ARGOT 1/10

128ème semaine

L’Argot des Poilus
Dictionnaire humoristique et philologique
du langage des soldats de la grande guerre de 1914

François Déchelette
Poilu de 2° classe, Licencié ès lettres


L'auteur au lecteur

Il est de mode dans des milieux très différents d'accabler de mépris l'argot des poilus ou même de nier son existence. On a protesté avec véhémence contre les « bousilleurs du lexique » et raillé « les linguistes de rédactions bourgeoises » qui se plaisent à étudier le vocabulaire argotique. Certes, on a raison de défendre la littérature contre l'invasion de l'argot poilu ; mais il ne faut pas s'exagérer ce péril linguistique : les livres comme le Feu, d'Henri Barbusse, où foisonne l'argot, sont des documents plutôt que de véritables œuvres littéraires. La mode d'écrire en langage poilu ne survivra pas à la guerre et disparaîtra, comme ce langage, avec les circonstances qui l'ont créée. Quand M. Emile Bergerat dit : « La langue française suffit aux héros », il exprime une loi littéraire, mais non un fait ; car si la psychologie des héros peut et doit être exprimée dans notre bonne langue française, il n'en est pas moins vrai que la langue académique n'a pas suffi aux poilus ; loin de là. M. Edmond Valéry Guiscard s'est diverti à présenter l'exégèse des textes poilus comme de « nouvelles fonctions où les mutilés de la guerre pourront déployer leur activité » ; et il se promet « d'assister à la soutenance de thèse du futur Vaugelas Hottentot ». C'est ainsi que les puristes mêlent avec esprit l'ironie au dédain.
Loin du clan des puristes, on trouve des poilus authentiques qui nient l'existence de l'argot poilu ; et les linguistes de l'arrière enregistrent avec joie cet aveu qu'ils croient autorisé. Ils ne se rendent pas compte que le poilu soutient ce paradoxe pour des motifs complexes ; il a honte de mal parler, comme le paysan, qui a honte de son patois — en quoi les deux ont tort du reste, — ou bien il veut cacher ce langage aux profanes de l'arrière.
Nous touchons ici une des lois de l'argot que M. Alfredo Niceforo a fort bien mise en lumière dans le Génie de l'Argot.  «L'Argot », dit-il, « tend à être un instrument de mystère ». Quand le poilu veut persuader au civil que tel mol connu de l’arrière n'est pas ou plus en usage au front, il ne fait que suivre cet instinct de 1’argotier qui le pousse à s'entourer de mystère. L'argot est un instrument de défense d’un groupe et le secret est la condition nécessaire de ce rôle.
Il n'est pas nécessaire d'accumuler des preuves de l’existence de l'argot des poilus. De même que Diogène le Cynique prouvait le mouvement en marchant, les poilus prouvent l'existence de leur argot en le parlant.
Quelques-uns nous chercheront peut-être chicane sur le terme lui-même d'argot et prétendront qualifier ce langage, selon leur fantaisie, de jargon, ou parler ou langage spécial; à l'exclusion du mot argot. Mais nous ne nous attacherons pas à rechercher dans quelle mesure l'argot des poilus est un langage secret, ce qui est pour M. Alfredo Niceforo le signe d'identité de l'argot ; nous nous en tiendrons au sens large que Littré donne au mot « argot », après le sens de langage des vagabonds et voleurs : « Par extension, phraséologie dont se servent entre eux les gens exerçant le même art et la même profession ».
Il est cependant certain que le poilu tend à cacher son argot aux civils, ainsi que nous l'avons dit plus haut. La connaissance de l'argot poilu est comme un signe de l'initiation à la vie du front. Le rapide remplacement d'un mot démodé par un autre, la création d'un grand nombre de doublets, sont des moyens de maintenir ce secret.
Il va de soi que l'argot des poilus n'est pas une langue, car il n'a pas de syntaxe différente du français et si parfois, dans le cours de ce dictionnaire, nous avons employé le terme de « langue poilue », c'était uniquement pour faire ressortir par une plaisante exagération l'unité et la cohésion du langage que les soldats parlent tous de Belgique en Alsace.
L'existence isolée d'un groupe d'hommes, la communauté de sentiments et le fait d'avoir les mêmes occupations professionnelles sont des conditions de choix pour susciter un argot.
Que l'on veuille bien réfléchir à l'abîme qui sépare le poilu du civil dans sa façon de sentir, dans ses occupations journalières, professionnelles en quelque sorte ; que l'on considère que, pendant les premiers mois de la guerre surtout, les poilus vivaient — et mouraient — aussi isolés du reste du monde que des moines cloîtrés ; et l'on ne s'étonnera pas de la naissance de l'argot des poilus.
Que de choses, d'actions, de sensations nouvelles à désigner, pour lesquelles la langue usuelle faisait complètement défaut ! C'est pourquoi le poilu créa des mots qui désignaient ces choses nouvelles ou faisaient mieux image que les mots de la langue courante ; il donna de nouvelles significations à des mots d argot ancien ou moderne, de patois provinciaux ou de français. C'est du début de la Guerre que datent par exemple, dans l'argot des poilus, marmite, marmiter, gros noirs, miaulants, balancer, zigouiller, moulin à café, pépère, bousiller, louper, etc.
Quand, avec l'automne de 1914, arriva la guerre de tranchées, ce vocabulaire s'élargit naturellement à mesure que l'existence du poilu était mieux organisée. Les relèves et les mouvements de troupes, changeant de secteur tout le long du front, aidèrent à la généralisation des mots usités seulement dans de petits groupes. C'est ainsi que l'infanterie coloniale, où l'argot militaire était déjà très développé avant la Guerre, par suite de son esprit de corps, et qui avait un certain prestige sur l’infanterie métropolitaine, imposa des mots comme pinard, jaffe, barda, guitoune, cagnat, nouba, toubib, klebs, etc.
L'ouvrier parisien, profitant de la supériorité que lui donnait le prestige de Paris, répandait son langage imagé. L'argot poilu s'enrichit encore à mesure que se modifiaient l'armement et les méthodes de guerre ; d’où les mots de calendrier, montre, tortue, raquette, valise, tromblon, cagoule, museau de cochon, pilonner, etc.
En même temps, d'autres mots se démodaient comme tigres bleus, bouchers noirs ; des doublets remplaçaient les mots usés ; ainsi se succédèrent pour exprimer la même idée : dégoter, dégauchir, grouper, camoufler.
L'argot d'aviation se développait par suite de l'importance que prenait cette arme. Enfin, après quatre ans de guerre, l'argot des poilus forme un ensemble riche et touffu.
« Le même parler », dit Henri Barbusse, « fait d'un mélange d'argots d'atelier et de caserne et de patois, assaisonné de quelques néologismes, nous amalgame, comme une sauce, à la multitude compacte d'hommes qui, depuis des saisons, vide la France pour s'accumuler au Nord-Est ».
Il semble intéressant pour l'avenir de conserver la clé de ce langage, qui a débordé des tranchées dans les journaux et dans les livres.
Nous espérons que le présent ouvrage, qui comprend plus de 1000 mots, comblera mieux cette lacune que les lexiques parus jusqu'à ce jour. L'auteur a voulu en faire à la fois un travail philologique et un tableau pittoresque de la vie du front. Il a non seulement étudié les mots mais aussi, dans beaucoup d'articles, sous forme de commentaires humoristiques, la vie intime du poilu.
Commencé en 1914 dans la tranchée, ce dictionnaire parut en partie dans le Journal de Roanne. Il lut composé au hasard des loisirs du front et enfin complété pendant une convalescence. C'est dire que les éléments en sont puisés directement dans l'usage . L'auteur n'a pas étudié l'argot des poilus, comme une langue morte ; il l'a parlé ; il a vécu dans le pays où on le parle et il a pu contrôler lui-même les significations qu'il indique — exception faite pour l'argot spécial de l'aviation et de l'aérostation.
Mais, comme un grand nombre de mots, en usage au front, sont déjà connus par l'argot parisien, il a fallu procéder à un choix. Il n'entrait pas dans l'intention, ni dans la compétence de l'auteur, de faire un dictionnaire général de l'argot, mais seulement de donner un lexique qui permît de comprendre le langage des poilus et les œuvres écrites sur la guerre où fourmillent les mots poilus.
Il a donc mis dans ce dictionnaire :
1° Les mots nouveaux de l'argot de la guerre ;
2° Les principaux mots d'argot parisien qui sont d'un usage courant chez les poilus;
3° Les mots d'argots militaires spéciaux (aviation, aérostation, automobilisme). Mais il a systématiquement écarté les mots que l'on trouve dans les dictionnaires spéciaux, c'est-à-dire, soit les mots d'argot parisien les plus connus, soit les mots de technique militaire, comme: parados, parapet, pare-éclats, fusilier-mitrailleur, caponnière, mitrailleuse, etc.
Ces mots ne rentrent pas en somme dans le cadre du langage poilu et se comprennent assez facilement, Cependant l'auteur a admis certains mots qui sont intimement liés à la vie du poilu : vague, Viven-Bessière, réseau, coureur, voltigeur, grenadier, relève, évacuer, évacuation, intérieur, camoufler, camouflage, aviatiks, albatros, artillerie d'assaut...
Ces mots ont pris depuis la guerre une signification particulière qu'on ne trouverait dans aucun ouvrage antérieur; c'est pourquoi nous avons jugé bon de les noter.
Nous avons aussi admis pour la même raison des mots comme : bleuets, les dérivés de boche : bochophile, philoboche, bochisme, etc. qui sont de création savante, mais que l'on trouve dans la presse et dont le poilu a pu se servir accidentellement après les avoir lus.
Pour les mots usuels, la frontière est assez imprécise entre l'argot poilu d'une part et ses sources d’argot ancien, parisien, militaire ou colonial d’autre part. Sauf pour quelques mots assez peu nombreux et que l'on retrouve facilement, par exemple marmite, moulin à café, valise, montre, tortue, etc., une limite serait arbitraire et sujette à des erreurs.
Nous préférons indiquer ici, dans une classification sommaire, les origines très diverses des mots poilus : ce sont :
1° Des mots imagés pour désigner des choses nouvelles ou créer un doublet argotique. Ex. : Calendrier, montre, tortue, raquette, valise, tromblon, cagoule, museau de cochon, ficelles, etc.
2° Des mots français auxquels on a donné un sens nouveau ou que l'on a déformés. Ex. : Filon, graisse de chevaux de bois, guetteur, se taper la tête, embusqué, frigo, auxi, tranchemar, etc.
3° De vieux mots de français ou de patois provinciaux. Ex. : Marre, bourrin, etc.
4° Des mots d'argot parisien ou d'atelier appliqués à la guerre. Ex. : Zigouiller, louper, fade, poteau, boulot, etc.
5° Des mots de caserne. Ex. : Rabiot, boule, fayot, Jus, cabot, pied, rempilé, rata, biffe, citrouillard, etc.
6° Des mots provenant des troupes coloniales (algériennes, tonkinoises, ou sénégalaises), la plupart provenant des langues indigènes. Ex. : Nouba, cahoua, klebs, toubib, guitoune, cagnat, chourn-choum, toumani, bananes, etc.
7° Quelques mots étrangers, allemands, italiens ou anglais. Ex. : Nixe, schlass, schloff, kapout, schnaps, schnick, mariole, bath, ridère, palace, etc.
Enfin, comme nous l'avons dit, il y a une foule de mots d'argot parisien, en usage au front, sans avoir un rapport direct avec la guerre.
Si nous analysons la formation des mots nouveaux de l'argot poilu, nous remarquerons les deux tendances de tous les argots qui consistent : 1° à avilir et dégrade la langue; 2° à matérialiser l'idée.
L'envie de mal parler est instinctive. Du temps de Molière, les turlupins l'avaient déjà. En môme temps, les précieuses avaient le défaut opposé, l’affectation. C'est entre ces deux pôles qu'oscillent perpétuellement les langues. L'avilissement et la dégradation des mots dans le bas langage ont été observés par Raoul de la Grasserie. Le peuple dans son parler transpose au degré inférieur le mot propre, et donne par exemple à une personne le nom d'une chose inerte. Il en est de même en poilu. Ainsi sergent (homme) devient pied, on pied de banc (objet inanimé).
Une autre forme de la dégradation des mots est la déformation par apocope, aphérèse ou par application de suffixe argotique. Ainsi se sont formés : pitaine, piston, juteux, colon, stration, hosteau, véteau, perme, bâton, frigo, auxi, autochir, mitraillou, tranchemar, officemar, mouscaille, tringlot, etc…
La matérialisation de l'idée, qui est l'autre tendance des argots, a fourni beaucoup d'expressions pittoresques : c'est le meilleur du langage poilu, ce qui lui donne sa vigueur, sa couleur et son relief. Ce sont les figures de mots et surtout la métonymie, qui sont à l'origine des mots de cette espèce. Ainsi se sont formés : billard, dragée, mouche à miel, épluchure, marmite, queue de rat, valise, tortue, montre, babillarde, boyau, saucisse, saindoux, chape, téléphoner, pétoir, cloche, etc. Ces mots, issus de la vision directe des choses, font image.
Notons encore que l'argot poilu a une extraordinaire richesse de synonymes dont nous avons facilité le rapprochement par de nombreux renvois.
On comprendra, par ce rapide aperçu, le grand intérêt philologique que présente la formation rapide du langage spécial de la guerre. De plus, cet argot a pour attirer notre attention un autre titre : M. Maurice Donnay l'a indiqué en caractérisant ainsi l'argot des poilus : « Langue que je trouve savoureuse et qu'il faut noter, conserver, parce qu'en l'employant les poilus de la grande guerre lui ont donné ses lettres de noblesse ».
L'auteur de ce dictionnaire a voulu être simplement le greffier de ces lettres de noblesse
F. D.

ABRÉVIATIONS

Adj,                 Adjectif.
Aérost.           Argot des aérostiers.
Autom.          Argot des automobilistes,
Aviat.             Argot des aviateurs.
f.                     Féminin.
m.                   Masculin.
Subst.             Substantif.
Syn.                Synonymes.
Abatage, m. Vive réprimande.
Abatis, m. Les membres du corps humain. Ne s'emploie qu'au pluriel. Numéroter ses abatis, faire le compte de ses membres avant le combat. C'est une précaution indispensable et que le poilu n'oublie jamais : on ne sait pas ce qui peut arriver.
Abeille, f. Balle, éclat d'obus, Syn. Dragée, Marron, Mouche à miel.
Abouler. Donner, remettre. S'abouler, arriver.
Abri, m. Trou couvert de rondins, de tôles ondulées ou de sacs à terre, où l'on se met à l'abri des obus. Syn. : Cagnat, Gourbi, Guitoune.
Abrutir, Aviat. Abrutir un boche, forcer un avion boche à atterrir désemparé dans ses lignes.
Accrocher, Aviat. Attaquer un autre avion. Nous allons l'accrocher.
Accrocher (Se l’). N'avoir rien à manger. S'accrocher une gamelle : même sens. Voir Croûter avec les chevaux de bois. On peut rapprocher se l'accrocher, de l’expression populaire se mettre les dents aux crochets qui a un sens identique.
Acheter. Se moquer de. Tu veux m'acheter, tu veux te moquer de moi. Syn. : Charrier.
Adjupète, m. Adjudant.
Aéro. m. Aéroplane. Le poilu prononce aréo. C'est à ce cri que le soldat se cache dans sa tranchée ou sous les arbres, comme des poussins sous une poule quand on signale un aéroplane boche dans le ciel. Souvent la curiosité lui fait regarder imprudemment le duel émouvant de l'obus et de l'aéro. Et des exclamations de joie saluent les obus quand ils se rapprochent de l'oiseau de malheur. Les aviateurs ne parlent jamais d'aéros, ni d'aéroplanes, mais de coucous. Voir ce mot.
Aiguille à tricoter f. Baïonnette.
Air (En jouer un). S'en aller. L'expression vient d'un calembour sur le mot flûtes qui veut dire Jambes en argot. En jouer un air, c'est jouer un air de flûtes, c'est-à-dire de jambes. Voir se carapater.
Albatros, m. Genre d'avion boche biplan
Alboche, Allemand. Ce mot semble venir soit du croisement d’allemand et de boche, soit plutôt de l'application au mot allemand du suffixe argotique boche que l'on trouve dans fantaboche, rigolboche. S'écrit aussi parfois Alleboche. Syn. : Boche.
Alpin, m. Chasseur alpin. Les Alpins sont les troupes spécialement entraînées dans les Alpes à la guerre de montagne. Ils sont surnommés : diables bleus.
Amener (S). — Arriver. Syn. : S'abouler.
Aminche, m. Ami.
Amochage. m. 1° Etat d'un homme amoché. Il avait un sérieux amochage, il était sérieusement amoché. — 2° Pertes d'une unité. Quel amochage ce jour-là, quelles pertes ce jour-là !
Amocher. Blesser, diminuer. Exactement: rendre moche. Voir ce mot. Amoché, se dit d'un homme blessé ou malade, d'un corps de troupe décimé. Syn. : Attiger.
Amphibie, m. Terme d’injure qui plaît d'autant plus au poilu qu'il sait moins son sens exact. Espèce d'amphibie. Equivalent : animal.
Anzac . Mot formé par la réunion des initiales de l'anglais : Australia and Xew-Zealand army corps, troupes d'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Les journaux anglais parlant des Anzacs, cette expression passa tout naturellement dans la presse française et dans le langage courant. On appelait aussi parfois, par ellipse, l’Anzac, la région de la presqu'île de Gallipoli où se battaient les Anzacs.
Aquiger. Voir Attiger.
Aramon, m. Petit vin. Aramon est un canton du Gard, qui a donné son nom à un plant de vigne ; c'est sous le nom pompeux de ce cru que les bistros parisiens débitent leur vin du Midi.
Arbalète, f. Fusil.
Arbi, m. Arabe. Soldat arabe (algérien, tunisien ou marocain). Abréviation de arbicot, ou arabicot peu employés. Voir Bicot. Ces mots étaient employés, avant la guerre, en Algérie, Tunisie ; on rencontre le mot Arabicot dans la Divine Chanson, par Myriam Harry.
Arbicot. Voir Arbi.
Armoire à glace, f. Sac du fantassin. C'est en effet une armoire où le poilu range ses effets et le dessus brille comme une glace quand il est astiqué, — ce qui n'arrive pas très souvent à la guerre. Syn. : Azor, As de carreau.
Arrivée, f. Arrivée d'obus. Le son d'une arrivée et celui d'un départ sont assez différents, le poilu ne s'y trompe pas. Il y a du reste des cas où l'on ne peut douter que ce soit une arrivée : lorsqu'on reçoit des épluchures, on est tout de suite fixé.
Arrosage, m. Tir d'artillerie, bombardement. Nous avons reçu un arrosage sérieux, nous avons subi un bombardement intense.
Arroser. Bombarder. Syn. : Sonner.
Arrosoir, m. Le canon, parce qu’il sert à arroser.


Artiflot, m. Artilleur. C'est le mot que le troufion renvoie comme une balle de tennis à l'artilleur. Le dédain s'y mêle à une pointe de jalousie, car l'artiflot, restant un peu à l'arrière des lignes, jouit de plus de liberté que le troufion, et fait souvent bombance à la barbe des fantassins qui « la pilent ».  A l'artiflot, les poulets et les bonnes bouteilles ; le singe est bien bon pour le troufion. Tels sont les vrais rapports des deux armes sur lesquels on a écrit tant de graves controverses.
Artillerie d'assaut. Nom administratif du corps des tanks. Voir ce mot.

As, m. 1° Aviat. Aviateur excellent et notamment habile à abattre les appareils ennemis. Un as de la chasse, de l’observation, du réglage du bombardement, du pilotage, de la liaison avec l’infanterie. Pour être un as de la chasse, il faut, réglementairement, avoir abattu — on dit descendu — cinq appareils ennemis ; il faut de plus que ces appareils, sauf les drachen, soient tombés dans nos lignes. A ces conditions, l'aviateur a droit de figurer au communiqué. Le tableau des as les classe suivant le nombre de leurs victoires, et le premier de ce tableau est l'as des as; ce fut, jusqu'à sa fin glorieuse, l'héroïque Guynemer. — Ce n'est pas difficile, disait un as, modeste, d'abattre un boche ; le difficile c'est de le faire homologuer (c'est-à-dire reconnaître par le commandement). Ce n'est qu'une boutade de faire passer pour facile le métier d'as : il faut à la fois avoir son avion parfaitement en mains et avoir du cran ; il faut être dans son coucou comme dans un fauteuil et avoir toutes les audaces, il faut être entraîné à toutes les manœuvres, loopings et glissades, pour attaquer et tromper l'ennemi aérien. L'as est en somme un oiseau de proie qui est, — comme on dit en vénerie, — mis sur l'oiseau boche, que ce soit la grosse bête (zeppelin), ou la moyenne (saucisse), ou la petite (avion). Gomme tout bon chasseur, l'as s'enorgueillit d'un beau tableau, qui lui permet de figurer lui-même au tableau des as. Les as sont les chérubins de la Grande Guerre : ils sont naturellement tous jeunes et beaux et sont entourés d'une admiration attendrie par le public, surtout par le public féminin. N'ont-ils pas écrit une page nouvelle dans l'histoire du monde ? N'ont-ils pas fait les premiers la guerre dans les airs au péril de leur vie ?
Ces bourreaux des Boches sont aussi des bourreaux des cœurs. Ces vainqueurs des tournois aériens sont désarmés dès qu'ils ont quitté leur carlingue, et le petit dieu Eros — un as lui aussi — les abat, dit-on, aisément de ses flèches.
2° Soldat habile en sa spécialité par analogie avec les as de l'aviation. Comme mécano, c'est un as.
As (à l’). Riche. Expression tirée du jeu da cartes. On dit : être à l'as, ou être aux as, être riche. Mec à l'as, type à l'as, homme riche. Syn. : type au pèze, au pognon, rupin, mec au bull, magnifique. — Passer à l’as, passer inaperçu, disparaître en parlant des choses. Syn. : passer au bleu.
As de carreau, m. Le sac du fantassin. Allusion à sa forme carrée. Syn. Armoire a glace, Azor, Valise.
Asphyxiants, m. Gaz ou obus asphyxiants. On a reçu des asphyxiants. Ce ne sera pas un des moindres étonnements des historiens de l'avenir que de voir les moyens barbares avec lesquels les Allemands ont fait la guerre en plein XX° siècle. La Grande Guerre n'aura pas seulement été une guerre industrielle, mais aussi une guerre chimique.
Asphyxier. Abasourdir, ahurir. Je l’ai asphyxié. Syn. : Asseoir.
Aspi, m. Aspirant. Grade intermédiaire entre adjudant et sous-lieutenant, créé pendant la guerre.
Asseoir. Stupéfier, faire asseoir d'étonnement. Je l'ai assis. Syn. : Asphyxier. — Aviat, m. 1° Atterrir en se posant à plat, sans vitesse, en redressant au moment de toucher le sol. Je vais asseoir le zinc. 2° S’asseoir, atterrir en se posant sur la queue et le gouvernail au lieu de se poser sur le train d'atterrissage.
Atterrir, Aviat. Atterrir soi-soi, en pattes de mouche, sur une fleur, comme une fleur sur des œufs, atterrir doucement sans choc au moment où l'avion arrive sur le sol. Syn. : Caresser la marguerite.
Attiger, 1° Blesser. Il est bien attigé, il est gravement blessé, malade. 2° Décimer. Ce régiment est attigé. Vieux mot qui vient du latin attingere, toucher. En argot, il signifiait frapper, battre ; la guerre lui a donné un usage, très grand — trop grand — dans un sens un peu différent. Syn. : Amocher. — Attiger la cabane : Exagérer, pousser trop loin une plaisanterie. Très usité. Cent fois dans la journée, on entend un poilu, dont un copain veut « se payer la tête », se rebiffer en disant : Ah ! Non, tu attiges la cabane ! Ou, en parlant du boche d'en face qui tiraille obstinément : Il attige la cabane ! Entre nous, je crois fort que l'expression correcte est : attiser la cabale ; mais le poilu a arrangé les mots à sa façon. Il sait ce qu'il veut dire et ça lui suffit. Dans ce sens, on dit aussi : attiger tout court : Voir Charrier.
Auber ou aubert, m. Argent monnayé. D'après Lorédan Larchey, (Dictionnaire historique d'argot), ce mot vient d’un jeu de mots. Maille désignait à la fois une petite monnaie et un anneau de haubert (colle de mailles). Le haubert et l'argent étaient donc tous deux une réunion de mailles.
Auge. f. Gamelle.
Autobus, m. 1° Camion servant au transport des troupes. 2° Morceau de viande trop coriace pour être mangeable. Vient de la contraction d'automobile et d'omnibus.
Autochir, f. Ambulance automobile chirurgicale. Argot des majors et des infirmières. Les autochirs sont constituées par des tentes qui peuvent se monter en deux heures ; elles s'installent le plus près possible des lignes pour faire sans délai les opérations urgentes ; le personnel et le matériel sont transportés par les voitures automobiles d'un G. A. C. (Groupe automobile chirurgical). — L'ambulance chirurgicale automobile est indiquée généralement sous les initiales A. C. A.
Autor et achar (d'). D'autorité et avec acharnement.
Auxi, m. Auxiliaire. Ne pas confondre avec occis. Les auxis ont droit à une place dans notre commisération tout de suite après les occis. Ces borgnes, bancals, rachitiques et autres cacochymes sont les grands méconnus de la Grande Guerre : on les emploie à des besognes qui sont souvent au-dessus de leurs forces et, supplice spécial, on leur fait passer tous les mois une visite médicale. Un auxi raconte qu'on l'a fait déshabiller vingt-sept fois pour constater qu'il avait un œil de verre. Pensez à toutes les blessures d'amour-propre causées par l'étalage de tares secrètes des auxis et vous conviendrez que cela vaut bien la création d'une brisque spéciale comme pour les blessures de guerre. Je ne peux mieux compléter le portrait de l'auxi qu'en citant quelques lignes d'un auteur plein d'humour et d'esprit : « Ah ! plaignons l'auxiliaire, ce soldat de seconde zone !... J'en sais un qui est atteint à l'heure actuelle de bronchite chronique à force d'avoir erré dans le costume d'Adam à travers les courants d'air des dépôts. J'en connais un autre, un peu faible d'esprit qui, ayant déjà subi treize visites, ne peut plus apercevoir un képi à bande de velours rouge sans avoir la tentation de se déshabiller : il est à craindre que cette dangereuse manie, s'il y succombe dans la rue, ne lui vaille quelque jour d'être traîné au poste et condamné pour outrages publics à la pudeur ». Comme dit le poète : « Ah ! n'insultez jamais un auxi même en bombe Car vous ne savez pas sous quel poids il succombe ! »
Avaro, m. Accident. Il a dû lui arriver un avaro.
Aviatik. m. Genre d'avion boche biplan.
Avoir, Vaincre, maîtriser. On les aura, on les vaincra (les Boches naturellement). Cette expression a fait fortune pondant la guerre et on a pu la retrouver jusque dans des ordres du jour de généraux.

Azor, m. Sac du fantassin. Ce surnom avait été donné du temps où les sacs étaient recouverts en peau de chien. Syn. Valise. Azor a inspiré à J. Noël un délicat poème, qui définira mieux que nous ne pourrions le faire les rapports entre Azor et son propriétaire :

Le Sac

On sent son amitié qui lourdement vous pèse ;
On le croit importun, gênant, embarrassant.
On le laisserait là pour un rien. Et pourtant,
A la pause, c'est lui qui vous offre une chaise :

Dans la plaine, au moment où la rafale passe,
Quand les canons vibrants sèment partout la mort,
Quand on n'a plus d'espoir, seul il vous aide encor,
Car il est le rempart, l'abri, la carapace.

Il est tantôt buffet, garde-manger, armoire ;
Il compose, à lui seul, un complet mobilier :
Veut-on dormir? De suite, il se fait oreiller.
Et s'il voulait parler... il en sait des histoires

O sac ! vieux compagnon des longs jours de misère.
Ecoute ! si, parfois, j’ai mal parlé de toi,
C'est que je t'ignorais ; j'eus tort, pardonne-moi,
O sac, ô mon vieux sac, mon triste ami, mon frère !

A suivre…