ARGOT 3/10

131ème semaine

L’Argot des Poilus
Dictionnaire humoristique et philologique
du langage des soldats de la grande guerre de 1914

François Déchelette
Poilu de 2° classe, Licencié ès lettres


Cabèche, f. Tête. Couper cabèche, est la première phrase que sait dire un Sénégalais en français.
Cabot, m. 1° Chien; 2° Caporal. Syn. dans les deux sens : Clebs. — Cabot-macaroni, cabot-patate, cabot-rata, le caporal d'ordinaire appelé aussi parfois le saindoux. — Cabot-trompion, caporal-clairon. — Cabot-tapin, caporal tambour.
Cafard, m. Ennui, mélancolie, idées noires (comme le cafard). Avoir le cafard, être triste. Le cafard des poilus n'a rien de commun avec le cafard domestique. C'est un animal parasitaire bizarre qui se loge dans la tète du soldat. Malgré les nombreuses demandes des ménageries et instituts zoologiques des deux mondes, on n'a jamais pu en capturer de spécimen : on ne connaît cet animal que par ses effets terribles et déconcertants sur le cerveau humain. Le cafard produit des ravages même en temps de paix. : un soldat rentre de permission 24 heures en retard ; il ne trouve que cette excuse évidemment insuffisante : « J'avais le cafard... ». Il a oublié de rentrer comme s'il était dans un état second, irresponsable; le cafard s'agitait dans son crâne.
Le cafard sévit naturellement dans les tranchées, ou aux colonies ; le soldat a du vague à l'âme, il songe à la petite vie tranquille qu'il menait près des siens. Il se désespère de jamais revoir le pays. Il a le cafard. Celui qui a le cafard est, à ce moment, capable de faire les plus grosses bêtises ; mais vienne une plaisanterie d'un camarade, un ordre d'avancer, voilà notre homme guéri, car le cafard ne peut produire de ravages que dans le secret et l'inaction. Sitôt dénoncé ou distrait, le cafard disparaît avec la rapidité d'une souris surprise qui regagne son trou.
Les grades ne vous mettent pas à l'abri du cafard et bien peu pourraient dire ne l'avoir jamais éprouvé. Ce n'est du reste pas une maladie dangereuse, car celui qui l'a eue retrouve après l'accès une énergie décuplée. Il est à noter que le microbe sentimental favorise l'éclosion du cafard. Le cafard a existé de tout temps ; Napoléon avait le cafard à l'île d'Elbe. Je crois que celui qui n'a jamais eu le cafard est un monstre et ne mérite pas le nom d’homme.
Cage à poules, f. Aviat. Surnom de l'aéroplane Farman qu'on appelle aussi Meufeu ou Feu (prononciation des initiales de Maurice Farman). Le surnom de cage à poules vient de l'aspect du fuselage de l'appareil en tiges de bambou.
Cagibi, m. Réduit, pièce où l'on entasse des hommes. Le cagibi du percolateur, le cagibi des malades. Ce mot a une origine très parisienne ; c'est celui que les mannequins des grands couturiers donnent à la pièce où elles attendent, vêtues de fourreaux noirs, le désir des clientes de voir tel ou tel modèle de robes; cela tient un peu de la cage. Au pays poilu, le cagibi, c'est une chambre, une salle d'attente où les hommes restent en cage à la disposition d'un chef, d'un médecin-major.
Cagnat, f. Trou couvert de rondins, de tôles ondulées ou de sacs à terre, où l'on se met à l'abri des projectiles. La cagnat est en somme une tranchée couverte dont le modèle s'est perfectionné à mesure que venaient la pluie et le froid. Il n'y avait d'abord qu'un toit de branchages, puis on recouvrit ces branchages de terre pour se protéger de la pluie ; mais ce n'était qu'un demi-remède, car la pluie finissait par percer et la terre tombait par mottes du plafond sur les habitants, ou la cagnat s'effondrait avec fracas. Alors on s'est mis à construire de confortables cagnats, en creusant dans la terre un trou carré de 2 mètres de profondeur, solidement étayé tout le tour par des chandelles en bois, et recouvert avec des arbres entiers sur lesquels on mettait de la terre, puis de la tôle ondulée, ou des sacs à terre.
La cagnat forme alors une légère éminence au-dessus de terre ; on descend dans la cagnat par un escalier taillé dans la terre. Tel est le plan général ; mais il y a des cagnats plus ou moins confortables depuis la cagnat qui abrite 30 ou 40 hommes, jusqu'aux « villas » d'officiers qui sont parquetées et quelquefois pourvues d'un vrai mobilier. Dans les unes comme dans les autres, on n'a pas oublié le chauffage, — en deuxième ligne du moins ; une cheminée est ménagée dans la terre avec un tuyau de tôle. Les poilus viennent s'y chauffer, en fumant une pipe après les heures de service au froid et à la pluie, ils y rêvent à celles qu'ils ont laissées à la maison, ils écrivent leurs lettres, ils y jouent aux cartes ; l'officier y étudie la carte du secteur ou y rédige son carnet de campagne. La cagnat met relativement à l'abri des marmites, mais elle est sujette à l'effondrement et à l'incendie. Nombreux sont ceux qui ont été ensevelis vivants : tel poilu, véritable enterré récalcitrant, l'a été à trois reprises. Cagnat, que l'on écrit aussi cagna, et canha est un mot annamite importé du Tonkin par les troupes coloniales. Syn. Gourbi, Guitoune.
Cagneux, m. Cheval. La guerre, entre autres innovations, a créé une nouvelle espèce de chevaux, les chevaux teints, comme elle a fait disparaître le pantalon rouge. Pauvre cagneux, à qui leur robe blanche valait de n'être pas « pris » et de jouir des douceurs de la paix, ou qui, tout au plus, étaient réservés aux pacifiques « toubibs », les voilà condamnés aux durs travaux de la guerre, sous une livrée jaunasse, qui déteint à la longue. Il semble qu'ils soient honteux de ce piteux maquillage : c'est la guerre. Syn. Bourin, Gaille.
Cagoule, f. Masque contre les gaz asphyxiants. Les premiers masques étaient en effet de véritables cagoules : de longs bonnets en drap imprégné de substances antitoxiques, qui enveloppaient complètement la tète et le cou, avec une petite fenêtre transparente en face des yeux. Les poilus ainsi affublés ressemblaient aux pénitents du moyen âge. Ce modèle étant reconnu insuffisant, fut remplacé par un masque appelé museau de cochon, d'après son aspect de groin. Mais le nom de cagoule était déjà très usité et s'appliqua aussi au nouveau modèle.
Cahoua, m. Café. Mot algérien.
Caisse, f. Prison, 68 Jours de caisse. Syn. : Grosse, Tôle, Boîte.
Calendrier, m. On appelle calendriers de « petites boîtes d'explosifs fixées sur des raquettes de bois qu’on lance à la façon du discobole en les tenant par le manche ou que l'on assène d'un coup vigoureux sur un adversaire rapproché. ». Ce nom pittoresque vient de la ressemblance de ces terribles calendriers avec les pacifiques éphémérides dont tant de femmes maintenant arrachent chaque matin la feuille avec une angoisse secrète. On appelle parfois aussi ces bombes à main des raquettes. Ceux qui les lancent s'appellent « grenadiers », comme du temps des bonnets à poil.
L'explosion mettant près d'une demi-minute à se produire, on peut avoir le temps, comme dans les guerres de jadis, de relancer le calendrier à son expéditeur, si l'on n'a pas froid aux yeux : système D. II est du reste plus honnête de rendre les objets trouvés à leurs propriétaires.
Caler (Se les). Manger. On dit parfois l'expression complète : Se caler les joues.
Cambrousse, f. Endroit ou village écarté. Croisement de campagne et de brousse.
Camfouine, f. Maison.
Camouflage, m. 1° Action de rendre un objet méconnaissable pour l'ennemi ; 2° Sorte de treillis métallique recouvert d'herbe artificielle qui sert à cacher les boyaux et les tranchées. Envoyez-moi du camouflage. Voir Camoufler.
Camoufle, t. Bougie. Syn. : Calebombe, plus usité que camoufle .
Camoufler. 1° Truquer de façon à rendre méconnaissable pour l'ennemi. Un canon camouflé, une toile camouflée. Camoufler, c'est la moitié de l'art de la guerre au xx° siècle. C'est le camouflage qui distingue le plus la Grande Guerre des guerres anciennes. On y a vu camoufler les canons, les caissons, les voitures, les baraques, les hangars d'aviation, les arbres, la terre, les trains et même les hommes. Vous croyez que j'exagère : pas du tout. Le bleu horizon de l'uniforme et la boue qui le recouvre souvent sont bien déjà des sortes de camouflage, mais il y a mieux : on a fait des manteaux à capuchon peints en mosaïque, à la manière des peintres cubistes, qui transforment un homme en un paysage mouvant: l'homme-paysage à dix pas se confond avec le sol. On a fait aussi des mannequins d'artilleurs pour les placer autour de redoutables canons... en bois peint. On a rafistolé avec soin des arbres que les obus abattaient ou ébranchaient : On a parfois remplacé un arbre réel par un arbre artificiel contenant un observatoire blindé. Une motte de terre camouflée donne parfois asile à un guetteur. Une toile peinte dissimule ce qu'on ne veut pas laisser voir à l'ennemi. Tout cela, c'est du camouflage. Le paysage en est transformé et ressemble souvent à un gigantesque jeu de patience où l'on ne reconnaît plus les contours d'aucun objet : tout est maquillé, truqué : comme dans les baraques foraines, on est le jouet d'illusions, on ne sait où commence la réalité, où finit le truquage. C'est le triomphe de la ruse à la guerre. Mais si, dans ce paysage de rêve, un obus éclate ; on reprend tout de suite contact avec la réalité. 2° Prendre, voler ; en ce sens syn. de Grouper.
Camoufleur, m. Peintre qui s'occupe de camoufler. Tous les cubistes ont pu employer leur talent pendant la Grande Guerre : on en a fait des camoufleurs : ils ont pu barbouiller les canons, caissons, baraques, etc., d'une mosaïque de taches vertes, jaunes, brunes, réchampies de noir, du plus bel effet et surtout de la plus grande utilité. C'est l'utilisation des compétences. Seulement le cubisme est un enfant de la fantaisie ; il perdait tous ses charmes en s'exerçant en service commandé. Aussi, me suis-je laissé dire qu'un peintre cubiste, mobilisé comme camoufleur, occupait ses loisirs en faisant en cachette de la peinture à la vieille mode : le camouflage l'avait dégoûté du cubisme : la guerre a de ces conséquences inattendues.
Caner. Faiblir, céder, reculer, avoir peur. Vient de faire la cane, c'est-à-dire baisser la tête comme une cane dans l'eau, qui se trouve dans Rabelais et Montaigne. Syn. Flancher.
Cannes, f. Jambes. Mettre les cannes, s'en aller ; voir se carapater.
Capoter. Aviat, Se dit d'un avion qui en atterrissant culbute sur le nez et se retourne.
Carafe, f. Autom. Rester en carafe, rester en panne. Aviat. Les aviateurs disent dans le même sens : Avoir une carafe, avoir la carafe. Au figuré, rester en carafe, rester seul, attendre quelqu’un qui ne vient pas.
Carapater (se). Syn. : se cavaler, décaniller, en jouer un air, mettre les bois, mettre les voiles, mettre les cannes, se débiner, se barrer. — Peu de langues ont autant de richesse, de vocabulaire pour exprimer cette simple idée : s'en aller. En première ligne, toutes ces expressions ne s'appliquent naturellement qu'aux Boches et le poilu rit comme un gosse — sans perdre son temps — quand il voit les Boches « se débiner en vitesse » sous un bon feu de salve. Car, si toutes les expressions signifient « s'en aller vivement », on peut se débiner ou se barrer sur deux modes, comme en musique : « en vitesse » ou « en douce ». Lorsqu'on « en joue un air » (sous-entendu de flûtes, c'est-à-dire de jambes), c'est toujours sur le mode majeur : en vitesse.  Notez que les triques, les bois, les cannes signifient les jambes.
Carburateur, m. Chapeau haut-de-forme. Mot de l'argot des aviateurs.
Caresser, Aviat. Caresser la marguerite, atterrir doucement, sans choc.
Carlingue, Aviat. Nacelle d'un aéroplane. Descendre de la carlingue. Morpion de carlingue, surnom que les mécaniciens d'aviation donnent aux radio-télégraphistes.
Carotte. Tirer une carotte, raconter une histoire pour éluder le service, pour obtenir quelque chose.
Carotter. 1° Même sens neutre que tirer une carotte : raconter une histoire pour éluder le service ou pour obtenir quelque chose. Il a carotté. 2° Duper, tromper. Il a carotté le toubib, le bistro l’a carotté. 3° Simuler. Il carotte le civil, il est habillé comme un civil.
Carton, m. Faire un carton, tirailler dans la tranchée pour essayer de tuer un Boche, de même qu'à la foire on fait un carton où l'on casse des pipes.
Casque à pointe, m. Le soldat allemand, à cause de la pointe de cuivre qui recouvre son casque. Voilà les casques à pointes !
Casse-pattes, m. Eau-de-vie. Syn. : Gnole, Coquelosio, Cric, Schnick. On dit aussi parfois casse-gueule, ou casse-poitrine.
Casser, 1° En casser. Dormir, c’est-à-dire faire en ronflant le bruit qu'on fait en cassant du sucre. Syn. : En écraser, Roupiller, Piquer un roupillon, Pioncer. 2° Casser la croûte, manger. 3° Aviat. Casser du bois, casser le fuselage d'un aéroplane en atterrissant. On dit aussi : faire des bouts d'allumettes. 4° Je lui ai cassé quelque chose, je lui ai dit ses vérités.
Ceinture (se mettre la) : 1° Jeûner, se serrer la ceinture d'un cran. 2° Se passer de quelque chose. Si tu attends mon perlot pour fumer, tu peux toujours te mettre la ceinture, ou tu peux toujours te l’accrocher, ou tu peux te bomber. On simplifie souvent l'expression se mettre une ceinture, en la réduisant au seul mot ceinture, accompagné du geste de serrer sa ceinture. Les Arabes prononcent : « Ceintoure ».
Cerceaux, m. Les côtes dans un animal dépecé pour la boucherie. Les côtes sont le mauvais morceau qui échoit à celui arrivé le dernier à la distribution. Le cuistot dit alors : Qu'est-ce qu'on a touché comme cerceaux aujourd'hui !
Cerise, f. 1° Tête, figure. Se taper la cerise, faire bombance. Se refaire la cerise ; a) Manger ; b) Reprendre bonne mine ; c) Au figuré, gagner au jeu. 2° Guigne. Tu nous portes la cerise.
Chandail, m. Tricot ajusté sans boutons, recouvrant le torse. A un objet nouveau, il faut un mot nouveau : le chandail est une création récente. C'est un fabricant d'Amiens, M. Delvaux-Chatel qui confectionna les premiers tricots de ce genre, en 1880 pour l'usage des gens des halles. Ce commerçant de Paris qui vendait cet article demandait à son fabricant ses tricots pour les marchands d'ail, ce qui donna à M. Delvaux-Chatel l'idée d'appeler sa création chandail. Le mot fut en usage dans le commerce dès 1894, dans des catalogues de bonneterie ; son usage prit de l'extension en même temps que les chandails devenaient à la mode, par suite du cyclisme et surtout des sports d'hiver; il se généralisa en 1914 quand on distribua des chandails aux poilus.
Chape, f. Peau de mouton que les poilus mettent l'hiver par-dessus la capote. La peau est entière et le poilu passe la tête à la place de la tête de mouton ; le dos et le ventre du mouton retombent devant et derrière comme une chasuble qu'une ficelle serre à la taille. Le poilu ressemble ainsi aux bergers de l’ancien temps. Il n'y a pas d'aspect plus curieux du poilu de la Grande Guerre, si ce n'est la silhouette du poilu coiffé du masque à gaz asphyxiants.
Charrier. Exagérer une blague, pousser trop loin une plaisanterie. La blague est aussi nécessaire au poilu pour faire la guerre que le pinard ou les cartouches. Mais si on exagère, le poilu s'écriera : Tu charries ! ou tu cherres dans le mastic ou dans les géraniums, ou dans les bégonias, ou tu bouscules le pot de fleur, ou tu attiges. Toutes ces expressions sont synonymes et signifient : « Ton histoire ne prend pas ; tu me crois plus bête que je ne suis en voulant me faire croire ça. » Charrier quelqu'un, le mystifier, se moquer de lui. C'est le sens du vieux mot charrier (exactement mener en chariot), qui est usité dans le dialecte wallon
Chauffer. 1° Voler. 2° Ça chauffe, il tombe des obus, le combat est vif. Dans le même sens, on dit Ça gaze, terme emprunté au vocabulaire des automobilistes. Syn. : Ça barde.
Chaussette, f. Il v a deux sortes de chaussettes pour le poilu : la chaussette russe et la chaussette à clous. Pour confectionner une chaussette russe, c'est toute une recette . Découpez dans une chemise que vous balancez (jetez) — c'est la seule lessive connue dans la guerre de mouvement — deux bandes larges comme la main et longues d'environ 80 centimètres. Il y a une bande pour chaque pied. Après vous être déchaussé, vous vous entourez le pied avec cette bande en commençant par les orteils et en serrant bien l'extrémité ; vous continuez à enrouler la bande sur le pied, sur le talon, et ainsi de suite jusqu'au-dessus de la cheville. La chaussette russe est terminée. Avec cela, vous pouvez marcher à l'aise sans « blesser », vous pouvez aller au bout du monde. Ça a l'air très simple, mais c'est assez difficile ; pour savoir bien prendre le talon dans une chaussette russe, il faut une habileté qui n'est pas à la portée d'un bleu. Il y a aussi une autre école : c'est de ne pas porter d'autres chaussettes que ses chaussettes à clous (souliers), en y coulant du suif. On évite ainsi d'user ses chaussettes russes.
Chef, m. Sergent-major dans l'infanterie, maréchal des logis-chef dans la cavalerie. Va le dire au chef. Chef, vous séries bien gentil de... (Il faut toujours être diplomate avec les chefs).
Cheval, m. Mandat-poste.
Cheval de bois, m. Aviat. Faire un cheval de bois ou les chevaux de bois, pivoter sur une aile en atterrissant ; c'est une faute que commettent souvent les élèves-pilotes, et qui leur vaut une amende de boissons au profit de leurs camarades.
Chevron, m. Insigne en forme de V renversé constituant les brisques. Syn : Brisque.
Chialer. Pleurer.
Chiasse, f. Colique. Avoir la chiasse, avoir la colique. Au fig., avoir peur.
Chiée, f. Grande quantité, foule. Une chiée de Boches.
Chier. 1° Se soulager les intestins, 1° Sens figuré, voir Sachi.
Chignole, f. Petite voiture automobile ou autre. Spécialement les véhicules baroques qui servent à transporter du train régimentaire aux cuisines la viande, le pain, les petits vivres et le vin. Ces véhicules sont confectionnés par les cuistots ingénieux avec les éléments qui leur tombent sous la main ; voitures d'enfant, brouettes, instruments agricoles, baignoires, tout est bon pour faire une chignole. Ça se pousse ou ça se tire, ça a de une à quatre roues, parfois c'est traîné par des Anes. Dans certains secteurs voisins d'une voie ferrée, on s'est servi des lorrys, sorte de petit wagonnet plat à quatre roues usité pour le service de la voie. Voir Lorry.
Chiottes, f. pl. Cabinets d'aisance ; par extension, feuillées.
Chocolat, m. Nègre. Ce sont les chocolats qui attaquent. Etre chocolat, Se trouver chocolat, être embarrassé, déçu.
Chou, m. Tête. Se taper le chou, faire bombance. Tomber dans les choux, rester dans les choux, dans les betteraves, tomber étant blessé.
Choum-choum, m. Alcool de riz. Argot des troupes tonkinoises.
Chtimi, m. et f. Habitant des régions du Nord (principalement du Nord et du Pas-de-Calais). Dans leur parler spécial, je se dit che, toi se dit ti, moi se dit mi : d'où le nom de chtimi employé pour les caractériser. C'est un chtimi, une chtimi, ce sont des chtimis.
Ciblot, m. Civil. Depuis la guerre, la nation française est divisée en deux catégories : les mobilisés et les immobilisés. Ces derniers forment la race des ciblots, dont les spécimens vont se raréfiant de plus en plus à mesure qu'on approche du pays poilu. Ces bipèdes sont à peu près inconnus dans les tranchées ; même les plus audacieux des ciblots, qu'on appelle journalistes, y sont très rares et sont alors l'objet de la curiosité de tous. Le ciblot, pour le poilu, est un être étrange qui, selon son grade, est vêtu d'un veston foncé ou d'une cotte bleue, et coiffé d'un chapeau rond ou d'une casquette. Il ne porte pas de fusil, ne sait pas ce que c'est que la guerre ou les marmites, couche dans un lit et peut aller au café quand il lui plaît. Au début de la guerre, le poilu ne voulait pas croire à l'existence d'une telle population ; il aurait plutôt cru à l'existence des habitants de Mars. Il a fallu les permissions pour qu'il découvre qu'il y avait encore des ciblots conservés, comme sous un globe de verre, dans un arrière-pays où les maisons ne sont pas éventrées par les obus.
Il faut en prendre votre parti, chers ciblots, les poilus vous regardent sans bienveillance, surtout si vous êtes jeunes. Et si vous vous en demandez la raison, cherchez la femme, comme disent les avocats. Car, si le poilu avait oublié l'existence des ciblots, il n'avait pas oublié celle de la femme et, pour lui, les meilleurs souvenirs de la guerre sont les instants où, malgré les obus, son imagination évoquait, au travers de la fumée de sa pipe, des visages charmants qui se penchaient avec tendresse sur sa misère... Excusez l'Othello des tranchées.
Citrouillard, m. Dragon. Ce surnom vient des casques qu'avaient encore les dragons au début de la guerre.
Civelot, m. Civil. Voir Ciblot.
Claboter. Mourir. Voir Clapser.
Clamser. Mourir. Voir Clapser.
Clapser. Le pékin meurt; le poilu sur le champ de bataille peut être escoffié, bousillé, zigouillé ; mais s'il passe de vie à trépas après le combat, il clapse. Ce mot, sec comme un déclic, semble entouré d'une atmosphère de stoïcisme. Le grand passage est pour le poilu un des hasards du métier, un dénouement sur lequel il ne faut ni s'attendrir, ni discourir longuement, par égard pour le public : c'est tout cela que contient ce petit mot : il a clapsé. Admirable pudeur des héros! Les Anciens et les Japonais nous ont laissé bien des exemples du sourire devant la douleur ou la mort ; nos poilus les ont surpassés. Cela ne m'étonnerait pas que ce mot ne se rattachât par les fils mystérieux de la vieille langue populaire au latin elapsus, il s'est échappé, enfui. On trouve parfois cramser, clamser, clamecer, orthographes diverses du même mot. Syn. : Claboter, Claquer.
Claquer. Mourir.
Claquot, m. Fromage,
Clarinette, f. Fusil. Becqueter des clarinettes, jeûner. Littéralement: manger des fusils, ce qui est en effet assez peu nourrissant.
Clebs, Cleb, Kleb, m. 1° Chien. Vient de l'arabe kelb. Mot importé par les troupes d'Afrique. C'est la guerre pour tout le monde, même pour les chiens. Autrefois, il y avait le chien du régiment, enfant perdu, adopté par pitié ; maintenant on a organisé le service militaire pour les chiens et l'on a donné à chaque compagnie un chien sentinelle pour garder la tranchée : ces clebs sont dressés à donner l'alarme et à sauter sur le Boche ; ils sont confiés chacun à un poilu spécialiste. Il y a aussi les chiens ratiers pour extirper les rongeurs de la tranchée ; il y a les chiens estafettes et les chiens volontaires de la guerre qui n'ont pas voulu quitter leur village évacué et bombardé : ils ne comprennent rien à la guerre ni au départ de leurs maîtres, et un beau jour, ils sont amochés par un obus ; il arrive aussi que le colonel décide froidement leur mort par crainte de la rage ou de l'espionnage auquel l'ennemi les emploie souvent. Les volontaires sont les plus méritants, mais aucune citation, ni médaille, ne vient récompenser leur mépris du danger. Pauvres clebs, qui, avant la guerre étiez protégés contre la vivisection ou l'abandon par de vieilles Anglaises sensibles, que devenez-vous à la guerre ? On vous traite comme des chiens... tout simplement. 2° Caporal. Caporal a donné cabot, puis par analogie clebs. Le clebs infirmier, le caporal infirmier.
Cloche, f. 1° Tête. Se taper la cloche, faire bombance. 2° Casque inventé par Adrian.
Coco, m. Aviat. Essence.
Coinsteau. m. Coin, recoin, abri.
Colis, m. Aviat. Nom par lequel les aviateurs désignent l'observateur qu'ils transportent. Jouer les colis, faire l'observateur. Syn. : Paquet, Ballot, Sac, Lest.
Colombins, m. Avoir les colombins, avoir la colique, avoir peur.
Coltiner. Porter. On dit aussi se coltiner. Terme de forts des Halles. Qu'est-ce qu'on a coltiné ou qu’est-ce qu'on s'est coltiné comme rondins.
Combine, f. Combinaison. Voir Filou. On dit aussi combinaise. Marcher dans la combine, accepter une proposition. Je ne marche pas dans la combine, ça ne prend pas, à d'autres !
Convalo, f. Convalescence. Après l'hosteau, la convalo et la joie de revoir le pays avant de rejoindre le dépôt et de revenir de là sur le front. Les poilus sont comme Antée qui recouvrait ses forces en touchant terre : la terre natale a de ces vertus miraculeuses.
Coquelosio, m. Eau-de-vie et en général tout alcool. Ce mot semble une déformation de l’eau pour les yeux, expression synonyme. Syn. : Gnôle, Cric, Casse-Pattes.
Coquetier, m. Aviat. Gagner le coquetier. Se dit d'un aviateur qui exécute des acrobaties très dangereuses : Il va gagner le coquetier, c'est-à-dire venir s'enfoncer en terre comme un œuf dans un coquetier.
Coup, m. S'emploie dans les expressions : coup de tabac, coup de trafalgar, coup dur. Dur combat. Les deux premières expressions sont d'origine marine : le mot tabac est employé par les marins pour signifier la tempête, le mauvais temps. La bataille de Trafalgar est restée dans leur langage comme synonyme de bataille acharnée. Le poilu sait rarement à l'avance quand il va attaquer ; mais il sait reconnaître à certains signes le moment où se prépare un coup de tabac, alors, avec un sérieux, mêlé d'insouciance gouailleuse, il lance : Gare au coup de Trafalgar ! Y va y avoir de la casse !
Coupe-coupe, m. Couteau des tirailleurs sénégalais. C'est une arme terrible à cause de son tranchant affilé et de son poids.
Coureur, m. Soldat faisant la liaison à pied. Le coureur doit souvent courir d'un trou d'obus à un autre pour traverser des tirs de barrage, d'où son nom.
Cran, m. Mot intraduisible en français autrement que par des explications circonscrivant le sens de façon de plus en plus approchée, comme les repentirs d'un dessinateur. L'étymologie nous y aidera, car il semble bien que le mot vienne du cran d'arrêt d'un ressort qu'on tend, d'un fusil qu'on arme et le cran a bien quelque chose de ces comparaisons : c'est la qualité d'un soldat qui tient tous les ressorts de son énergie tendus, qui est toujours prêt à affronter n'importe quel danger, car il a fait sans retour le sacrifice de sa vie. Avoir du cran, c'est plus qu'avoir du courage : le courage est un enthousiasme momentané, jaillissant, comme une étincelle, de nos dispositions morales elles-mêmes ; le cran est une tension de tout l'être obtenue par une volonté d'abnégation et de lutte ; c'est la source cachée du courage et de l'héroïsme. Avoir du cran, c'est avoir confiance en soi, être sûr de faire face à toutes les conjonctures, même à celles où il ne reste plus qu'à mourir ; c'est garder assez de liberté d'esprit devant la mort pour relever d'une blague les courages abattus et mourir sans s'en faire en narguant la camarde et les Boches.
Le cran n'est pas nouveau : il est de tradition dans notre pays ; mais on le confondait avec le courage ou la bravoure, qui est le courage avec du panache ; et il a fallu les méditations d'une longue guerre de tranchées pour arriver à isoler ce corps simple dans ce composé qu'on appelle l'héroïsme. La langue française peut envier au poilu ce mot qui est sorti d'un creuset de souffrances et qui a l'éclat et la perfection d'un diamant.
Crapaud, m. Grenade boche, appelée aussi Tortue ou Montre.
Crapenel, m. Shrapnell. Le shrapnell est un obus à balles (on dit aussi à mitraille), qui fut inventé au commencement du XIX° siècle par un général anglais du nom de Shrapnel. Le poilu ne pouvant arriver à prononcer ce nom, l'a accommodé à sa façon.
Crapouillot, m. 1° Mortier de tranchée, petit et trapu comme un crapaud. 2° L'obus ou bombe qu'on lance avec le mortier de tranchée. Si on balance des crapouillots, les Boches vont nous en renvoyer sur le blair. La guerre de tranchées a ressuscité les vieux engins démodés et a fait sortir des musées les vieux mortiers de l'ancien temps.
Crapouilloter. 1° Bombarder avec un crapouillot. Jamais on n'avait été si crapouilloté.
2° Aviat. Crapouilloté. Se dit de l'aviateur qui, en vol, voit éclater des obus autour de lui. Ou dit plus généralement crapouillé dans l'aviation.
Crapouilloteur, m. Servant du mortier appelé crapouillot. Syn. : Torpilleur, Bombardier. Les crapouilloteurs ont pas le filon ; dès qu'ils tirent, les Boches leur renvoient des valises.
Créneau, m. — Trou par lequel le poilu observe ou tire, la tête à l’abri, dans la tranchée. Le créneau a une histoire et une évolution comme la tranchée. Dans les premières tranchées, le poilu écartait la terre avec sa crosse de fusil sur la crête du parapet de façon à faire une gouttière en U — forme du créneau moyenâgeux — pour y mettre son canon de fusil. (Système D). Puis il ferma les branches de l’U par un morceau de bois ou des branchages; cela protégeait de la vue de l'ennemi, mais non des balles. Ensuite, l'on remplaça ce créneau primitif par des plaques en acier imperforable aux balles, munies de fenêtres à volets et même de rideaux d'étoffe pour qu'on ne voie pas la lumière à travers le créneau. Mais les Boches avec leurs fusils à jumelles sur chevalets arrivent à mettre une balle dans le créneau, par conséquent dans la tête du tireur ou du guetteur, aussi facilement qu'on casse une pipe à la foire, et nous leur rendons la pareille avec usure : si bien que le meilleur créneau ne vaut pas cher.


Du créneau, la vue s'étend sur les tranchées ennemies et sur le billard, c'est ainsi qu'on appelle l'espace libre entre les réseaux barbelés, qui n'a d'autres occupant que les cadavres, les rats et les patrouilles. Dans le paysage qu'on voit du créneau, aucun être vivant n'apparaît jamais pendant le jour ; ce qui était une paisible campagne de France est aussi inaccessible que les montagnes de la Lune. Après avoir regardé pendant des semaines ou des mois à travers le créneau le même paysage restreint, où pas un détail ne peut changer sans qu'on s'en aperçoive, on entend soudain retentir le cri : Tout le monde aux créneaux ! C'est le branlebas de combat ; c'est le cri de guerre commun à toutes les tribus du peuple poilu.
Cric, m. Eau-de-vie. On trouve aussi ce mot écrit crick, crik, crique. Vieux mot d'argot qui se trouve déjà dans Vidocq. Il vient d'un calembour : l'eau-de-vie remonte comme le cric (outil). Cette origine est confirmée par ce fait qu'un cran de cric, c'est une consommation (La Rue). Syn. : Casse-pattes, Coquelosio, Gnôle.
Crocodile, m. Employé du service des Trésors et postes aux armées qui étaient habillés en vert foncé au début de la guerre.
Croix de bois, f. Gagner la croix de bois, mourir.


Croustaille, f. Soupe, nourriture. Dérivé de croûte.
Croustance, f. Soupe, nourriture. Dérivé de croûte.
Croûte, f. Soupe, nourriture. La croûte est prête, on va à la croûte. Syn. : Croustaille, Croustance, Jaffe, Becquetance, Cuistance.
Croûter. Manger, casser la croûte. Croûter avec les chevaux de bois, n'avoir rien à manger, jeûner. Gela arrive dans la guerre de mouvement. Le soldat a un ennemi peut-être aussi grand que la mort, c'est la faim : c'est alors qu'il regrette d'avoir mangé sa boîte à singe ou jeté ses biscuits. Croûter avec les chevaux de bois a de nombreux synonymes : se mettre la ceinture, être rousti, s'accrocher une gamelle, se l’accrocher, se bomber.
Cuiller, f. Main. Serrer la cuiller. Ramasser à la cuiller, ramasser le cadavre d'un soldat mis en bouillie.
Cuir, m. Cuirassier. Il est au premier cuir, au premier cuirassier. Syn. : Gros frère.
Cuistance, f. Cuisine, dans les deux sens de mets préparés et de local où l'on fait la cuisine. La cuistance est bonne à la C. H. R., la cuisine est bonne à la compagnie hors rang. Va à la cuistance, va à la cuisine.
Cuistot, m. Cuisinier. Les cuistots sont des êtres généralement de mauvaise humeur qui n'aiment pas voir tourner autour de leurs marmites. Les hommes les accusent de prendre plus que leur part de vin, de bidoche ou de café ; le fait est qu'ils se font des petits plats fins, qu'ils ne manquent jamais de tabac ou d'allumettes, — le comble du bonheur à la guerre, — et qu'ils couchent souvent à l'abri pendant que leurs camarades sont aux tranchées ; mais il y a le revers de la médaille car ils apportent la pitance sous la mitraille, et il est aussi glorieux de mourir en distribuant le « jus » sur la tranchée qu'en faisant le coup de feu.


Culbutant, m. Pantalon, culotte.
Culot, m. Toupet, audace. T'en asun culot ! tu as du toupet.
Culotté. Avoir du culot. Cette année, les bleus sont culottés.
Cure-dents, m. Baïonnette.
Curieux, m. Observateur dans la tranchée. Syn. : Guetteur.

A suivre…