LES LIONS DU 133ÈME


192ème semaine

Du lundi 1er au dimanche 7 avril 1918

Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

MORT DANS UN CALME RELATIF

Louis-Charles CALAZEL
Caporal au 133ème Régiment d’Infanterie
Mort le 3 avril 1918 à Rehainviller (Meurthe-et-Moselle)


Louis-Charles CALAZEL est né le 9 octobre 1895 à Anduze, fils de Louis-Philippe et de feu Victorine née Causse. Il est boulanger. Au moment de son recensement en 1914, il habite à Marseille. Comme tous ceux de la classe 1915, il est incorporé par anticipation, il arrive au 133ème Régiment d’Infanterie le 19 décembre 1914. Son registre matricule est très succinct, il ne dit notamment pas quand il est passé caporal. Formé à Belley (Ain), ce régiment gagnera le surnom des Lions, qu’il brandira fièrement. Au début de la guerre, il est engagé en Alsace.

Historique du régiment : « Le 1er août 1914, à l'heure anxieuse où la mobilisation n'était pas encore décrétée, mais où l'on pressentait déjà le tragique dénouement du conflit qui était venu assombrir la fin de juillet, le 133e quitta Belley. La population, dont l’âme vibrait avec celle de ses soldats, l'acclama longuement: un même frisson passait sur ceux qui restaient et sur ceux qui partaient. Et le dernier wagon qui, — point noir, — disparut au loin, au contour de la voie, put encore percevoir l'écho des adieux qui lui étaient adressés.
L'ordre d'avancer arriva enfin dans la nuit du 6 au 7. A 1 heure du matin, le régiment commença son mouvement sur l'Alsace. Minutes inoubliables ! Après quarante-quatre ans, l'heure de la revanche avait enfin sonné ! C'était le sol des provinces perdues qu'on foulait ! Car elle était alsacienne, cette vallée où la route descendait par d'interminables lacets ; alsacienne également, cette vallée de la Thur qu'on apercevait, tache claire, à travers l'échancrure des pentes boisées ; alsaciens aussi, ces ballons dont les formes arrondies montaient, puissantes mais sveltes tout de même, dans l'azur matinal, au-dessus de la masse sombre de leurs contreforts plongés dans l'ombre ! C'était l'Alsace et l'on courait à sa délivrance ! ».

Mais il faut abandonner l’Alsace, vite reconquise par les Allemands, mieux armés et mieux préparés. Le régiment doit défendre les cols des Vosges, pendant que l’ensemble de l’armée mène la bataille de la Marne qui sauve Paris. Et la guerre des tranchées commence. C’est à ce moment-là que Louis-Charles Calazel rejoint cette troupe. Les hommes occupent le plateau de la Fontenelle, sur la commune de Ban-de-Sapt, l’un des sommets des Vosges.

La bataille de la Fontenelle débute vers le 14 septembre 1914 au cours de la retraite des troupes allemandes après la bataille du col de la Chipotte. Le front se maintiendra jusqu'à l'armistice à ce niveau. Les combats du 16 au 22 septembre 1914 vont permettre à l'armée française d'occuper la côte 627, à la butte de la Fontenelle. Elle y installe une casemate pour abriter des tireurs d'élite. Les Allemands tenteront journalièrement et surtout de nuit, des coups de main meurtriers pour reconquérir le sommet. Du 8 décembre 1914 au 15 juin 1915 va s'installer une guerre des mines destinées à prendre le contrôle de la butte par en dessous.


Les Allemands tenteront une attaque le 16 juillet 1915. Après un bombardement de 12 heures, deux colonnes de fantassins se lancent à l'assaut des tranchées françaises. Ils ne parviendront pas à conquérir le moindre pouce de terrain. Les Français auront plus de chance le 24 juillet 1915. Leur attaque libère le village de Lanois. Durant les opérations de juillet 1915, les troupes françaises auront fait 1637 prisonniers. Ils compteront 312 morts et plus de 1000 blessés dans leurs rangs. Pour la possession de la côte 627, une bande de terre de 1200 m de longueur et de 500 m de large, 2244 soldats français et au moins autant d'Allemands auront perdu la vie.

Suite de l’historique : « Le séjour dans le Ban-de-Sapt. Le 133e fit un long séjour dans ce coin du front, puisque, — si l'on excepte l'opération de Metzeral-Sondernach en juin 1915, — il y resta jusqu'en avril 1916. Et ce secteur, qu'à la longue on s'imaginait n'avoir jamais quitté et qui rappelait, par endroits, certains paysages du Bugey, était devenu, pour le régiment, un coin bien à lui, sur lequel il devait fortement graver son empreinte. A force de vivre cette vie agreste, de voir son bien-être, — et son humeur, — dépendre d'un peu de pluie ou de soleil, une âme de campagnard était venue à chacun ! Et tout ce qu'au cours des saisons les éléments pouvaient apporter de changements dans ces bois, ces vallées, ces montagnes, prenait une importance capitale pour des êtres dont la vie finissait par n'être pas marquée d'autres incidents que ceux du cadre où elle se déroulait. Deux fois, on vit venir l'hiver, le froid, la neige qui alourdissait les grands sapins, les brouillards qui traînaient dans les bas fonds, puis le dégel, l'eau qui ruisselait de partout, faisant effondrer des pans de tranchées ; deux fois aussi, l'annonce de la belle saison, la douce lumière des sous-bois, les jeunes pousses vert-clair des sapins ! ».

Le général de Maud'huy, commandant la VIème armée, avait été tellement enthousiasmé par les exploits du 133e que, le 16 juin, il avait détaché sa propre croix de guerre, pour en décorer, sur le champ même de bataille, le commandant Barberot. Et il voua aux poilus du régiment une admiration dont il ne se départit jamais. « Mes lions du 133e ! », disait-il toujours en parlant d'eux. Ce surnom devait leur rester.


En juillet 1916, le 133 RI participe à la bataille de la Somme. Le 1er juillet, la grande offensive franco-anglaise sur la Somme avait commencé. « Du haut de la vieille tour de Folleville, on embrassait l'arrière de la bataille: on apercevait les trains qui se succédaient méthodiquement dans les deux sens, des divisions de cavalerie qui se rapprochaient ; le soir on voyait passer de nombreux avions qui rentraient avec leur phare allumé à l'avant, grosses lucioles dont le bourdonnement égal et vigoureux donnait confiance. A la nuit, le ciel s'illuminait du feu d'artifice des obus et des fusées. Et tous les regards se tendaient vers l'horizon embrasé, fournaise gigantesque où bientôt le régiment entrerait à son tour ».

Puis c’est l’Argonne, (septembre-décembre 1916), Reims (janvier 1917), Souain (juillet-octobre 1917), Verdun (Novembre-décembre 1917), et enfin la forêt de Parroy, à partir de décembre 1917. Interminables batailles, sans cesse recommencées pour un peu de terrain, au prix de nombre de morts.

« En décembre, le régiment fut réuni aux environs du village de Seigneulles, tout blancs de neige, pour accueillir le nouveau renfort destiné à combler les vides qu'avaient creusés dans les rangs les combats de Verdun. C'était un bataillon complet du 212e RI, régiment nouvellement dissous, qui était versé au 133e. Il y eut tout d'abord un peu de méfiance à l'égard de ces « vieux» à barbes hirsutes. On ignorait encore le passé, modeste mais glorieux, du 212e, en particulier son héroïque conduite en 1916 à Verdun, puis en 1917 au Chemin des Dames, où il avait énergiquement résisté aux coups de boutoir boches et repoussé la horde au delà de l'Ailette. Quelques jours plus tard, par un froid rigoureux, le régiment s'embarquait à destination de la Lorraine.

La forêt de Parroy se trouve près de Lunéville, en Lorraine. L'ensemble de la forêt, avec ses belles futaies et ses taillis épais, constituait un point d'appui remarquable. Il avait été facile, à la faveur du couvert, de l'organiser sérieusement, et, au moment précis où les «Lions» vinrent prendre leur garde, elle présentait plusieurs lignes de défense judicieusement établies. Partout des réseaux de fil de fer se cachaient traîtreusement dans les taillis. Par contre les abris, presque tous construits en superstructure et donc peu solides, laissaient beaucoup à désirer. Il y aurait fort à faire dans cet ordre d'idées. Les boyaux n'existaient pas non plus, les communications se faisant par les chemins ou les pistes en caillebotis.

Telle quelle, la forêt était fort intéressante pour les poilus. Elle abritait plusieurs camps composés de petites cagnas, véritables résidences d'été, baptisées des noms les plus divers. Le tout formait un ensemble bizarre, mais gai. La première ligne n'effrayait point le constructeur et, partout où le couvert le permettait, se multipliaient les toits légers destinés à rendre les plus grands services en cas de mauvais temps. Nos hommes se plairaient vite dans ce secteur où l'ingéniosité de chacun pouvait trouver à s'exercer. Et puis l'endroit était presque confortable : immédiatement derrière la tranchée de combat couraient des voies étroites qui assuraient un parfait ravitaillement.
Le séjour aux avant-postes était de 18 jours, après quoi les unités allaient passer 9 jours à Crion, petit village habité, situé à 7 ou 8 kilomètres de la ligne. Les saucisses boches y plongeaient à l'envi, les avions venaient souvent rôder au-dessus des maisons, mais il était respecté par l'artillerie ennemie. C'était l'essentiel : on put s'y consacrer en toute paix aux grands nettoyages des armes et du linge. D'ailleurs des concerts donnés par la musique du régiment, quelques représentations du théâtre de la Division, rendirent encore plus agréables ces instants de détente. On était en janvier. A un ciel nuageux et gris avait succédé un pâle soleil d'hiver, et les travaux d'installation se poursuivaient gaiement dans le calme le plus complet.

Baraquement allemand dans la forêt de Parroy
C'est à cette époque que les premiers contingents américains firent leur apparition dans la région. Cet événement, qui concrétisait en quelque sorte pour nos soldats l'entrée en ligne de notre nouvelle alliée, fut salué avec joie. Et bientôt les uniformes kakis et bleu horizon étaient confondus sur la ligne de front.
Le 133e fut chargé de l'instruction d'un certain nombre d'officiers américains. Répartis dans toutes les unités, ces officiers s'initièrent en quelques semaines à la guerre moderne. Les relations les plus cordiales ne cessèrent de régner entre élèves et instructeurs. Plusieurs officiers américains prirent même le commandement de sections du 133e en première ligne. L'un d'eux, patrouilleur d'élite, fut décoré de la Croix de Guerre pour sa belle conduite. Leur instruction terminée, ils rejoignirent leurs corps respectifs, emportant le meilleur souvenir de leur passage au 133e.

Pendant que se poursuivait cette collaboration féconde en résultats, de graves nouvelles arrivaient du front Nord. Le 21 mars, on apprenait la ruée sur le front anglais, la retraite des « Tommies » ; l'Allemagne voulait à tout prix obtenir au plus tôt un résultat décisif par les armes. Une sourde angoisse étreignit les nôtres. Mais après une phase de grands succès, l'offensive allemande dut s'arrêter : la horde avait trouvé devant elle les capotes bleu horizon qui avaient rétabli la situation. Le coup était manqué et désormais le temps travaillait pour nous. Pendant que se déroulaient ces événements tragiques pour la destinée de notre pays, un calme relatif régnait dans la forêt de Parroy, maintenant dans la pleine gloire du printemps ».


Un calme relatif, certes, mais sur fond de guerre quand même, avec ses morts et ses blessés. Car c’est à ce moment-là que Louis-Charles CALAZEL est mort le 3 avril 1918 à Rehainviller (Meurthe-et-Moselle) de « blessures de guerre », subies au lieudit Chaufontaine. 



Il est inhumé dans la Nécropole nationale Friscati, à Vitrimont (Meurthe-et-Moselle), tombe 1989. Il figure sur le Monument aux morts d’Anduze.

A suivre…


Les dessins de cet article proviennent de l'historique du 133 RI.