OFFENSIVE

Semaine 167

Du lundi 8 au dimanche 14 octobre 1917



Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec un chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

RETOUR EN ALSACE-LORRAINE

Emile RATIER, caporal au 40ème régiment d’infanterie
Mort le 19 août 1914 à Vergaville (Moselle)


A la fin de 1917, heureusement, l’hécatombe diminue pour Anduze. 10 morts au cours du premier semestre, 5 seulement (si l’on ose dire) au cours du second. Cela va nous laisser du temps pour commencer une autre série d’hommages, aux morts de Tornac cette fois-ci. Chronologiquement il nous faut donc remonter aux origines, aux commencements catastrophiques de cette « offensive à outrance » voulue par le haut-commandement français, général Joffre en tête.

Emile Ratier est né le 26 juillet 1890 à Tornac, d’André et d’Augustine née elle-même Ratier. Faisant partie de la classe 1910 il est incorporé à Nîmes pour y faire ses deux ans de service militaire. Versé dans la réserve, domestique de ferme, il est rappelé lors de la mobilisation début août 1914. Son unité, le 40ème régiment d’Infanterie basé à Nîmes, fait partie de la 2ème armée commandée par le général de Castelnau. Le 40 RI est mobilisé à Nîmes à partir du 2 août et arrive à Vézelise (Meurthe-et-Moselle) le 7 août.

Premières attaques françaises
A peine arrivé sur le terrain, le 40 RI est jeté dans une offensive absurde, uniquement voulue par la soif de gloriole d’un général imbécile. La principale offensive française au Sud-Est, connue sous le nom de bataille de Lorraine, préparée par le général en chef Joffre, n’aurait dû commencer que le 14 août. Mais au mépris des ordres d’attente reçus, le général Lescot veut prendre le village de Lagarde qu’il croit facile à saisir. Il le prend en effet facilement le 10 août en soirée. Mais dès le lendemain les Allemands contre-attaquent et balayent sans peine les défenses françaises. Un certaine panique s’installe, et les troupes refluent en désordre : elles ont perdu plus de 2 000 hommes. Le général Lescot conclut ainsi son rapport : « La situation n’a au demeurant que la gravité que comporte toute manœuvre en retraite ». Il est relevé de ses fonctions.

La grande attaque prévue par Joffre commence vraiment le 14 août, lorsque l’armée du général de Castelnau se dirige vers Morhange et vers Dieuze. Les Français y sont attendus par deux armées allemandes réunies sous le commandement du Kronprinz Rupprecht (fils du roi Louis III de Bavière). Les troupes allemandes qui disposent de plus de mitrailleuses et d'artillerie et d'une doctrine d'emploi beaucoup plus efficace que celle de leur adversaire, infligent - notamment depuis leurs lignes de défense fortifiées - de très lourdes pertes à l'infanterie française. Celle-ci encore vêtue d'uniformes datant du 19ème siècle, avec des capotes bleues et des pantalons rouges, pratique toujours la tactique d'« offensive à outrance » qui fait peu de cas des pertes humaines car basée sur des charges en rangs serrés dès que le contact est établi avec l'ennemi.

Dans ce secteur, la tactique des Allemands est de laisser pénétrer les unités françaises jusqu'à leurs lignes de défense dotées d'artillerie lourde et de mitrailleuses pour les anéantir. C'est ainsi que les deux armées françaises pénètrent facilement d'une vingtaine de kilomètres à l'intérieur du territoire allemand.

Marche en avant, en rangs serrés, baïonnette au canon
Un témoin écrit : « Nos soldats s'habituent déjà à cette guerre, qui ne leur semble pas encore bien terrible. Beaucoup d'entre eux s'imaginent qu'au prix d'un léger effort ils fouleront bientôt le sol allemand, et laisseront en arrière cette Lorraine reconquise, où les diables bleus, les marsouins et leurs pantalons rouges sont partout accueillis comme des libérateurs. Il fait une chaleur accablante. Qu'importe ? Ils avancent avec une joie folle ; ils examinent curieusement, au passage, des tranchées désertes où traînent des casques à pointe et des cartouchières ; on se désigne curieusement les uns aux autres des mâts inutiles ; nul ne se doute que ce sont là des jalons tout prêts pour le tir des artilleurs ennemis ». En fait les troupes sont rapidement soumises aux feux convergents de l'artillerie lourde allemande et des tirs croisés de mitrailleuses. Toutes ces colonnes qui marchent à travers la vaste plaine nue et soigneusement repérée sont, en effet, de parfaits objectifs.

Le 16 août le 40 RI enlève le château de Marimont et occupe les forêts des environs. Mais les Allemands, très supérieurs en nombre, forcent les Français à des combats désespérés. La bataille tourbillonne autour de Vergaville et Dieuze. Le Kronprinz Rupprecht, déçu par le rôle défensif qui lui avait d'abord été assigné, proclame : « Soldats de la VIème armée ! Des considérations d’ordre supérieur m’ont contraint de réfréner votre ardeur guerrière. Le temps de l’attente et du recul est passé. Nous devons avancer maintenant, c’est notre heure. Il faut vaincre, nous vaincrons ! »

Le 20 août en matinée, la contre-offensive allemande victorieuse débute avec des unités intactes et très supérieures en nombre qui déferlent des hauteurs. Elle contraint le général de Castelnau à ordonner à ses troupes de se replier et force l’armée française à évacuer Sarrebourg. Les Allemands ne s'arrêtent pas à la frontière et continuent leur progression avec pour objectif de prendre Nancy. Un repli en bon ordre permet cependant au général de Castelnau de défendre cette ville avec succès, ce qui stoppe l'offensive allemande dans ce secteur. Les combats continuent avec les batailles du Grand Couronné et de la Haute Meurthe jusqu'à la mi-septembre, lorsque les premières tranchées sont creusées.

La bataille de Lorraine a été une lourde défaite pour la France, sonnant le glas de cette première « offensive à outrance » voulue par Joffre. Les combats d'août 1914 ont coûté à l'armée française plus de 300.000 hommes tués, blessés ou disparus, avec au moins 84.500 morts, dont 27.000 pour la seule journée du 22 août : le jour le plus meurtrier de  toute cette guerre. Prenant enfin la mesure de l'ampleur de la menace ennemie sur Paris, et de l’échec de sa manœuvre d’offensive, Joffre décide le 25 août un repli général sur la ligne Verdun, Aisne, Laon, La Fère et la Somme.

La déroute de Vergaville, vue par les Allemands
Le sort personnel d’Emile Ratier, pris au piège dans cette tourmente, n’est pas très clair : la première mention de sa disparition sur son registre matricule est obscure : « Disparu depuis son départ au front le 5 août 1914 ». Puis des précisions sont ajoutées : « Tué à l’ennemi très probablement le 19-20 août 1914 ». Ses restes retrouvés à Vergaville sont transportés au cimetière militaire de cette localité, tombe n° 422. Et lorsque ce cimetière est érigé en Nécropole Nationale, il y occupe la tombe 79. Mais ce n’est qu’en juillet 1921 que son avis de décès est enfin notifié par un jugement, comme celui de tant d’autres disparus au cours de ce premier mois catastrophique de guerre.

Emile Ratier figure sur le Livre d’Or du ministère des pensions pour Tornac, cette inscription lui ouvrant le droit à la mention « Mort pour la France ». Mais il ne figure pas sur le monument aux morts de la commune, tandis qu’il figure sur celui d’Orthoux-Sérignac-Quilhan (où ses parents résidaient) et sur la liste de la Nécropole Nationale de Vergaville.


A suivre…