130ème semaine
Du lundi 22 au dimanche 28 janvier 1917
DISPARITION D’UN FÉLIBRE
Roger BRUNEL, disparu en mer le 25 janvier
1917
lors du torpillage de l’Amiral Magon
Roger Brunel est né à Alès le 18 septembre
1884. Appelé avec sa classe en 1904, il est alors étudiant en droit. Mais il est
ajourné pour « faiblesse », ce qui est confirmé à titre provisoire en
1906 puis à titre définitif en 1907. Mais cette cause de dispense ne tient pas lorsque
la guerre éclate, la commission de réforme du 31 août 1914 à Nîmes a tôt fait de
réintégrer cet homme de lettres dans le service actif et il part en formation dès le 2 septembre,
affecté dans le principal régiment de Nîmes, le 40ème d’infanterie.
Roger – Rougié – BRUNEL était
directeur avant guerre du journal Le Pays cévenol, fondé à Aubenas en 1905, décrit
lors de sa fondation comme une revue mensuelle « décentraliste et provincialiste »
; il était par ailleurs « félibre alésien de l'école provençale », c'est-à-dire
poète ou écrivain de langue provençale. Il était considéré par les lettrés
méridionaux comme un écrivain de talent.
Voici l’une de ses œuvres, parue en 1904 (cliquez sur l'image pour lire le texte) :
Ensuite ce sont toutes les grandes
batailles de France, et leurs lieux de sinistre mémoire :
- septembre 14 : première
bataille de la Marne
- fin 14 et début 15 : Tranchées
dans les bois de Forges et de Malancourt,
- été 15 : Massiges, ferme des
Marquises,
- fin 15 et début 16 : défense de
Reims,
- Eté 16 : Verdun, Soissons…
Au cours de ces actions le 40 RI a
reçu à plusieurs reprises des félicitations officielles, qui ont souvent donné
lieu à des citations. En voici trois :
« Ordre du jour du régiment : A fait preuve le 11 novembre 1914 de
beaucoup de ténacité, de courage et d’audace en enlevant à la baïonnette des
positions retranchées occupées par l’ennemi ».
« Ordre
du jour du régiment : A fait preuve d’une grande bravoure et d’une
ténacité exemplaire en se portant par trois fois dans la nuit du 17 au 18
novembre 1914 à l’attaque d’une position ennemie très solidement défendue, ne
se laissant démoraliser ni par les pertes nombreuses qu’il subissait, ni par la
résistance opiniâtre de l’ennemi. Allait se porter une fois encore à l’attaque
de cette position lorsqu’il a reçu l’ordre de s’arrêter ».
« Citation
à l’ordre de l’Armée : La 10ème Cie du 40ème R.I. chargée d’enlever le 17
février 1915 un bois organisé et occupé par l’ennemi, s’est lancée brillamment
à l’attaque, a enlevé le bois à la baïonnette, s’y est organisée rapidement et
s’y est maintenue malgré un bombardement violent d’obus de gros calibre et de
bombes.
Quoiqu’elle
ait perdu tous ses officiers, son adjudant et environ la moitié de son
effectif, a repoussé le 18 au point du jour deux vigoureuses attaques
allemandes dont la première était préparée par l’artillerie, et s’est maintenue
sur la position conquise ».
Puis c’est l’affectation sur le front
d’Orient, plus exactement en Macédoine.
Après l’échec de l’occupation des
Dardanelles, l'expédition de Salonique, autrement dénommée Front d'Orient, est
une opération menée par les armées alliées à partir du port grec macédonien de
Salonique et destinée :
- dans un premier temps, à soutenir
l'armée serbe lors de l'invasion de la Serbie, à l'aide, notamment, des troupes
évacuées des Dardanelles ;
- dans un deuxième temps, à
reconstituer cette armée après sa déroute à travers l'Albanie et son évacuation
par les ports de la côte Adriatique ;
- dans un troisième temps, à fixer les
troupes des Empires centraux et des Bulgares, en particulier après la capitulation
de la Russie à Brest-Litovsk ;
- dans un quatrième temps, à ouvrir un
front en Orient pour délester le front occidental.
La partie de la Macédoine occupée
par les troupes alliées est très accidentée, faite de massifs montagneux
abrupts et de quelques plaines encaissées. Les routes sont rares et en mauvais
état. Le pays a un aspect désertique et un climat très dur. A l'été long et
très chaud (50° à l'ombre) succède un hiver assez court mais très froid (-20°).
Mais pour commencer il faut y aller, à
Salonique. Or la méditerranée est à ce moment-là infestée de sous-marins
allemands qui coulent tout ce qui passe à leur portée. Et le transport du 40 RI
début janvier 1917 ne sera pas épargné.
Plusieurs navires assurent le
transport des soldats et de leur équipement, notamment les très nombreux mulets
indispensables aux opérations en montagne, ce sont entre autres le Colbert, le
Paul Lecat et l’amiral Magon.
A la mi-janvier 1917 le 40 RI embarque
sur les navires « Paul Lecat »
et « Amiral Magon ». Le 25 janvier l’Amiral Magon est torpillé. Voici
le récit de Gaston Jouanen, soldat de ce régiment : « Je ne devais pas prendre ce bateau. Ma soeur
Berthe vivait à Marseille. Elle était employée de maison. Cela faisait plus de
deux ans que j'étais au front. J'en avais vu des morts, des blessés,
disparus... Je partais à Salonique et il fallait que je la voie avant de
partir, peut être une dernière fois ! Lorsque je suis arrivé chez ses patrons,
elle était sortie. J'ai dû attendre. Nous avons parlé et puis elle m'a
raccompagné à la Joliette. Lorsque nous sommes arrivés, le bateau venait de
quitter le quai (NDLR : vraisemblablement le "Paul Lecat").
J'ai
été conduit aux arrêts au fort St-Jean entre des soldats "baïonnette au
canon". Il y avait parmi eux un Gagnièrois : un nommé
"Bruneton". Il était gêné, il m'a dit : "Gaston, je suis
obligé..." et je lui ai répondu : "Fais ce que tu as à faire! Ne te tracasses pas !".
Finalement,
j'ai embarqué sur l'Amiral Magon avec le reste du Régiment. Cela faisait
plusieurs jours que nous étions en mer. Le 25 au matin, vers 11 heures, il y a
eu une alerte. J'ai vu arriver la torpille. Je me suis dit : "si elle ne me
tue pas je suis sauvé !" L'explosion, un bruit et une panique épouvantable
; des jeunes qui étaient en train de se noyer dans la cale criaient. Ils ne
pouvaient pas sortir ; des mulets ruaient, donnaient des coups de pieds.
On mettait à l'eau des canots de sauvetage, des radeaux grands et petits.
J'étais affairé à jeter à l'eau des radeaux. Avec un couteau, on coupait les
cordes qui les retenaient. Il y avait un marchand ambulant qui criait autour de
nous "Sauvez ma cantine! Sauvez ma cantine!". Sa cantine, on l'a
jetée par dessus bord !
Quand
le dernier radeau a été jeté à la mer, je me suis dit : "celui-là, il est
pour moi!" J'ai regardé la photo de ma mère qui était dans mon
portefeuille, reboutonné ma veste, et puis j'ai plongé.
Il
y avait maintenant des mulets dans l'eau. Ils voulaient monter sur les radeaux,
sur tout ce qui flottait, même sur des gens qui nageaient autour. Ils en ont
fait noyer beaucoup.
La
mer était mauvaise, il y avait des naufragés dans l'eau qui appelaient
au secours. J'ai eu du mal à atteindre le radeau. Certains se lamentaient,
d'autres pleuraient et cela semait la panique.
Un autre Gagnièrois, Ferdinand Beauzely,
était avec moi sur le bateau et je ne le savais pas. On s'est rencontré
sur l'eau.
On
a attendu. Vers la fin de la journée, on a vu, à l'horizon, comme une fumée de
cigarette. En rien de temps, un bateau a
été sur nous. On en pouvait plus. Des marins nous ont attrapés
"comme des ballots de linge" et nous ont hissés à bord. On était
sauvés. On nous a donné des vêtements secs : des uniformes de marins. ...
Mais
après, un lieutenant est venu nous voir et nous a dit : "Vous avez eu de
la chance! Vous méritiez douze balles dans la peau!". Je le connaissais,
il habitait St Paul, il était de Mentaresse. J'ai rien dit, mais j'ai pensé :
"Après la guerre, je reviendrai t'en parler!". Je n'ai pas eu à le faire. J'ai su qu'il
avait été tué… ».
Roger
Brunel fait partie des disparus de ce torpillage. L’acte
officiel en est dressé le 23 novembre 1917 puis le 14 mars 1918. Son nom figure
dans la liste des écrivains Morts pour la France, gravée sur l’un des murs du
Panthéon.
A suivre…