Semaine 174
Du lundi 25 novembre au dimanche 1er décembre
1917
Ce
blog se poursuit sur un double plan temporel :
-
avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
-
avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais
LES
CASERNES DE CHAUVONCOURT
Alphonse-Fernand
Gazagne
38ème Régiment
d’Infanterie Coloniale
Mort le 27
septembre 1914 à Saint-Mihiel
Alphonse-Fernand Gazagne
est né le 16 juin 1880 à Bagard de Jean-Pierre et d’Hortense-Irma, née
Soulatge. En 1900 il est meunier. Incorporé en 1901 au 22ème Régiment
d’Infanterie Coloniale il y fait ses trois ans de service. Il y fait ensuite
deux périodes d’exercice d’un mois en 1907 et 1910. En août 1914 il est appelé
au 38ème Régiment d’Infanterie Coloniale. Il y arrive dès le 4 août, mais
curieusement il est renvoyé dans ses foyers le 23 août, son livret militaire ne
dit pas pourquoi. De toute façon ce sursis est bref, il regagne son corps le 5
septembre.
Le 38e Régiment
d'Infanterie Coloniale a été constitué à Toulon, au dépôt du 8e Colonial, le 2
août 1914, pour lui servir de réserve. Il se compose d'une Compagnie Hors-Rang,
de deux Bataillons (4e et 5e) et d'une Section de Mitrailleuses par Bataillon. Les
officiers qui entrent dans l'encadrement proviennent : les Officiers Supérieurs
et tous les Capitaines, de l'Armée active ; les Lieutenants et Sous-lieutenants,
des Officiers de Réserve, tous anciens Sous-officiers coloniaux. Trois ou
quatre Sous-officiers par Compagnie sont de l'active, les autres, les caporaux
et les hommes sont des réservistes en grande partie des départements du Tarn, de
l'Aveyron, de l'Ardèche, du Gard et de l'Hérault. Ils ont fait leur service
actif en Algérie et dans l'Infanterie métropolitaine. Très peu proviennent des
troupes coloniales.
Voici le récit de ces
deux premier mois de guerre dans l’historique du régiment :
Le Régiment
s'embarque en chemin de fer le 7 août, à 4 heures du matin, à destination du
front italien. Il débarque le même jour près de Grasse et cantonne : le 4e
Bataillon et l'E.-M. à Pégomas et le 5e Bataillon à Auribeau (Alpes-Maritimes).
Il achève là sa constitution, revoit son instruction, exécute des tirs au Champ
de tir de Grasse et acquiert de la cohésion. Il y reste jusqu'au 20 août.
La Division
s'embarque en chemin de fer à La Bocca, le 21 août. Le 38e est enlevé dans deux
trains et, par Avignon, Lyon, Dijon, Chalindrey et Commercy est dirigé sur la
Lorraine. Les deux Bataillons débarquent les 23 et 24 à Bannoncourt (Meuse). Le
25, le Régiment va occuper les Hauts de Meuse, aux environs du promontoire
d'Hattonchâtel. On construit hâtivement des tranchées. Le 29 août, sur un ordre
de brusque départ, la D. I. se met en route pour Verdun par la Tranchée de
Calonne, Haudainville, Belrupt, Fort de Tavannes, Fort de Douaumont et
bivouaque le 31 août au bois de la Vauche. Le jour, la chaleur est pénible,
alors que les nuits sont fraîches. On commence à s'aguerrir et on sent proches
les premiers combats.
Le 1er septembre, à
la pointe du jour, le Régiment se porte à travers champs sur Ville devant Chaumont,
en formation de combat. Au passage du plateau de Beaumont, le 5e Bataillon qui
est en tête reçoit les premiers obus de gros calibre ; ils ne font aucune
victime, ce qui inspire aux hommes une belle confiance. Le 5e Bataillon gagne
le bois des Caures ; la 17e Compagnie ne peut déboucher de la lisière nord
malgré trois tentatives du lieutenant Baur que sa section suit comme à la
parade. Les 18e, 19e et 20e, par les couverts, viennent border le bois à
l'ouest du village qu'elles dominent. A leur tour, elles ne peuvent progresser.
La section Tanguy, de la 19e, est déployée en plein champ et, pendant plus de
dix minutes, reçoit des centaines d'obus de tout calibre. Elle n'a cependant
aucun blessé lorsqu'elle rentre sous le couvert du bois, ce qui, de plus en
plus, confirme les hommes dans l'idée que chaque obus ne porte pas. Il n'en va
pas de même au 4e Bataillon. Amené à découvert à cause du terrain, pour
renforcer la 17e, il subit, en peu de temps, de grosses pertes ; son commandant
est blessé. De toute la journée, le 38e reste immobilisé, la nuit arrive en
même temps que l'ordre de repli. Les pertes du 1er septembre sont lourdes : 9
officiers blessés dont le commandant d’Adhémar ; troupe : tués 13, blessés 220,
disparus 47. Ces derniers ne sont pas disparus au sens propre du mot, la nuit
très noire et le départ précipité n'ont pas permis de relever tous les morts et
les blessés, ce qui a été fait le lendemain par un autre corps. A deux heures
du matin, après quelques heures aux avant-postes, la D. I. se retire sur
Louvemont, appelée à prendre part à la bataille de la Marne. Embarqué à Charny,
le 3 septembre, le Régiment débarque à Bannoncourt le même jour. Les 4 et 5, il
est en marche et, par Saint-Mihiel, Les Koeurs et Pierrefitte, arrive à
Issoncourt le 6.
Après une longue
marche, le 38e reçoit le 6 près de Mondrecourt, quelques obus d'artillerie
lourde. Le 7, au débouché de Deuxnouds devant Beauzée, le 4e Bataillon est
accueilli par une violente canonnade de tout calibre et des feux nourris de
mitrailleuses. Il reste stoïquement sur ses positions, malgré le repli de ses
voisins. Le capitaine Estève est tué à son poste. Le soir, le Régiment se retire
par ordre sur le bois Blandin qui est mis en état de défense. Les journées des
8 et 9 se passent à peu près tranquillement ; le Régiment bivouaque dur les
pentes sud du bois. Le 9 au soir, le 5e Bataillon est aux avant-postes à la
lisière nord, le 4e est au bivouac avec le colonel ; le T. C. et même le T. R.
sont sur la route de Mondrecourt – Regnaucourt, à proximité. Plusieurs
patrouilles allemandes, tâtant le front, sont facilement repoussées pendant la
nuit. Vers 23 heures, le 312e est attaqué à gauche du 38e, par de nombreuses
troupes hurlantes ; il recule, ouvrant une brèche dans notre front et
permettant ainsi à l'ennemi de contourner le bois Blandin.
Le 10, à deux
heures, des coups de fusil éclatent vers le T. C. Le Chef de Corps, croyant à
une méprise, fait sonner : « Cessez le
feu ». Ce sont les Allemands qui, chantant en français, viennent prendre à
revers le Bataillon au bivouac. Dans la nuit noire, les hommes ne retrouvent
plus leurs armes, le bivouac est submergé. Le colonel Dardignac est tué à bout
portant, le lieutenant Gay a la cuisse fracassée à côté de lui. Les capitaines Chauvet
et de Clervaux parviennent à grouper quelques hommes qui enrayent l'avance
ennemie. Le capitaine de Clervaux est tué à son tour. Le capitaine Chauvet
donnant presque tout son monde au porte-drapeau, fait filer l'emblème sacré
vers l'arrière, ce petit détachement se faufile dans la nuit entre les groupes
ennemis et se heurte, au petit jour, au village de Mondrecourt qu'il trouve occupé
par les Boches qui ne s'aperçoivent pas de la présence du drapeau. Entre temps,
le 5e Bataillon, aux avant-postes, était dans l'ignorance complète des
évènements. De tous les agents de liaison envoyés, un seul est revenu, amenant
la 16e Compagnie que le colonel envoyait en renfort. Vers une heure, le
commandant Rebel inquiet de ce silence, préoccupé par les coups de feu entendus
à l'arrière, part avec une section de la 18e pour conférer avec le Chef de Corps.
Il trouve le bois occupé, se faufile tant bien que mal et ne peut plus revenir.
Les 18e, 19e, 20e Compagnies ayant la 16e en réserve, se trouvent seules à la lisière
nord du bois qui, de plus en plus, derrière elles, se remplit d'Allemands. Au
jour, elles s'aperçoivent de la situation et se demandent comment elles vont
pouvoir se dégager ; la fusillade et la canonnade s'éloignent vers le sud. Vers
8 heures, le capitaine Ehrardt, avec la valeur de six sections des 16e, 19e et
20e, sort du bois près du village de Regnaucourt complètement vide et reçoit
des coups de mitrailleuses venant de l'emplacement du bivouac du 4e Bataillon.
Avec le reste du Bataillon le capitaine Marbot quitte le bois vers 11 heures.
Petit à petit, les survivants se rallient et gagnent le point de rassemblement
; l'ennemi, soit qu'il soit fatigué, soit plutôt qu'il ait de mauvaises
nouvelles de l'ouest, ne bouge plus et n'inquiète nullement les petits
détachements français qui sortent de tous côtés.
Ce jour, 10
septembre, s'accomplit un fait à retenir : l'adjudant Giovanetti, de la 19e Compagnie,
ayant une quinzaine d'hommes avec lui, apprend d'un lieutenant du 40e R. A. que
six pièces de 75 avec leurs caissons sont abandonnées et que des coureurs
ennemis sont déjà dessus. L'adjudant part aussitôt, repousse à coups à coups de
fusil les Allemands qui, convoitant leurs trophées, commencent à arriver, se
fait montrer la façon d'accrocher les avant-trains, amène les attelages et
revient triomphalement en ramenant tout le matériel.
Ces quelques jours
de combat ont coûté au Régiment : Officiers tués, 5. Troupe : tués, 22 ;
blessés, 270 ; disparus, 169. Les disparus sont en grande partie des hommes
tués en faisant bravement leur devoir pendant ce violent combat de nuit.
Trois semaines
après, le Régiment revenu à quelques kilomètres de là, apprenait que 600
Allemands étaient restés morts sur le terrain. Détail particulier montrant
l'acharnement de la lutte, un homme du Régiment et un Allemand furent retrouvés
embrochés réciproquement sur leurs baïonnettes et encore debout, face à face.
Pendant quelques
jours, la Division se maintient dans la vallée de l'Aisne et apprend la
victoire de la Marne et la retraite des Allemands. Dans la nuit du 14 au 15
septembre, par une pénible marche qui se fait dans de mauvais chemins détrempés
par la pluie tombant depuis plusieurs jours, la 65e D. I. se porte à l'est de
Verdun, après avoir franchi la Meuse à Villers sur un pont du Génie hâtivement
construit. Le 38e cantonne successivement à Watronville, Ronvaux, Moulainville,
Bezonvaux, Ormes et ses Jumelles. Il reçoit, le 21, un renfort de 6 officiers
et 1020 hommes de troupe qui remontent l'effectif. Le 24, après avoir, pendant
quelques jours, commencé des tranchées, il est relevé aux avant-postes, sans
s'y attendre, à deux heures du matin, par le 330e R.I. Ordre est donné de
gagner Verdun rapidement. La D. I. allait d'urgence, boucher le trou créé par
l'avance allemande à Saint-Mihiel.
Embarqué à Verdun le
24 septembre, le Régiment met pied à terre à Villers, les trains ne pouvant déjà
plus aller jusqu'à Bannoncourt. Par Thillombois et les bois de la rive gauche,
il gagne Fresnesau-Mont et prend position dans les forêts, à l'ouest du terrain
de manœuvre de la garnison. Le 27, une attaque est prescrite sur les casernes.
Le 4e Bataillon est à la pointe de Malimbois, le 5e à celle de la Haute-Charrière.
Après une reconnaissance faite en plein jour par la 20e Compagnie, l'attaque se
déclenche à la tombée de la nuit : le 5e Bataillon, déployé comme à la manœuvre,
arrive au pied des casernes formidablement défendues, la préparation
d'artillerie fait flamber trois bâtiments, mais aucune brèche n'existe dans le
mur.
On n'a rien pour escalader cet obstacle infranchissable, impossible d'aller
plus loin. On ne peut rester ainsi sous le feu : ordre est donné de se replier,
opération difficile sous la pleine lune, on y voit comme en plein jour. Le
mouvement s'exécute cependant avec ordre et par échelon ; le Régiment rentre en
forêt sous la protection du 42e RIC qui occupe les lisières. Il a perdu dans
cette attaque : le sous-lieutenant Marquet disparu, deux officiers blessés.
Trois hommes tués, 81 blessés et 93 disparus. Pendant des mois, le Régiment
aura la douleur de voir ces derniers gisant autour des murs sans que les
Allemands, qui sont cependant à quelques mètres daignent leur donner une
sépulture.
Alphonse-Fernand Gazagne
fait partie des disparus de la journée du 27 septembre. Son corps est l’un de
ceux qui gisent sans sépulture pendant des années : il faudra attendre le
1er octobre 1918 pour qu’il soit retrouvé et identifié, lorsque les Français
parviendront à reprendre cette zone de Chauvoncourt. Il figure sur le monument
aux morts et le livre d’or de Tornac.
A
suivre…