettres de noblesse
».
L'auteur de ce dictionnaire a
voulu être simplement le greffier de ces lettres de noblesse
F. D.
ABRÉVIATIONS
Adj, Adjectif.
Aérost. Argot des aérostiers.
Autom. Argot des automobilistes,
Aviat. Argot des aviateurs.
f. Féminin.
m. Masculin.
Subst. Substantif.
Syn. Synonymes.
Abatis, m. Les membres du corps humain. Ne s'emploie qu'au pluriel.
Numéroter ses abatis, faire le compte de ses membres avant le combat. C'est une
précaution indispensable et que le poilu n'oublie jamais : on ne sait pas ce
qui peut arriver.
Abeille, f. Balle, éclat d'obus, Syn. Dragée,
Marron, Mouche à miel.
Abouler. Donner, remettre. S'abouler, arriver.
Abri, m. Trou couvert de rondins, de tôles ondulées ou de sacs à
terre, où l'on se met à l'abri des obus. Syn. : Cagnat, Gourbi, Guitoune.
Abrutir, Aviat. Abrutir un boche, forcer un avion boche à atterrir
désemparé dans ses lignes.
Accrocher, Aviat. Attaquer un autre avion. Nous allons l'accrocher.
Accrocher (Se l’). N'avoir rien à manger. S'accrocher
une gamelle : même sens. Voir Croûter
avec les chevaux de bois. On peut rapprocher se l'accrocher, de l’expression populaire se mettre les dents aux crochets qui a un sens identique.
Acheter. Se moquer de. Tu veux
m'acheter, tu veux te moquer de moi. Syn. : Charrier.
Adjupète, m. Adjudant.
Aéro. m. Aéroplane. Le poilu prononce aréo. C'est à ce cri que le soldat se cache dans sa tranchée ou
sous les arbres, comme des poussins sous une poule quand on signale un
aéroplane boche dans le ciel. Souvent la curiosité lui fait regarder
imprudemment le duel émouvant de l'obus et de l'aéro. Et des exclamations de
joie saluent les obus quand ils se rapprochent de l'oiseau de malheur. Les
aviateurs ne parlent jamais d'aéros, ni d'aéroplanes, mais de coucous. Voir ce mot.
Aiguille à tricoter f. Baïonnette.
Air (En jouer un). S'en aller. L'expression vient d'un calembour sur
le mot flûtes qui veut dire Jambes en
argot. En jouer un air, c'est jouer
un air de flûtes, c'est-à-dire de jambes. Voir se carapater.
Albatros, m. Genre d'avion boche biplan
Alboche, Allemand. Ce mot semble venir soit du croisement d’allemand et
de boche, soit plutôt de l'application au mot allemand du suffixe argotique boche
que l'on trouve dans fantaboche, rigolboche. S'écrit aussi parfois Alleboche. Syn. : Boche.
Alpin, m. Chasseur alpin. Les Alpins sont les troupes spécialement entraînées
dans les Alpes à la guerre de montagne. Ils sont surnommés : diables bleus.
Amener (S). — Arriver. Syn. : S'abouler.
Aminche, m. Ami.
Amochage. m. 1° Etat d'un homme amoché. Il avait un sérieux amochage, il était sérieusement amoché. — 2°
Pertes d'une unité. Quel amochage ce
jour-là, quelles pertes ce jour-là !
Amocher. Blesser, diminuer. Exactement: rendre moche. Voir ce mot. Amoché, se dit d'un homme blessé ou malade,
d'un corps de troupe décimé. Syn. : Attiger.
Amphibie, m. Terme d’injure qui plaît d'autant plus au poilu qu'il sait
moins son sens exact. Espèce d'amphibie. Equivalent : animal.
Anzac . Mot formé par la réunion des initiales de l'anglais : Australia
and Xew-Zealand army corps, troupes d'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Les
journaux anglais parlant des Anzacs, cette
expression passa tout naturellement dans la presse française et dans le langage
courant. On appelait aussi parfois, par ellipse, l’Anzac, la région de la presqu'île de Gallipoli où se battaient
les Anzacs.
Aquiger. Voir Attiger.
Aramon, m. Petit vin. Aramon est un canton du Gard, qui a donné son nom
à un plant de vigne ; c'est sous le nom pompeux de ce cru que les bistros
parisiens débitent leur vin du Midi.
Arbalète, f. Fusil.
Arbi, m. Arabe. Soldat arabe (algérien, tunisien ou marocain).
Abréviation de arbicot, ou arabicot peu employés. Voir Bicot. Ces mots étaient employés, avant
la guerre, en Algérie, Tunisie ; on rencontre le mot Arabicot dans la Divine Chanson, par Myriam Harry.
Arbicot. Voir Arbi.
Armoire à glace, f. Sac du fantassin. C'est en
effet une armoire où le poilu range ses effets et le dessus brille comme une
glace quand il est astiqué, — ce qui n'arrive pas très souvent à la guerre.
Syn. : Azor, As de carreau.
Arrivée, f. Arrivée d'obus. Le son d'une arrivée et celui d'un départ
sont assez différents, le poilu ne s'y trompe pas. Il y a du reste des cas où
l'on ne peut douter que ce soit une arrivée : lorsqu'on reçoit des épluchures, on est tout de suite fixé.
Arrosage, m. Tir d'artillerie, bombardement. Nous avons reçu un arrosage sérieux, nous avons subi un
bombardement intense.
Arroser. Bombarder. Syn. : Sonner.
Arrosoir, m. Le canon, parce qu’il sert à arroser.
Artiflot, m. Artilleur. C'est le mot que le troufion renvoie comme une balle de tennis à l'artilleur. Le dédain
s'y mêle à une pointe de jalousie, car l'artiflot, restant un peu à l'arrière
des lignes, jouit de plus de liberté que le troufion, et fait souvent bombance
à la barbe des fantassins qui « la pilent ». A l'artiflot, les poulets et les bonnes
bouteilles ; le singe est bien bon pour le troufion. Tels sont les vrais
rapports des deux armes sur lesquels on a écrit tant de graves controverses.
Artillerie d'assaut. Nom administratif du corps des tanks. Voir ce mot.

Ces bourreaux des Boches sont
aussi des bourreaux des cœurs. Ces vainqueurs des tournois aériens sont
désarmés dès qu'ils ont quitté leur carlingue, et le petit dieu Eros — un as
lui aussi — les abat, dit-on, aisément de ses flèches.
2° Soldat habile en sa spécialité
par analogie avec les as de l'aviation. Comme
mécano, c'est un as.
As (à l’). Riche. Expression tirée du jeu da cartes. On dit : être à l'as, ou être aux as, être riche. Mec
à l'as, type à l'as, homme riche. Syn. : type au pèze, au pognon, rupin, mec au bull, magnifique. — Passer à l’as, passer inaperçu,
disparaître en parlant des choses. Syn. : passer
au bleu.
As de carreau, m. Le sac du fantassin. Allusion
à sa forme carrée. Syn. Armoire a glace,
Azor, Valise.
Asphyxiants, m. Gaz ou obus asphyxiants. On a reçu des asphyxiants. Ce ne sera
pas un des moindres étonnements des historiens de l'avenir que de voir les moyens
barbares avec lesquels les Allemands ont fait la guerre en plein XX° siècle. La
Grande Guerre n'aura pas seulement été une guerre industrielle, mais aussi une
guerre chimique.
Asphyxier. Abasourdir, ahurir. Je l’ai
asphyxié. Syn. : Asseoir.
Aspi, m. Aspirant. Grade intermédiaire entre adjudant et
sous-lieutenant, créé pendant la guerre.
Asseoir. Stupéfier, faire asseoir d'étonnement. Je l'ai assis. Syn. : Asphyxier.
— Aviat, m. 1° Atterrir en se posant à plat, sans vitesse, en redressant au
moment de toucher le sol. Je vais asseoir
le zinc. 2° S’asseoir, atterrir
en se posant sur la queue et le gouvernail au lieu de se poser sur le train d'atterrissage.
Atterrir, Aviat. Atterrir soi-soi, en
pattes de mouche, sur une fleur, comme une fleur sur des œufs, atterrir
doucement sans choc au moment où l'avion arrive sur le sol. Syn. : Caresser la marguerite.
Attiger, 1° Blesser. Il est bien
attigé, il est gravement blessé, malade. 2° Décimer. Ce régiment est attigé. Vieux mot qui vient du latin attingere, toucher. En argot, il signifiait
frapper, battre ; la guerre lui a donné un usage, très grand — trop grand —
dans un sens un peu différent. Syn. : Amocher.
— Attiger la cabane : Exagérer,
pousser trop loin une plaisanterie. Très usité. Cent fois dans la journée, on
entend un poilu, dont un copain veut « se payer la tête », se rebiffer en disant
: Ah ! Non, tu attiges la cabane !
Ou, en parlant du boche d'en face qui tiraille obstinément : Il attige la cabane ! Entre nous, je crois fort que
l'expression correcte est : attiser la cabale ; mais le poilu a arrangé les mots
à sa façon. Il sait ce qu'il veut dire et ça lui suffit. Dans ce sens, on dit
aussi : attiger tout court : Voir Charrier.
Auber ou aubert, m. Argent
monnayé. D'après Lorédan Larchey, (Dictionnaire historique d'argot), ce mot vient
d’un jeu de mots. Maille désignait à la fois une petite monnaie et un anneau de
haubert (colle de mailles). Le haubert et l'argent étaient donc tous deux une réunion
de mailles.
Auge. f. Gamelle.
Autobus, m. 1° Camion servant au transport des troupes. 2° Morceau de
viande trop coriace pour être mangeable. Vient de la contraction d'automobile
et d'omnibus.
Autochir, f. Ambulance automobile chirurgicale. Argot des majors et des
infirmières. Les autochirs sont constituées par des tentes qui peuvent se
monter en deux heures ; elles s'installent le plus près possible des lignes
pour faire sans délai les opérations urgentes ; le personnel et le matériel
sont transportés par les voitures automobiles d'un G. A. C. (Groupe automobile
chirurgical). — L'ambulance chirurgicale automobile est indiquée généralement sous
les initiales A. C. A.
Autor et achar (d'). D'autorité et avec acharnement.
Auxi, m. Auxiliaire. Ne pas confondre avec occis. Les auxis ont droit à
une place dans notre commisération tout de suite après les occis. Ces borgnes,
bancals, rachitiques et autres cacochymes sont les grands méconnus de la Grande
Guerre : on les emploie à des besognes qui sont souvent au-dessus de leurs
forces et, supplice spécial, on leur fait passer tous les mois une visite
médicale. Un auxi raconte qu'on l'a fait déshabiller vingt-sept fois pour constater
qu'il avait un œil de verre. Pensez à toutes les blessures d'amour-propre
causées par l'étalage de tares secrètes des auxis et vous conviendrez que cela
vaut bien la création d'une brisque spéciale comme pour les blessures de
guerre. Je ne peux mieux compléter le portrait de l'auxi qu'en citant quelques
lignes d'un auteur plein d'humour et d'esprit : « Ah ! plaignons l'auxiliaire,
ce soldat de seconde zone !... J'en sais un qui est atteint à l'heure actuelle
de bronchite chronique à force d'avoir erré dans le costume d'Adam à travers
les courants d'air des dépôts. J'en connais un autre, un peu faible d'esprit
qui, ayant déjà subi treize visites, ne peut plus apercevoir un képi à bande de
velours rouge sans avoir la tentation de se déshabiller : il est à craindre que
cette dangereuse manie, s'il y succombe dans la rue, ne lui vaille quelque jour
d'être traîné au poste et condamné pour outrages publics à la pudeur ». Comme
dit le poète : « Ah ! n'insultez
jamais un auxi même en bombe Car vous ne savez pas sous quel poids il succombe
! »
Avaro, m. Accident. Il a dû lui
arriver un avaro.
Aviatik. m. Genre d'avion boche biplan.
Avoir, Vaincre, maîtriser. On les
aura, on les vaincra (les Boches naturellement). Cette expression a fait
fortune pondant la guerre et on a pu la retrouver jusque dans des ordres du jour
de généraux.
Azor, m. Sac du fantassin. Ce surnom avait été donné du temps où les
sacs étaient recouverts en peau de chien. Syn. Valise. Azor a inspiré à J. Noël un délicat poème, qui définira
mieux que nous ne pourrions le faire les rapports entre Azor et son
propriétaire :
Le Sac
On
sent son amitié qui lourdement vous pèse ;
On
le croit importun, gênant, embarrassant.
On
le laisserait là pour un rien. Et pourtant,
A
la pause, c'est lui qui vous offre une chaise :
Dans
la plaine, au moment où la rafale passe,
Quand
les canons vibrants sèment partout la mort,
Quand
on n'a plus d'espoir, seul il vous aide encor,
Car
il est le rempart, l'abri, la carapace.
Il
est tantôt buffet, garde-manger, armoire ;
Il
compose, à lui seul, un complet mobilier :
Veut-on
dormir? De suite, il se fait oreiller.
Et
s'il voulait parler... il en sait des histoires
O
sac ! vieux compagnon des longs jours de misère.
Ecoute
! si, parfois, j’ai mal parlé de toi,
C'est
que je t'ignorais ; j'eus tort, pardonne-moi,
O
sac, ô mon vieux sac, mon triste ami, mon frère !
A suivre…