LE RÉGAL DU TROUPIER

Semaine 171

Du lundi 4 au dimanche 10 novembre 1917



Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

HAUT LES CŒURS !

Raoul-Jules Bastide, soldat au 203ème régiment d’infanterie
Mort de ses blessures le 17 septembre 1914 à Nevers (Nièvre)


Raoul-Jules Bastide est né à Tornac, d’Auguste et de Zulma née Béchard. A l’âge de 20 ans il est valet de ferme. En 1910 il est ajourné pour « faiblesse », mais l’année suivante l’armée l’accepte. Il rejoint le 3ème régiment d’infanterie. Après ses deux ans de service il est libéré en septembre 1913. Son statut de civil ne dure même pas un an puisqu’il doit retrouver l’armée lors de la mobilisation d’août 1914. Il est incorporé dans un régiment de réserve destiné à soutenir le 3 RI, le 203 RI formé à Digne.

Dès août 1914, la prise de Verdun a constitué un objectif majeur des Allemands qui y voient une manière de saper le moral français, espérant ainsi annihiler toute opposition de l'armée de Joffre. L'objectif des Allemands est alors d'encercler les Français. Une première tentative à l'ouest et au sud-est par Pont-à-Mousson, les combats du Bois-le-Prêtre, est un échec, mais les deuxième et troisième attaques permettent aux Allemands de prendre Saint-Mihiel et de maîtriser le fort du Camp-des-Romains qui la surplombe. Cependant, la résistance du fort de Troyon les arrête, sauvant Verdun qui demeure française.

Le front se stabilise alors et s’organise autour des réseaux de tranchées : la ligne de front Verdun–Vosges–Belfort est désormais brisée par ce « saillant ». Celui-ci limite les possibilités d’approvisionnement de la place de Verdun en coupant la voie Verdun-Nancy. Cette position stratégique explique les efforts incessants de l'état-major allemand pour s’y maintenir malgré toutes les tentatives françaises.

Le 203ème Régiment d’Infanterie fait partie des régiments à peine constitués mais qui sont aussitôt jetés dans cette bataille autour de Verdun.

Voici l’historique de ce Régiment, au ton particulièrement auto-satisfait, ce qui n’est pas toujours le cas des historiques des régiments, la plupart d’entre eux étant quand même plus sobres…

« Le 203ème, constitué à Digne le 5 août 1914, commandé par le lieutenant - colonel Duvaux, a un effectif de 47 officiers, 2.200 hommes de troupe des recrutements de Digne, Marseille, Nice, Rodez.

Au matin du 7 août, le lieutenant-colonel Duvaux passe le 203ème en revue et lui remet son drapeau, émouvante cérémonie, à la suite de laquelle le régiment quitte ses montagnes natales.

Le 7 août 1914, le 203ème est dirigé sur Cannes, où s’opère la concentration de la 65ème division. Du 8 au 20 août, à Cannes et au camp St-Georges, période de mise en main, exercices, tir, marches, manœuvres de jour et de nuit, alertes. Dans chaque phase de l’entrainement, tous font preuve du meilleur esprit de discipline.

Les communiqués apprennent la violation de la neutralité belge, la résistance héroïque des  places fortes de ce pays déchiqueté, pillé, brûlé sauvagement par les Allemands. La haine du  barbare, de l’adversaire déloyal, des assassins d’enfants et de blessés, se développe dans  l’esprit de chacun, et tous, animés de la volonté de combattre et de vaincre, attendent  impatiemment le jour du départ pour la frontière de l’Est.

Le 21 août, le 203ème se lance joyeux vers l’Est, traversant une partie de la France  enthousiasmée, au milieu de ferventes ovations.

Le 23 août, le 203ème régiment d'infanterie débarque à Saint-Mihiel, Bannoncourt, cantonne  à Rouvroy-sur-Meuse. Premiers grondements de canon, très loin... Du 24 au 27 août, marches. De la vallée de la Meuse, le 203ème passe en Woëvre (Hannonville, Creüe, Chaillon, Herbeuville, Combres). Au loin, vers Conflans, Etain, incendies, canonnade, crépitement des mitrailleuses. Rencontre des régiments venant de la bataille. Les trophées qu’ils rapportent fièrement, les exploits qu’ils viennent d’accomplir excitent au 203ème l’admiration et le désir de se battre.

De longues et pénibles marches précèdent le jour du combat. Et le 203ème, narguant constamment la fatigue, les privations, revient de nuit sur la Meuse (Ambly, Haudainville) et passe au nord de Verdun. Dans cette période de mouvement journalier, après de dures étapes, malgré les intempéries et une nourriture précaire, le 203ème conserve toujours sa bonne humeur.

Le 30 août, bivouac sur le plateau de Douaumont. Chacun se confectionne une niche avec des bottes d’avoine abandonnées. Les tranches de pain grillées sur la braise et les pommes de terre cuites dans la cendre sont le régal du troupier.

Le 31 août, le 5ème bataillon prend les avant-postes à Ornes. Le 1er septembre, le 6ème bataillon, parti à 5 heures de Douaumont, se dirige sous bois vers la canonnade et se trouvé sur la ligne de feu à 13 heures, près de Ville-devant-Chaumont. Jusqu’à la tombé de la nuit, il se maintient sur ses positions, sous un bombardement d’artillerie de campagne des plus nourris. Le 5ème bataillon, devant Grémilly, se défend âprement. C’est le baptême du feu. Combat indécis. Les lieutenants Gauthier et Nielle ont été blessés, quarante-sept hommes hors de combat. Avec la nuit, silence. Repli à un kilomètre de la ligne de feu ; bivouac. L’opération est terminée. Les corvées s’organisent. Chacun consomme une partie des vivres de réserve, apprécie leur valeur et se félicite de les avoir emportés.


Le 2 septembre, le régiment se rassemble au nord de Verdun (Côte du Poivre), après avoir traversé un champ de bataille où gisent pêle-mêle cadavres, chevaux, voitures, effets abandonnés.

Le 3 septembre, marche jusqu’à Charny. Vers 18 heures, embarquement, transport par voie de fer, de nuit, jusqu’à Bannoncourt. Arrivé vers 22 heures, le 203ème cantonne à Mézay.

Départ au lever du jour, le 4. Le 5ème bataillon cantonne à Lamorville; le 6ème à Spada.

Le 5 septembre, départ des deux bataillons, passage à Saint-Mihiel. Un avion ennemi survole nos mouvements à une faible hauteur. Des tirs de mousqueterie l’obligent à fuir. Le 5ème bataillon cantonne, le 6ème bataillon bivouaque à Koeur-la-Grande.


Le 6 septembre, marche au canon de trente kilomètres vers l’ouest par Pierrefitte.
Rencontre des convois d’habitants des régions évacuées, sur des voitures lorraines transformées en roulottes. Le 203ème bivouaque au Bois Blandin. Pendant cette période, les repas sont simples, composés uniquement de conserves; les fatigues sont grandes... Mais le 203ème connait l’avance ennemie et veut participer à l’arrêt de l’envahisseur.


Le 7 septembre, le 6ème bataillon, engagé entre Serraucourt et Deuxnouds-devant-Beauzée, maintient ses positions sous de violents tirs d’artillerie. Les lieutenants Bohler et Drogoul sont blessés, cent trente-trois hommes hors de combat. Le 5ème bataillon, tenu en réserve au nord-ouest du bois Blandin, bivouaque sur le mamelon d’Heippes ».

Raoul-Jules Bastide fait partie de ces blessés, il est évacué vers l’arrière.

Suite de l’historique du 203 RI : « Le 8 septembre, le 5ème bataillon, engagé à son tour contre des positions ennemies au nord de Deuxnouds (cote 294), occupe une crête et s’y maintient plusieurs heures dans des conditions difficiles. Le lieutenant Honorat est tué, un autre officier (Féré du Pérou), blessé, cent trente hommes hors de combat. Le 5ème bataillon cantonne à Issoncourt, le 6ème bataillon en alerte à Serraucourt. A la suite du combat du 8 septembre, le médecin chef, avec une partie de son personnel médical, sont faits prisonniers pendant qu’ils relevaient des blessés. Retenus par l’armée ennemie, puis abandonnés au recul de celle-ci, ils purent rejoindre le régiment, le 15 septembre, à Châtillon-sous-les-Côtes

Le 9 septembre, travaux de retranchement, organisation de la défense des villages (Serraucourt, Issoncourt) ; journée plus calme. Les vivres de réserve sont complétés. Un avion ennemi survole Serraucourt, précède un tir de gros calibre sur les villages et nos retranchements de Mondrecourt. Le commandant Erard est blessé, quarante-six hommes hors de combat. Les capitaines Boissonnet, puis Géry prennent le commandement du 6ème bataillon. A minuit, alerte. Pour arrêter l’ennemi, pour défendre Serraucourt, furieux combats qui durent toute la nuit et une partie de la matinée du 10 septembre. Devant des forces supérieures arrêtées pendant plusieurs heures, le 203ème reçoit l’ordre de se replier. Une section arrière-garde voit, à deux cents mètres d’elle, coiffés du képi rouge, revêtus de capotes bleues, arborant un fanion de la Croix Rouge, un groupe d’hommes qui fait signe de les attendre. Arrivés à cent mètres, surprise ! Ces hommes, habillés d’uniformes français, protégés par l’insigne de la Croix Rouge, sont des Allemands qui masquent des troupes et ouvrent le feu sur la section arrière-garde. Celle-ci exécute aussitôt un tir à répétition sur ces misérables et se replie.

Le 203ème se rassemble au nord de Longchamp. Le capitaine Pichon, les lieutenants Lionewski, Faure, disparus. Trois cent quarante un hommes hors de combat.

Les 11, 12 septembre, occupation et organisation d’une deuxième position au nord de Longchamp, Chaumont, Courouvre. Journées pénibles; aux souffrances physiques (froid, boue, pluie, sans abri ni linge sec) s’ajoute une mauvaise nourriture; le pain est moisi quand on le consomme.

Le 12 septembre, haut les coeurs ! Le 203ème apprend la retraite précipitée de l’ennemi, la grande victoire de la Marne. Inconsciemment, à l’aile droite de la bataille, du 6 au 11 septembre, le 203ème a participé bravement à arrêter l’envahisseur. La poursuite commence. Oubliant les fatigues, le régiment marche jusqu’à Villers-sur-Meuse. Le génie construit des ponts pour traverser la Meuse. Sitôt les passages établis, le 203ème repart, le 14 septembre, marche toute la nuit, traverse les Hauts-de-Meuse et, le 15 septembre, dans la matinée, le 5ème bataillon réoccupe Hermeuville, avant-postes, le 6ème bataillon en réserve à Châtillon-sous-les-Côtes.

Le 16 septembre, une reconnaissance du 5ème bataillon, près de Warq, se heurte à des réseaux de fil de fer barbelés, à des tranchées allemandes occupées.

Le 18 septembre, le 5ème bataillon cantonne à Watronville; le 19, le 6ème bataillon passe à Eix et cantonne à Douaumont.

Le 20 septembre, le régiment prend les avant-postes devant Ornes.

Le 21 septembre, bombardement de nos positions. Onze hommes hors de combat.

Le 23 septembre, le régiment marche, toute la nuit, traverse les Hauts-de-Meuse ; le 24, il embarque à Verdun. Le 6ème bataillon débarque à Woimbey. Un avion ennemi observe les mouvements des troupes ; la gare est bombardée, le 5ème bataillon ne peut débarquer qu’à Tilly-sur-Meuse. Le régiment se rassemble et bivouaque dans la forêt de Marcaulieu. 

Du 25 septembre au 17 octobre, nombreuses marches dans la forêt de. Marcaulieu, bois des Paroches, de Fresnes-au-Mont. Le régiment occupe successivement divers points d’une deuxième position, en réserve. Les coins de bois où l’on bivouaque se garnissent rapidement, grâce à l’habileté, à l’ingéniosité de tous, de gourbis rudimentaires.

Le 29 septembre, un rôle de sacrifice est confié au 203ème, qui doit, en terrain découvert, vu de l’ennemi, progresser sur les pentes sud du fort des Paroches jusqu’aux casernes de Chauvoncourt et attirer toute l’attention et les feux de l’adversaire. Bravement, les sections désignées progressent sous de violents tirs de tous calibres et accomplissent leur mission périlleuse. L’ordre et la discipline maintenus dans les petites unités rendent les pertes minimes (dix-neuf hommes hors de combat). 

Le 13 octobre, en soutien à l’assaut des casernes de Chauvoncourt, le régiment a huit hommes hors de combat. La guerre de mouvement est arrêtée; la guerre de tranchées commence... ».

La blessure de Raoul-Jules Bastide est la suivante : « plaies cuisse et fosse iliaque postérieure gauche par éclats d’obus ». Son évacuation du terrain de bataille de Koeur-le-Grande finit par le conduire à l’hôpital temporaire 10-41 de Nevers, où il meurt le 17 septembre 1914. Le Ministère de la guerre en avise sa famille le 6 octobre, puis accorde à son père le 25 octobre un secours de 150 francs.

Raoul-Jules Bastide figure sur le monument aux morts de la commune de Tornac, ainsi que sur son Livre d’Or.

A suivre…