VOIE ÉTROITE


193ème semaine

Du lundi 8 au dimanche 14 avril 1918

Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

LES CANONNIERS MÉCANICIENS

Clément-Paul BERTHEZENE
Canonnier au 69ème Régiment d’Artillerie à Pied
Mort le 7 avril 1918 à Bourgoin (Isère)


Clément-Paul BERTHEZENE est né le 20 juillet 1876 à Anduze, fils de feu Paul-François et de Tirza née Guiraud. Il est cultivateur. Il est incorporé avec sa classe en 1897 dans le 19ème Régiment d’Artillerie, il fera le reste de sa carrière militaire dans cette arme. Rendu à la vie civile en 1900, marié à Anduze avec Augustine Pauline Clauzel le 18 octobre 1902. Il reprend du service dès le 4 août 1914 malgré son âge (38 ans). Il passe successivement dans plusieurs régiments d’artillerie : le 10ème, le 7ème, le 10ème à nouveau, le 11ème. Il intègre le 69ème au moment de la création en 1917 de ce dernier, destiné à construire des voies étroites de chemin de fer.

Jusqu’en 1914, l’armée ne consacre pas de moyens importants à la voie étroite de 0,60 m. Elle équipe seulement les réseaux des quatre grandes places fortifiées de l’est. Le stock de voies ferrées est faible et il n’existe aucune unité spécialisée dans la gestion des chemins de fer à voie étroite. Le Génie, vexé que l’écartement métrique n’ait pas été retenu en 1888, ne s’occupe que des gros travaux d’infrastructure et laisse la gestion du 0,60 m à l’artillerie. La voie de 60 n’est pas une priorité pour l’état-major et son rôle dans les plans de mobilisation reste mineur. Suivant la doctrine de l’offensive « à outrance », qui prévaut de longue date au sein de l’état-major, on prévoit une guerre courte, une victoire rapide obtenue quel que soit le coût humain. La guerre de position n’est pas prise en compte. Les Allemands envisagent la voie de 0,60 m sous un angle plus dynamique, la pose des voies devant intervenir rapidement au fur et à mesure de l’avance des troupes. C’est pourquoi les eisenbahntruppen (troupes des chemins de fer) comptent déjà 10 000 hommes avant le déclenchement du conflit, alors que la France ne compte que 4 Compagnies d’ouvriers comportant du personnel spécialisé, constituées au sein des 4 régiments d’artillerie à pied attachés aux places fortes de Verdun (5e  RAP), Toul (6e  RAP), Epinal (8e  RAP) et Belfort (9e  RAP). Il s’y ajoute la 10e batterie territoriale du 12e  régiment d’artillerie de campagne de Vincennes, qui est chargée des voies de 60 du camp retranché de Paris et qui compte 500 hommes. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui vont construire la première voie de 0,60 m du front, en Champagne en 1915 (5 km). 

À l’automne 1914, dès la stabilisation du front, apparaît la nécessité d’augmenter le potentiel de la voie de 0,60, tant en matériel qu’en personnel. Sont alors déplacés vers le front les soldats des batteries du sud-est de la France, que l’on forme rapidement et que l’on répartit en deux types d’unités : batteries de construction (étude, tracé, pose et entretien) d’une part, et batteries d’exploitation (conduite des trains, service des gares et dépôts) d’autre part. On y adjoindra plus tard des batteries de réparation du matériel. En 1917, le personnel est réorganisé. Les diverses batteries sont regroupées en deux régiments d’artillerie à pied, le 68e  RAP étant chargé de l’exploitation des voies, et le 69e  RAP de leur construction.


La locomotive Péchot-Bourdon est l’une des principales machines utilisées dans ce cadre. Elle est de type double Fairlie (020+020), avec un centre de gravité très bas. Cette machine comporte une chaudière double à foyer central, et donc deux cheminées, ce qui n'était pas pratique près du front : les artilleurs ennemis avaient une cible parfaitement localisée. Par contre, les avantages sont nombreux. Comme la chaudière repose sur deux trucks articulés à deux essieux chacun et comme ces derniers sont très faiblement écartés, l’empattement rigide est réduit au minimum. Cette disposition permet donc un passage facile dans les courbes de 20 m de rayon. Le mécanicien et le chauffeur prennent place de part et d’autre de la chaudière.


Un grand nombre de locomotives Péchot-Bourdon ont été construites en France par les firmes Franco-Belge (prototype), Fives Lille et Cail en 1890. En 1914, l'armée française dispose de 61 locomotives de type Péchot-Bourdon.

En 1914 et 1916, devant la nécessité de disposer d'engins pour l'artillerie, le ministère de la Guerre passa plusieurs commandes pour un total de 295 engins, réparties entre les firmes Baldwin aux États-Unis (280 locomotives) et North British Locomotives de Glasgow en Écosse (15 machines).

Du fait des différences de systèmes d'unité de l'outillage de construction, les locomotives se révélèrent particulièrement compliquées à entretenir, les pièces devant quasiment être réalisées au cas par cas.

Au total, 356 engins auraient été construits. À l'heure actuelle, seulement deux machines sont préservées à l'étranger, une à Dresde et une autre en Serbie, ce qui peut s'expliquer étant donné la particularité des machines, n'encourageant pas les industriels de l'époque à s'en resservir.


Les personnels appartiennent aux classes anciennes de la Territoriale ou de sa réserve : des hommes d’un certain âge, de 40-45 ans, chargés de familles. Pendant le conflit, seuls les pères de 5 enfants sont renvoyés à l’arrière en 1916, puis les veufs avec 3 enfants en 1917 ; les autres restent au front. Ces unités, bien qu’étant exposées au feu de l’artillerie adverse et aux accidents liés au transport d’explosifs, sont considérées comme non combattantes. Elles n’obtiennent ce statut qu’en juin 1918, date à laquelle elles totalisent plus de 20 000 hommes et plus de 300 officiers.

Un régiment comme le 69 RAP était en fait composé d’un grand nombre de batteries dont l’affectation pouvait changer d’un moment à l’autre, en fonction des besoins en construction ou entretien des voies ferrées. Nous ignorons à laquelle de ces batterie était affecté Clément-Paul Berthézène, nous ne pouvons donc pas le suivre précisément. Par ailleurs nous ne connaissons pas non plus la date à laquelle il a été retiré du service actif pour être hospitalisé à l’hôpital complémentaire 48 de Bourgoin (Isère), loin du front.

Il meurt le 7 avril 1918, de maladie imputable au service, dans cet hôpital, installé dans l’ancienne usine Trapadoux (ateliers de gravure et d’impression), 99 Grande rue de Jallieu, avec 400 lits.
Il figure sur le Monument aux morts et sur le livre d’Or d’Anduze.

A suivre…