ARGOT 2/10

129ème semaine

L’Argot des Poilus
Dictionnaire humoristique et philologique
du langage des soldats de la grande guerre de 1914

François Déchelette
Poilu de 2° classe, Licencié ès lettres


Baba. Ebahi, stupéfait, pantois. J'en suis baba. Syn. Tomate.
Babakoute, m. Nom donné aux tirailleurs noirs ou jaunes. Argot des troupes coloniales. Voilà des babakoutes.
Babillarde, f. Lettre. « Je vas faire une babillarde ». Et le poilu cherche dans sa poche une carte postale. Il sent une vague de sentiments tendres lui monter au cœur; il sait que des femmes chez lui attendent anxieusement de ses nouvelles, pensent à lui en tricotant au coin du feu ; alors il voudrait être bavard, mais il ne sait comment s'y prendre ; il n'a pas l'habitude d'écrire, ni surtout d'exprimer sur le papier les idées obscures qu'il sent s'agiter en lui-même. Bien sûr, s'il était chez lui, il saurait parler et puis un baiser en dit plus long que tous les mots; il pourrait bien raconter ce qu'il fait, ce qu'il voit, mais n'est-ce pas défendu par les chefs ? Il tourne et retourne son crayon; il met l'adresse en attendant l'inspiration ; il mouille plusieurs fois son crayon sur sa langue ; enfin, il écrit : Je vais bien et j’espère que la présente te trouve de même. Ton Gustave. Ouf ! ça y est: la babillarde est faite. Le poilu se défie des effusions de la sensibilité bonnes tout au plus pour les femmes; il ne veut pas s'attendrir pour garder tout son courage ; la « bavardise » de la correspondance est une concession faite aux femmes; il la réduit au minimum ; mais les deux lignes de sa babillarde, dans leur concision militaire, en disent autant que quatre grandes pages.
N'y a-t-il pas l’essentiel : « Je vis toujours ». C'est un certificat de vie. Ceux qui écrivent plus longuement, en arrivent tous à mentir : il faut bien qu'ils persuadent à leur femme que la guerre est un jeu d'enfants, en même temps qu'ils narrent à leur marraine les périls qu'ils courent et leurs prouesses imaginaires. Syn. Bafouille.
Bac, m. s. Tuyau, potin. Le bac à rab, le trou où l'on enterre les détritus de cuisine.
Bafouille, f. Lettre. Syn. Babillarde.
Bafouiller, Autom. et aviat. Se dit d'un moteur qui marche mal, a des ratés. Ce moulin bafouille.
Bagnole, f. Vieille voiture, vieille charrette, vieille automobile.
Bagotage, m. Marches à pied. Le bagotage, ça me connait.
Bagoter ou bagotter, Marcher, faire des marches. Bagoter, ou faire des bagots, c'était, en argot parisien, courir après les voitures pour décharger les bagages et ceux qui faisaient ce métier s'appelaient bagotiers. Le poilu a donné à ce mot une signification nouvelle. Tu parles d'un filon de bagoter dans cette mouscaille, c'est-à-dire ce n'est pas un plaisir de marcher dans cette boue (Pierre Mac Orlan, les Poissons morts, p. 217).
Baguenauder (Se). 1° Marcher: 2° flâner. Mot appliqué ironiquement aux plus fatigantes marches militaires.
Baguettes, f. Galons qui indiquent les fonctions de fourrier et se portent sur la partie supérieure des manches.
Baiser. Prendre en défaut, en faute. Le piston l’a baisé.
Balancer. 1°. Jeter au rebut. On dit dans le civil : balancer un panier à salade, balancez vos dames. Dans le poilu on dit J'ai balancé ma bidoche, ma chemise, mes chaussettes, c est-à-dire je les ai jetées pour m'en débarrasser. Le soldat a toujours peur de s'encombrer des objets dont il ne voit pas l'utilisation immédiate, et cela se comprend puisqu'il doit porter sa maison sur son dos. Dans la guerre de mouvement des premiers mois on balançait les objets avec d'autant plus de facilité qu'on était sûr de trouver dans le fossé ou ailleurs tout ce dont on pouvait avoir besoin.
2° Lancer. Qu'est-ce qu'ils nous balancent comme obus !
3° Conformé. Un mec bien balancé, un homme bien conformé, à l'aspect vigoureux. Elle est bien balancée, la grande, elle a de la branche. En ce sens, on dit parfois ballotté.
S'en balancer, s'en moquer, s'en ficher.
4° Aviat. Secoué. Etre balancé, être secoué parles remous.
Ballonnier, m. Aérostier.
Ballot, m. 1° Imbécile, idiot, bêta. Terme d'injure. Eh ! va donc, ballot !
2° Aviat. Nom par lequel les aviateurs désignent l'observateur qu'ils transportent. Syn. en ce sens : Colis, Paquet, Sac.
Ballotté. Conformé. Il est bien ballotté, il est bien conformé, il a l'air vigoureux. On dit de façon plus générale balancé.
Balochard, m. Imbécile, idiot, bêta. Dérivé de ballot. Très vieux mot. Balochard était vers 1840 un personnage de carnaval. On dit aussi Baluchard, dérivé de baluchon.
Banane, f. Médailles coloniales ou médaille militaire.
Bancal, m. Sabre de cavalerie.
Bande, f. Bande de mitrailleuse, ensemble des cartouches réunies ensemble pour passer dans la mitrailleuse.
Banque. Faire sauter la banque, faire sauter une route à la mine, par une allusion plaisante au jeu de baccara.
Baptiser. Baptiser le pinard, y rajouter de l'eau. Les mauvaises langues disent que les cuistots s'entendent fort bien à ces baptêmes peu catholiques; par ce baptême du pinard, est renouvelé le miracle des noces de Cana.
Baraque, f. 1° Maison démontable en planche, inventé par Adrian. Il y a sur le front de véritables villages de baraques. Une baraque Adrian. Les constructeurs de baraques ont comme insigne sur la manche une baraque. 2° Brisque, parce qu'elle ressemble à un toit de baraque. Voir Brisque.
Barbant. Ennuyeux.
Barbaque, f. Viande. Sens péjoratif : viande coriace. Se dit ironiquement d'un homme. Amène ta barbaque, arrive.
Barbe, f. La barbe, taisez-vous, vous m'ennuyez.
Barber. Ennuyer. Syn. : Raser.
Barbotage, m. Action de voler, Il s’y entend pour le barbotage, pour voler.
Barboter. Voler. Syn.  Chauffer, Choper, Grouper, Camoufler.
Barboteur, m. Voleur.

Barda, m. On dit aussi Bardin. C'est le bagage du soldat : tout ce qu'il a à se mettre sur le dos pour partir s'il y a une alerte. Le barda comprend la cartouchière et la baïonnette qui forment avec les bretelles de suspension un seul harnachement, le bidon, la musette, le sac — Azor de son petit nom — et le fusil.
C'est évidemment Azor qui est la pièce de résistance, le fardeau qu'on est toujours prêt à poser par terre au moindre arrêt. Lorsqu'on égrène le chapelet des kilomètres sur la route, le commandement « sac à terre » retentit comme une fanfare joyeuse et « sac au dos » comme un claquement de fouet sur des chevaux de labour. Et si l'on ne peut déposer Azor, on l'appuie sans le quitter contre un arbre ou sur le canon du fusil : et puis, de temps en temps, on donne en marchant un coup de reins qui remonte le sac et desserre un instant l'étreinte des courroies.
Mais quand on a porté ainsi Azor tout le jour cahin-caha, on est tout de même heureux de le trouver le soir ; on le bénit après l'avoir maudit. L'homme est ainsi fait qu'il s'attache, dans la mesure de ses souffrances, aux personnes et aux choses qui les ont causées. Aussi le poilu aime-t-il Azor, comme les parents chérissent les enfants qui leur ont donné du souci.
C'est qu'Azor sert à tout : c'est un oreiller pour la nuit, — tant pis si le matin on se réveille avec le tranchant d'une pelle-bêche incrusté dans la tempe ; c'est, un siège, une table à écrire, une armoire qui renferme tout le « petit fourbi » du soldat : son linge, ses lettres, ses photographies, sa boîte à singe, du tabac et du chocolat, etc., le tout surmonté de la couverture, de la toile de tente, d'un outil et d'un plat ou d'une marmite de campement. C'était même parfois un bouclier qui protégeait les têtes des shrapnells et des éclats de marmites, avant l'adoption du casque.
Avec cela, le poilu peut aller jusqu'au bout du monde ; il porte tout avec lui. C'est un excellent exercice moral pour le poilu d'avoir à porter son barda, car il n'est rien de tel pour vous apprendre à restreindre vos besoins et vos désirs ; on se passe aisément de bien des choses qui compliquent inutilement la vie du ciblot. Ce qui est du nécessaire pour le pékin devient du superflu pour le poilu.
Si l'on cherche ce qui est le plus nécessaire au poilu dans le barda, les armes mises à part, c'est sans hésitation le bidon. Il n'y a rien qui donne soif comme de se battre : le pinard ou, au pis-aller, la flotte, est aussi indispensable que les cartouches et celui qui a pu « dégauchir » sur quelque champ de bataille un bidon de 2 litres des troupes d'Afrique, celui-là porte un talisman contre la fatigue.
Si nous remontons aux temps préhistoriques de la paix, que nous appellerons l'époque prépoilue, cette période où l'Europe était mollement couchée sur des pointes de baïonnettes, nous trouvons que le mot « barda » désignait l'exercice que les hommes punis de prison (on dit : de grosse) faisaient avec le barda complet, d'où le verbe « ça barde ».
Barda vient d'Algérie où il désigne la charge d'un homme, d'un mulet. A rapprocher de l'italien bardatura, harnachement. Syn. : Bazar, Bordel.
Barder. Manœuvrer avec excès, jusqu'à la fatigue, soutenir de durs combats. Ça barde, expression s’appliquant à tous les cas où on ne sait où donner de la tête, que ce soit sous une réprimande ou sous les obus. Ça va barder, vous allez barder. Vient de Barda. Voir ce mot.
Bardin, m. Bagage du soldat ; on dit plutôt Barda. Voir ce mot.
Barouf, ou Baroufle, m. Bruit. Faire du baroufle, Vient de l'italien baruffa, altercation.
Barrer (Se). S'en aller. Voir se carapater.
Bas-du-cul, m. Homme très petit.
Bastos, f. Cartouche, balles. Terme, tiré de la ressemblance des cartouches avec les cigarettes Bastos.
Bataillonnaire, m. Soldat des bataillons d'Afrique (Infanterie légère). Syn. : Joyeux, Bat'd'Af' .
Bat'd'Af, m. 1° Bataillon d'Afrique. Il arrive des bat’d'af ; 2° Soldat des bataillons d'Afrique (Infanterie légère). Syn. : Joyeux, Bataillonnaire.
Bateaux, m. Souliers. On dit aussi : bateaux-mouches.
Bath, Epatant, beau, joli. Mot ancien dans l'argot parisien : il nous vient d'Angleterre, de la ville d'eau de Bath, célèbre par son élégance il y a plus d'un demi-siècle. Syn. : Palace, Ridère.
Bâton, m. 1° Bataillon. C'est le 3° bâton qui attaque. Mot contracté.
2° Jambes. Mettre les bâtons, s'en aller, partir.
Batterie de cuisine, f. Collection de plusieurs décorations.
Battre. S'emploie avec l'auxiliaire avoir pour « se battre ». Ce régiment n'a pas encore battu.
Bazar, m. 1° Bruit. Faire du bazar, faire du bruit. Syn. Faire du foin, du barouf, du chambard. 2° Bagage du soldat. Syn. : Fourbi, Barda.
Bébé, m. Aviat. L'aréoplane de chasse Nieuport à une place, appareil favori des as, comme le Spad et le Sopwith.
Bec de gaz, Tomber sur un bec de gaz, voir Tomber.
Bec d'ombrelle (Se trouver). Être désappointé, déçu. Je me suis trouvé bec d'ombrelle.
Becquetance, f. Nourriture.
Becqueter. Manger. Becqueter des clarinettes, jeûner, littéralement : manger des fusils.
Bégonias. Cherrer dans les bégonias. Voir Cherrer. Se bigorner les bégonias. Voir Bigorner.
Béguin, m. Amour, passion caprice. Avoir le béguin ou un béguin pour quelqu'un, en être amoureux. Le béguin est une coiffure dont on est coiffé comme de quelqu'un qu'on aime. Mot en usage depuis longtemps.
Berlingot, m. Camion automobile. Vient du nom de la marque Berliet déformé.
Berlue, f. Couverture. La berlue est un objet qui embarrasse le poilu le matin quand il faut la mettre sur le sac, mais qu'il est bien heureux de retrouver le soir s'il se couche. Syn. : Couverte.
Besef. Beaucoup. Vient de l'arabe. Pas besef, pas beaucoup.
Bestiau. m Bête. S'applique à toute sorte de bêtes. Ce bestiau-là, peut être un chien, un cheval, voire un homme.
Bibi, m. 1° Soldat. Bibi de 1°, de 2° classe ; simple bibi. Diminutif de biffin ; 2° Moi.
Bibine, f. Mauvaise bière.
Bicot, m. Tirailleur arabe. Dérivé d'arbicot. Le mot a un sens un peu dédaigneux que les indigènes connaissent fort bien. Si vous voulez appliquer les principes de la civilité poilue et honnête, ne traitez pas un arabe de bicot ; appelez-le sidi; il sera content de ce terme plein de considération.
Bicyclette, f. Seau hygiénique en usage dans les hôpitaux.
Bide, m. Ventre.
Bidoche, f. Viande.
Bidon, m. Ventre.
Biffe, f. Infanterie. Les gars de la biffe, les fantassins.
Biffin, m. Fantassin. Ce mot désignait les chiffonniers qui portent la hotte et a été appliqué aux fantassins parce qu'ils portent le sac.


Bigorneau, m. Fantassin. Ce surnom, qui existait déjà dans l'argot avant la guerre (voir Bruant, l’Argot au xx° siècle, p. 4o8), désignait d'abord les soldats de l'infanterie de marine qui restent attachés à la côte comme le coquillage appelé bigorneau.
Bigorner. Aviat. Casser. Bigorner un zinc, casser un avion. Se bigorner les bégonias, se casser les jambes dans une chute en avion. Se bigorner, se tuer.
Bigorre, m. Artilleur de marine.
Biler (Se). Se faire de la bile, du mauvais sang. Ce n'est généralement pas le cas du poilu et ce verbe est plutôt employé avec la négation : Y se bile pas, te bile pas.
Billard, m. 1° L'espace vide entre les réseaux barbelés français et ennemis. Le billard est une terre sans occupant, ni propriétaire — res nullius — que les Anglais appellent no man's land, la terre qui n'appartient à personne ; on y voit des trous d'obus et des cadavres à demi dévorés par les rats, ce qui n'empêche pas l'herbe d'y verdir et les coquelicots d'y fleurir avec grâce. C'est la zone de mort et d'épouvante que I’on ne foule point, de jour, impunément, où la nuit les patrouilles se battent à coups de grenades ; c'est la frontière provisoire où les Boches qui en ont assez arrivent en rampant et crient : Kamarade ! en levant les bras.
2° La table d'opération dans les hôpitaux. Nos blessés, qui gardent le sourire jusque dans les pires souffrances, ont ainsi baptisé le meuble trapu et quadrangulaire, où le chirurgien les étend pour trancher, découper, extraire ou gratter... Les carambolages s'y font souvent hélas! avec des quilles et les pauvres amputés n'y voient, comme bandes, que celles du pansement. Monter sur le billard, être opéré,
Bilotter (Se). Se faire de la bile, du mauvais sang. Te bilotte pas.
On dit aussi se bilter. Syn : Se Biler.
Bimoulin, m. Aviat. Nom donné à l'aéroplane Caudron à deux moteurs {moulin), qu'on appelle aussi G4.
Binette, f. Tête, figure.
Biniou, m. 1° Clairon (l'instrument) ; 2° Clairon (l'homme qui en joue).
Bique, f. Vieux cheval.
Biribi. Les compagnies de discipline. Envoyer à Biribi.
Bistro, m. Cabaretier, marchand de vin.
Bizeness, m. Travail. Tu parles d'un bizeness ! Drôle de travail. Vient de l’anglais business, affaire.
Blair, m. Nez. T'en as un blair ! tu en as un nez !
Blairer. Sentir. Les Boches, y ne peut pas les blairer.
Bled, m. Campagne reculée, déserte. Mont arabe. Le bled de première ligne, la zone des premières lignes.
Bleu, m. Vêtement bleu de travail pour les mécaniciens de l'aviation ou de l'automobilisme. Je vais mettre mon bleu. S'emploie aussi au pluriel : mes bleus, parce que le vêtement se compose de deux pièces, pantalon et veste.
Bleu, m. Au temps de paix, un bleu était un conscrit arrivant à la caserne, un jeune soldat. Au pays poilu, un bleu est celui qui n'a pas encore vu la guerre de près, qui n'a pas encore reçu le baptême du feu.
Bleuet, m. Soldat de la classe 1917 (on dit la classe 17). Pour une fois, nous connaissons l'auteur d'un mot poilu : bleuet fut lancé par M. Lucien Descaves dans le Journal, adopté d'enthousiasme par la presse et le grave Temps l'imprima — précisons, le 13 février 1916 — sans indication d'origine comme un mot définitivement consacré. C'est un joli mot : les bleuets sont ceux qui n'ont pas connu d'autre uniforme que le bleu horizon, un bleu tout neuf que la guerre n'a pas maculé de sang, ni de boue ; les bleuets sont bleus comme l'idéal, comme l'oiseau bleu couleur du temps des contes de fées et les mères les couvent encore du regard...
Après un succès éphémère, ce mot, tomba un peu en désuétude, surtout après l'arrivée de la classe 18.
Bleusaille, f. Bleu avec un sens péjoratif. C'est de la bleusaille ! Bleusaille, va !
Blindé. Ivre.
Bobard, m. Nouvelle d'une origine et d'une exactitude douteuse. Boniment d'un hâbleur. Des bobards à la noix. Syn. : Perco.
Bobine, f. Tête. Il en fait une bobine !
Bobosse, m. Fantassin. Diminutif à la manière enfantine de Fantabosse. Très usité.
Boche. Allemand. M. L. Sainéan a noté (l'Argot des tranchées) que le mot boche désignait vers 1866, dans le monde de la galanterie, un mauvais sujet, ayant une mauvaise caboche et qu'il s'appliqua, vers 1874 aux typographes d'origine allemande, dans la locution tête de boche. On désignait aussi les Allemands sous les noms de têtes carrées, têtes de choucroute ; ces locutions simplifiées sont devenues choucroutman (Bruant, l'Argot au XX° siècle) et boche.
Alboche est venu soit du croisement d'allemand et de boche, soit plutôt de l'application au mot allemand du suffixe argotique boche, que l'on trouve dans fantaboche, rigolboche. Il semble bien difficile d'établir la véritable origine du mot boche ; mais nous penchons à croire qu'il vient, par anagramme, de schwob, terme de mépris, que les Alsaciens appliquent aux Allemands. La formation des mots par la lecture à l'envers n'a guère été employée qu'au XIX° siècle dans l'argot des bouchers, mais la popularité de cet argot a bien pu faire appliquer ce procédé au mot schwob.
Nous soumettons cette hypothèse à la sagacité des chercheurs.
Le mot boche existait avant la guerre, en même temps» qu'alboche, dans le sens d'allemand. Mais la Grande Guerre a augmenté son sens péjoratif de toutes les barbaries dont les Allemands se sont rendus coupables et lui a donné un usage universel. — Aviat. Un boche, dans l'argot des aviateurs, c'est un avion boche.
Bocherie, f. Acte ou théorie à la manière boche.
Bochie, f. Allemagne.
Bochiser. Etre germanophile.
Bochisme, m. L'ensemble des théories boches .
Bochonnerie, f. Acte condamnable, à la manière boche. Mot formé par analogie avec cochonnerie.
Bochophile. Adj. Germanophile.
Bois, m. Jambes. Mettre les bois, ou les bouts de bois, s'en aller. Voir se carapater.
Boîte, f. Prison. Syn. : Caisse, Grosse, Tôle.
Boîte à dominos, f. Cercueil. Les dominos, ce sont les os.
Boîte à singe, f. 1° Boîte de bœuf en conserve; 2° obus de 77 boches que les poilus ne regardaient pas comme plus dangereux qu'une vraie boîte à singe au commencement de la guerre.
Bombardier, m. Celui qui sert les mortiers de tranchées. Syn. : Torpilleur, Crapouilloteur.
Bombe, f. 1° Fête, réjouissance. Faire une petite bombe, être en bombe. Diminutif de bombance ; 2° projectile lancé par les crapouillots.
Bomber (se). Se passer de quelque chose, jeûner. Tu peux toujours te bomber. Syn. : Se mettre la ceinture.
Bon. Y a bon, ça va bien. Cette phrase forme souvent la moitié du vocabulaire des tirailleurs arabes ou nègres, l'autre moitié étant constituée par y a pas bon.
Bonbon, m. Aviat. Bombe qu'emportent les avions de bombardement. Place tes bonbons, laisse tomber tes bombes. Syn. : Dragée.
Bonhomme, m. Soldat. On dit au pluriel « les bonhommes » et Joffre lui-même a suivi là-dessus l'usage poilu. Les poilus entre eux ne parlent jamais de poilus, mais de « bonhommes »; à l'avant, poilu n'est guère usité que par les officiers : Il me faut quatre poilus débrouillards pour une patrouille, dira le capitaine. Le capitaine demande quatre bonhommes, dira le poilu.
Bono. Bon. Mot de sabir. Bono besef, très bon. Macach bono, pas bon.
Bordel, m. Le bagage du soldat. Syn. : Fourbi, Bazar, Barda.
Bossant. Drôle. C'est bossant.
Bosser. Travailler. Syn. : Boulonner, en mettre un coup, une secousse, buriner, gratter.
Bouchers noirs, m. Artilleurs. Ce macabre surnom était surtout usité au début de la guerre quand les artilleurs avaient l'uniforme de drap noir ; le bleu horizon l'a fait tomber en désuétude.
Boucler, 1° Se taire ; 2° Punir.
Bouffarde, f. Pipe. Syn. : Quenaupe.
Bouffer. Manger.
Bouif, m. Cordonnier.
Bouillasse, f. Boue. Syn. : Mouscaille, Mouise.
Bouillotte, f. Tête. As-tu vu la bouillotte qu’y faisait ? Se faire casser la bouillotte.
Boule, f. 1° Un pain. On disait jadis boule de son. Chaque homme reçoit une demi-boule par jour ; les boules portent inscrit en creux la date de leur fabrication.
2° Engagé volontaire ; dans ce sens, on dit aussi « un fayot » : Çui-là, c'est une boule.
Bouler. Envoyer bouler quelqu'un, envoyer promener quelqu'un, littéralement le faire rouler comme une boule.
Boulonner. Travailler. Terme d'atelier. Voir Bosser.
Boulot, m. Travail. M. L. Sainéan, dans l’Argot des Tranchées, explique que les menuisiers du faubourg Saint-Antoine disaient en maugréant: « Y a du bouleau », chaque fois qu'ils étaient forcés d'employer du bois de bouleau au lieu de sapin, parce que le bouleau se travaille difficilement. Le bouleau devint ainsi synonyme de travail dur, pénible, et passa dans les autres corps de métiers ; mais son origine s'oublia et on l'écrivit boulot, qui se trouve dans les Doléances de Jehan Rictus.
Le Boche est encore plus dur à travailler que le bouleau; il n'est donc pas étonnant que le poilu ait appliqué ce mot à son petit travail ordinaire. Drôle de boulot, tout de même !
Boulottage, m. Nourriture.
Boulotter. 1° Manger. 2° Travailler. 3° Aller comme il faut. Ça boulotte, ça va bien.
Bourrage de crâne, m. Hâblerie. C'est encore du bourrage de crâne. Voir Bourrer le crâne.
Bourre, f. Lutte, rossée. Y a de la bourre, le combat est dur. Je vais te flanquer une bourre, je vais te rosser.
Bourrer le crâne. Syn. : Gonfler le mou. En faire accroire, imposer une opinion toute faite à quelqu'un.
L'esprit humain est une mécanique délicate qui se détraque facilement ; aussi n'est-il pas étonnant que cette grande catastrophe qu'est la guerre, prive les hommes de leur intelligence au moment même où la gravité des événements augmente les difficultés de juger sainement. D'où la nécessité d'y suppléer par des jugements tout faits que l'on fournit aux hommes de la même façon que les uniformes, le pain et le tabac : c'est ce qu'on appelle bourrer le crâne. Cette pratique est vieille comme le monde; les grands conquérants, que ce soit Alexandre, Mahomet ou Napoléon, fanatisaient leurs soldats, dit l'histoire : bourrage de crâne. Tyrtée enflammait les Grecs de ses chants guerriers, tel notre moderne d'Annunzio : encore un bourreur de crâne. Démosthène excitant les Athéniens à s'armer contre Philippe de Macédoine, ne faisait pas autre chose que bourrer le crâne à ses concitoyens. Et si les Athéniens l'avaient mieux écouté, la face de l'histoire eût été changée. C'est dire que le bourrage de crâne a du bon, quoi qu'en pense l'orgueil humain. Dans les moments critiques de l'histoire, un peuple est incapable de saisir le sens de l'histoire pour appliquer tout son effort au point utile, une minorité le fait alors pour tous. C'est l'état de siège de la raison humaine.
Cela, c'est ce que j'appellerai le bourrage de crâne officiel ; mais on emploie aussi l'expression dans mille circonstances, de la vie quotidienne. Le poilu qui raconte ses campagnes à sa cousine ou à sa marraine lui bourre le crâne, lui en fiche plein la vue, lui en fait un plat, une tartine; entre poilus, c'est à qui gonflera le mou à l'autre par ses vantardises. Dans tous les temps, le soldat s'est plu à embellir par l'imagination le récit de ses exploits. Qu'importe la vérité historique, si cela plaît aux femmes !
Bourreur de crâne, m. Celui qui bourre le crâne. C’est encore un bourreur de crâne.
Bourrin ou Bourin, m. Cheval. Même radical que bourrique. Se trouve dans certains patois provinciaux.
Bousculer le pot de fleurs. Exagérer une blague. Voir Charrier.
Bousiller, 1° Tuer. Voir Zigouiller; 2° Aviat. Casser, détruire. Bousiller un coucou, détruire un avion par accident. Se bousiller, se tuer. En argot d'atelier, bousiller signifie faire de la mauvaise besogne, mal exécuter un travail.
Bousine, f. Autom. Camion automobile.
Bout de bois, m. 1° Jambes. Mettre les bouts de bois, ou les bois, s'en aller, fuir.
2° Aviat. Le bout de bois, c'est l'hélice. Tirer sur le bout de bois, lancer l'hélice.
Bouts d'allumettes. Aviat. Faire des bouts d’allumettes. Casser le fuselage d’un avion en atterrissant. On dit aussi: Casser du bois.


Boyau, m. C'est une invention de la guerre de tranchées. Pour arriver aux tranchées de première ligne, on est souvent à découvert et toujours susceptible de se voir arrêté en route par des projectiles variés ; c'est ennuyeux. Aussi a-t-on creusé des fossés où l'homme disparaît entièrement ; certains sont même assez larges et profonds pour dissimuler des cavaliers: ce sont les boyaux.
On y est en sécurité tant que la marmite ne tombe pas juste sur le boyau, et si elle y tombe, les zig-zags du boyau limitent à quelques mètres la zone de projection des éclats. C'est très bien inventé comme vous voyez, mais c'est un travail formidable, d'autant que les boyaux se multiplient à l'infini. Il y en a qui mènent aux premières lignes, d'autres qui les longent à quatre ou cinq mètres, avec des couloirs de communication, d'autres qui relient entre elles des redoutes, d'autres qui donnent accès aux abris, aux dépôts de munitions ou aux postes de secours. C'est dans cet entrelacis de boyaux qu'une avance trouve son plus gros obstacle. C'est là que se livre la terrible lutte corps à corps au couteau et à la grenade.
Tous ces boyaux constituent un véritable intestin et, convenablement cuits sous le feu de l'ennemi, forment un plat de résistance qu'on appelle les tripes à la mode des camps.
Braise, f. Argent monnayé. Avoir de la braise, avoir de l'argent. — Terme métaphorique: il faut de la braise pour faire bouillir la marmite.
Branco, m. Brancardier.
Bras cassés ou retournés ou en vrille. 1° Avoir les bras cassés ou retournés, ne pas vouloir travailler, être paresseux. S'emploie substantivement : Un bras cassé ou retourné, un paresseux ; 2° Bras cassé, s'emploie aussi dans le sens de brancardier.
Brèmes, f. Cartes à jouer. Maquiller les brèmes, truquer les cartes, tricher.
Bricheton, m. Morceau de pain. Donne-moi un bricheton.
Brichetonner. Manger un morceau de pain.
Briffer. Manger.
Brig-four, m. Brigadier-fourrier.
Brindezingue. Ivre. Etre brindezingue ou être dans les brindezingues, être ivre. Vient de brindes, toasts, santés portées.
Briquer. Astiquer, littéralement passer à la brique pilée.
Brisquard, m. Celui qui a beaucoup de brisques. Un vieux brisquard comme toi. On écrit aussi briscard.
Brisque, f. Insigne en forme de V renversé que les poilus portent sur les manches ; on porte à gauche les brisques de présence aux Armées, à droite les brisques de blessures de guerre. Pour la présence aux Armées, la première année donne droit à un chevron, et ensuite chaque semestre à un nouveau chevron. Chaque blessure de guerre donne droit à un chevron ; mais les multiples blessures d'un projectile ne donnent droit qu'à un chevron. Syn. Baraque.
Broquille. f. Minute.
Brousse, f. Endroit ou village écarté. Voilà des mois qu'on est dans la brousse.
Brutal, m. 1° Vin; 2° Canon. Faire tousser le brutal, tirer un coup de canon.
Bûche, f. Chute. Ramasser une bûche, tomber. Très usité, notamment par les aviateurs, ainsi que ses synonymes Gaufre, Gadin.
Buffet, m. Estomac. Danser devant le buffet, jeûner. En avoir dans le buffet, être sérieusement touché.
Bull, m. Argent. Mec au bull, individu riche. Bull, ou bulle vient de bille, monnaie de cuivre, et par extension argent.
Buriner, Travailler. Terme d'atelier. Voir Bosser.
Burlingue, m. Bureau. Le burlingue du doublard, le bureau du sergent-major.


A suivre…