SALE JOURNÉE


191ème semaine

Du lundi 25 au dimanche 31 mars 1918

Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

LES ÉCLATS DE QUELS OBUS ?

Louis-César-Gaston DUCROS
Sapeur-conducteur au 7ème Régiment du Génie
Mort le 11 avril 1917 à Bourg-et-Comin (Aisne)


Louis-César-Gaston DUCROS est né le 11 mars 1875 à Tornac, fils de Louis-Gaston et de Césarine née Grévoulet. Il est cultivateur puis cantonnier. Lors de son appel en 1893, il est ajourné pour état de faiblesse, mais reconnu bon pour le service l’année suivante. Incorporé au 163ème régiment de ligne, il en part en 1899, son service accompli.

A la déclaration de guerre du début août 1914, il intègre le 117ème Régiment territorial d’Infanterie (il a 39 ans). Puis il passe au 7ème régiment de Génie le 13 octobre 1915, peut-être en raison de ses compétences de cantonnier, le rôle des territoriaux du Génie étant d’entretenir les routes pour le passage des convois militaires. Mais ils accomplissent également d'autres tâches statiques, comme la préparation des cimetières militaires ou la garde des dépôts de munitions.


Historique de ce régiment : « A côté de ceux des combattants grisés par les péripéties de la lutte, il y a une série de héros, moins en vedette, qui pourtant contribuent pour une large part à la réussite des opérations. Leur courage solide est fait de sang-froid, de maîtrise de soi-même, de dévouement, d'abnégation. Sous les obus, les balles, les grenades, dans les nappes de gaz asphyxiants, ils travaillent toujours, ils combattent souvent aussi.
Les sapeurs du Génie doivent être placés au premier rang des ces phalanges techniques. Ils ont droit à une bonne part de cette victoire arrachée après cinq ans d'une lutte acharnée et sans merci. Maintes fois, leurs unités furent à l'honneur. Courage et dévouement leur ont valu de glorieuses citations, dignes de celles obtenues par nos plus vaillantes unités d'attaque ».

Il est pratiquement impossible de retracer les derniers jours d’un sapeur du Génie. Leurs régiments étaient fractionnés en compagnies rattachées de manière provisoire à tel ou tel secteur, sans qu’il en reste aujourd’hui des traces précises. En avril 1917, une compagnie de pontonniers du 7ème Génie a été citée à l’ordre de l’Armée : « Compagnie de sapeurs-pontonniers tout à fait remarquable par les qualités techniques, l'endurance sous les bombardements les plus violents, la volonté et la froide énergie de ses officiers, gradés et sapeurs. Sous le commandement du Capitaine Eychenne et du Lieutenant Duboisset a assuré sur l'Aisne, pendant la bataille d'avril 1917, la construction, la surveillance et l'entretien de nombreux ponts de pilotis et de bateaux sous les feux prolongés et violents de l'artillerie ennemie, permettant le franchissement continu de l'Aisne de jour et de nuit malgré les tirs de destruction dirigés sur les ponts ». Une autre compagnie reçoit elle aussi une citation à l’ordre du Corps d’Armée : « Sous l'habile direction de son chef, le Capitaine Guionie, la Compagnie 15/5 du 7e Régiment du Génie a établi de nombreux passages sur un cours d'eau important et les a parfaitement entretenus du 6 février au 25 avril 1917, malgré les tirs d'artillerie allemande violents et systématiques ; cette unité a ainsi assuré, d'une façon constante, la liaison entre les éléments d'un Corps d'Armée, malgré les plus grandes difficultés. Il s'agit des attaques d'avril 1917 où elle travailla sans relâche à la construction et à l'entretien de passages sur l'Aisne et sur le canal latéral entre Génicourt et Sapigneul ».


Louis-César-Gaston DUCROS est tué par des éclats d’obus sur le chantier de Bourg-et-Comin (Aisne) le 11 avril 1917.

Peut-être a-t-il été tué par les éclats d’un obus allemand, le bombardement étant assez dense à ce moment-là sur ce front. Le commandement allemand y connait en effet les plans d’attaque du général Nivelle et se renforce en défense et en contre-attaque.

Mais peut-être aussi aurait-il été tué par un événement tragique survenu quelques jours auparavant près de ce village. Il s’est produit le 4 avril une explosion d’un dépôt de munitions à Bourg-et-Comin, comme le rapporte le récit de Pol Roynette, brigadier au 120 RAL (daté au 11 avril…) : « à la sortie nord de Bourg-et-Comin un énorme dépôt de munitions empile en hautes rangées obus, bombes à ailettes, caisses de cartouches et de grenades (…). Une détonation formidable fait tout à coup trembler le sol et une onde de choc courbe les arbres du bois des Chaupières. Pendant un quart d’heure, les explosions se suivent. A deux kilomètres, vers Bourg-et-Comin, s’élève une très haute volute de fumée blanche. Nous poussons tous le même cri : le dépôt de munitions vient de sauter ! ». L’explosion de ce dépôt où 45 000 obus lourds étaient entassés fit 50 morts et 100 blessés. Elle reste l’un  des souvenirs d’avril 1917 pour les combattants du voisinage qui l’entendirent et ceux qui virent l’entonnoir énorme qu’elle creusa.

Un dépôt de munitions en 1917
Témoignage du Docteur Bion, présent sur place :
« 29 mars...Il nous pleut sur le ventre. Les obus ont des sons différents selon les coins du front. Ici, ils claquent sec et leur écho se répercute dans le vallon. On entend très bien leur départ lointain, et encore mieux leur arrivée. Le 1er groupe (Delorme) est près de nous avec ses 120. Derrière la 23, les 155C Saint-Chamond du 101e. Près de la route, les 155C du 117 (commandant Ducatel), et dans le coin, les 370. Sur 200 m, quel nid de batteries ! Les poilus traînent nos marmites et, sous leur capuchon ciré, ils se confondent avec les marmites pointues. L'offensive se précise de plus en plus, et on en attend avec impatience le déclenchement. Mais quelles averses.
- Mercredi saint, 4 avril 1917... Sale journée, beaucoup de morts. Pluie continuelle. À 6h, j'étais étendu sur ma paillasse, lisant André Cornilis de Paul Bourget, tandis que les marmites boches glissaient sur nos têtes. Je suis soudain projeté et reçois un pain formidable sur la joue. Ma lèvre gonfle et saigne. Un souffle formidable a tout renversé et disjoint la cagna. La fiole d'eau de Cologne de Godart me passe au ras du nez et je ne vois plus Philippi, affalé dans un coin. Un énorme nuage de fumée obscurcit tout. Je traverse la cuistance démolie, où Marchand, un éclat de verre dans la tête, reste ahuri devant son poêle renversé, la bouteille de gnole brisée, le pinard renversé, la soupière et le sucrier de Beaucamp en miettes, après tant de campagnes. Le commandant a une bosse à la tête. Devant ce ravage, j'ai aussitôt l'impression que c'est la 23e batterie tout entière qui vient de sauter. Les hommes sont à la porte de leurs cagnas, et Bonnet, de la 25e a une plaie sur la tête et est complètement dingo. C'est le 9e groupe et un dépôt de torpilles qui viennent de sauter. Le commandant Jaispon est tué, ses deux adjoints blessés, Jouanneau mortellement atteint à la tête. Les blessés rappliquent au poste de secours. Le 8e groupe du 101e m'amène les siens. Leur médecin est complètement affolé et restera encore longtemps terré au fond de mon poste de secours, sans oser en sortir. Pendant que j'évacue Levort, un fantassin du 153 (39e D.I.), qui a la figure fendue de l'oreille à l'autre oreille, avec les dents qui pendouillent dans cet affreux cloaque sanguinolent, une marmite nous arrive droit dessus. Avec Wormser, nous n'avons que le temps de nous planquer dans la boue et la pluie qui continue comme le marmitage. Elle éclate à 4 mètres, les éclats bourdonnent, la terre retombe en pluie, longtemps, longtemps. Elle est tombée à 50 cm de l'angle du P.S. et ne l'a que fortement secoué. Les blessés et les morts sont nombreux : plus de 200 au minimum. Plus que 16 hommes à une batterie du 9e groupe du 82. Les deux capitaines seraient tués, un général aussi, le 101e aurait aussi fortement trinqué. Que ne dit-on pas ? Camions, chevaux, cavaliers, tout cela est pêle-mêle, cul par dessus tête et morts.
Toute la nuit, les marmites boches glissent en nappe au-dessus de notre tête et vont éclater derrière la 23e batterie, par rafales de 4 à 5, percutants et fusants. On n'entend plus de circulation sur la route, les communications sont coupées.
Au petit jour, encore une formidable détonation. Les planches de la guitoune se disjoignent, les campements lancés dans toutes les directions. Godart qui avait attaché ses grollons au-dessus de sa couchette, les reçoit en avalanche sur le bide. Mon râtelier qui trempait dans un verre, est projeté dans la terre, à 3 mètres, et le verre n'est pas brisé. C'est Bessard qui m'a retrouvé le précieux dentier. Une autre fois, je l'attacherai avec une ficelle.
- Jeudi saint, 5 avril... Les cloches sont peut-être parties pour le restant des mortels, mais cela n'empêche pas les boches de nous sonner sans discontinuer. La neige recouvre la terre. Ce matin, après l'explosion qui a démoli la guitoune et bousculé ses habitants, quelle jolie minute d'émotion j'ai eue en entendant dans le silence qui suit ces formidables cataclysmes une fauvette, à tête noire, qui chantait un chant printanier. Quels contrastes !
Tout le monde attend impatiemment l'attaque. On dit qu'elle aura lieu vers le 13. En attendant, aucun canon français ne tire, et les boches tirent dans les nids de batterie et font mouche à tout coup.
Il y a deux jours, c'était une batterie du Mont Charmont, hier le 9e groupe du régiment qui est complètement anéanti. Tous ses obus de 220 ont sauté, faisant une tranchée de 10 m. de profondeur et 800 m de long, et combien de victimes !
La nuit, on entend très bien le départ des coups chez les boches, et encore mieux leur arrivée sur nos pièces. Nous avons, à 200 m de nous, un énorme dépôt de 75. S'il éclate, nous avons moult chances d'être bousillés. À 100 m, ce sont des centaines d'obus de 370, etc.
Le moral est bon et joyeux. On chante, et chacun espère que les boches ne vont pas tarder à en prendre pour leur matricule.
- 6 avril... Beau temps au réveil. La fauvette à tête noire chante éperdument.
Une à une, les saucisses montent au plafond où elles forment des constellations. Que de saucisses, pour un Vendredi saint ! En voilà 26 dans notre secteur ! Les batteries commencent à tirer. Un coup par batterie d'abord, puis toutes les pièces. Le vacarme des grands jours commence, c'est la grande fête du canon, la préparation d'artillerie, l'offensive ! Les départs agitent et secouent tellement notre guitoune qu'il m'est presque impossible d'écrire. Les avions se pourchassent et le bleu du ciel n'a comme nuage que les multiples points blancs des éclatements.
L'après-midi, le temps se couvre et je vais voir les restes de la terrible explosion du 9e groupe. Terrible, effrayant, sinistre et pestilentiel ! Plus de 50 chevaux déchiquetés, et les pattes en l'air envoient leur fumet de putréfaction. Ruines, sang, cadavres, c'est effrayant ».

Quoi qu’il en soit, due à un obus allemand ou français, la mort de Louis-César-Gaston DUCROS n’est officiellement reconnue qu’en mars 1920, ce qui est étonnant pour un soldat dont le décès est attribué à des blessures dues à des éclats d'obus. Un tel délai de reconnaissance officielle concerne ordinairement les disparus, et non les soldats blessés mortellement sur le champ de bataille que l'on identifie facilement. Par ailleurs on sait que tout était fait à l'époque pour cacher les accidents de ce genre, on préférait en attribuer les victimes à d'autres circonstances plus banales. 

Louis-César-Gaston DUCROS figure sur le Monument aux morts de Tornac, ainsi que sur son Livre d’or.

A suivre…