LA MAUVAISE SURPRISE


Semaine 168

Du lundi 15 au dimanche 21 octobre 1917

Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec un chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

LE PIÈGE DE DIEUZE


Charles-Albert DUMAS,
soldat au 55ème régiment d’infanterie
Disparu le 20 août 1914 à Dieuze (Moselle)

Albin-Auguste ASTRUC,
soldat au 61ème régiment d’infanterie
Disparu le 20 août 1914 à Dieuze (Moselle)


Charles-Albert Dumas est né le 12 août 1890 à Tornac, de Scipion et d’Ernestine née Rouvière. Il est cultivateur. Incorporé en 1911 au 55ème régiment d’Infanterie basé à Pont-Saint-Esprit, il y reste jusqu’en novembre 1913. Moins d’un an après c’est la mobilisation.

Historique du 55 RI :
« Tous ceux qui inscrirent sur la soie tricolore de ce drapeau les noms à jamais fameux de Gênes, Austerlitz, Eylau, Solférino, étaient prêts, le 3 août 1914, à vaincre ou à mourir pour la défense de la patrie en danger.
Aussi quelle émouvante journée que celle du 7 août 1914 et quelle sainte émotion que celle de la population de Pont-Saint-Esprit, acclamant le régiment à son départ ! Les gars allaient recueillis ; ils avaient fait le sacrifice de leur vie, mais leurs yeux ardents reflétaient plus que jamais l'espoir de 1870 ».


Le 7 août 1914, le 55 RI, commandé par le colonel Valdant, quitte Pont-SaintEsprit en chemin de fer et débarque dans la nuit du 8 au 9 août, à Diarville et Vézelise.
Le 10 août tout le régiment, après une marche longue et pénible, se trouve rassemblé à Rosières-aux-Salines. Pendant les trois jours qui suivent, le régiment, en partie à la disposition de la 59 brigade fortement éprouvée à Lagarde, organise des positions. Le 15 août, le 55 RI, rassemblé au nord-est de Bures, occupe la lisière du plateau face à Coincourt. Le 61° régiment d'infanterie est à sa gauche et ne peut déboucher du plateau à cause de l'artillerie lourde ennemie qui bombarde sans arrêt.


Les 16, 17 et 18 août, le régiment continue sa marche en avant sur le territoire allemand et arrive, le 19 août à Blanche-Eglise et Juvelize. Le 19 août, le régiment quitte Juvelize à 6 heures en marche d'approche, traverse la Seille sur les ponceaux organisés par le génie, traverse Dieuze, Kerpnch ; à la sortie de ce village, s'engage le premier combat. Le 55 progresse entre la voie ferrée, Dieuze – Vergaville, sous un feu violent d'artillerie adverse : le 3 bataillon arrive jusqu'à la hauteur sud-ouest de Ghebling. Le soir, le régiment reçoit l'ordre d'aller cantonner à Guenestroff. Le lendemain à 3 heures, le régiment quitte son cantonnement avec mission d'aller occuper les positions de la veille, mais il se heurte aux troupes allemandes qui y sont, au cours de la nuit, installées après les avoir organisées. 

A 6 h du matin, l‘ennemi attaque dans la brume. La pression est terrible : « Maintenant, l'ennemi marche ; il s'avance vers nous en lignes par petits bonds. Chaque tirailleur traîne avec lui une gerbe de blé ou d'avoine qu'il met devant lui dès qu'il s'arrête. Je vois tout cela très bien ». Les Allemands progressent dans la forêt, le 55ème reflue. Ce mouvement est aggravé par la panique née dans ses rangs, en partie parce que des régiments français se tirent entre eux dans la brume.

À 10 h, l'ordre de battre en retraite vers la gare de Dieuze est donné.

Les rescapés, à bout de force, retrouvant en chemin des fantassins égarés, se replient au sud et au nord de l'étang de Lindre. Toute la plaine de Dieuze est soumise à un feu formidable d'artillerie, d'infanterie et de mitrailleuses de l'ennemi qui est déjà au moulin de Bidestroff. Commencé en bon ordre, le mouvement de repli se précipite. Dans l'eau jusqu'au cou, parfois à la nage, le ruisseau et le canal des Salines sont franchis, certains se noient. A la douleur de ce repli s'ajoute la tristesse d'abandonner sur le champ de bataille des morts non encore ensevelis, et des blessés, qui, laissés après quelques soins hâtifs, sur le terrain de combat ou dans les villages voisins, allaient être capturés.

A 13h, des troupes arrivent en foule à Gelucourt, infanterie, artillerie. C'est la retraite générale du 15ème Corps.

JMO du 55ème RI : « Retraite sur Honecourt où se trouvaient plus de 6 000 fuyards. Nuit à protéger les fuyards. Ordre de se replier vers l’arrière. Départ à minuit. Par une marche forcée de toute la nuit et de toute la journée le 55ème rejoint Dombasle/Meurthe ».

Une situation qu'un acteur, le lieutenant de Kerraoul du 38ème RA confirme dans sa correspondance : « Nous avons battu en retraite pendant 30 heures, et cela a été une chose épouvantable. L'infanterie décimée n'existait plus. Avec mes éclaireurs de groupe, j'ai poussé devant moi, de force, des troupeaux d'hommes dont la plupart avait jeté leurs armes et qui étaient à bout de force, et voulaient se coucher par terre et ne plus bouger. Il fallait aussi les empêcher de monter sur nos coffres, de se reposer un peu en s'asseyant sur nos canons en se cramponnant aux butées de renversement des caissons. De telles choses sont éreintantes pour les chevaux et il ne s'agissait pas de laisser désorganiser les rares éléments encore en état de combattre ».

Le général Espinasse, commandant le 15ème corps, recense les pertes de ces deux jours, il a perdu 9 800 hommes et 180 officiers. Son rapport indique : « Forte pertes dans tous les corps. Le moral est très déprimé chez tous, officiers et soldats. L'infanterie désespère du concours de l'artillerie, elle a subi dans certaines compagnies des pertes à 80 % par le feu d'artillerie, sans avoir pu tirer. Par suite de son état de fatigue physique et morale, la 29ème division est actuellement hors d'état de fournir un nouvel effort offensif et même de fournir une défense énergique. Repos indispensable ».

C’est au cours de cette bataille de Morhange, à Dieuze, que disparait Charles-Albert Dumas. Son corps n’est pas retrouvé. Son registre matricule se contente de préciser : « Décédé antérieurement au 21 décembre 1914, inhumé à Dieuze ou environs ». Son décès sera fixé au 20 août par un jugement de décembre 1920. Le même jour un autre soldat du même régiment disparait aussi, c’est Jean Arsène Joseph, 26 ans, d’Anduze. Ces jours-là le 55 RI a eu 407 tués (soit 12,19% de son effectif).

Charles-Albert Dumas figure sur le monument aux morts de Tornac, ainsi que sur son Livre d’Or.


Albin Auguste Astruc est né le 9 septembre 1892 à Tornac, d’Auguste et d’Emma née Bordarier. Il est cultivateur. Incorporé en octobre 1913 dans le 61ème régiment d’infanterie.

C’est au cours de la bataille de Morhange, à Dieuze, qu’Albin Auguste Astruc, 22 ans, soldat de 2ème classe au 61ème RI, est déclaré « mort de ses blessures ». En fait ce n’est pas aussi clair, car il est ailleurs déclaré « décédé antérieurement au 21 décembre 1914 », ce qui signifie qu’il a disparu, comme Charles-Albert Dumas le même jour.
Albin Auguste Astruc figure sur le monument aux morts de Tornac, ainsi que sur son Livre d’Or. Il figure aussi sur le monument aux morts d’Anduze. Son histoire a déjà été publiée sur ce blog, voir semaine 003.



A suivre…