TORPILLAGE


188ème semaine

Du lundi 4 au dimanche 10 mars 1918

Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

UN FANTASSIN MORT EN MER

Daniel RIBOT, soldat au 40ème Régiment d’Infanterie
Disparu le 25 janvier 1917
lors du torpillage de l’Amiral-Magon


Daniel RIBOT est né à Tornac le 13 mars 1892, de David et d’Octavie Sabatier. Il est valet de ferme. Marié à Élise Clément le 21 décembre 1912 à Bagard. Incorporé à partir du 8 octobre 1913 dans le 40ème RI, donc déjà sous les drapeaux lors du début de la guerre en août 1914.


Le 5 août, le 40ème quitte Nîmes par voie ferrée, en 3 échelons, de 20h25 à 22h25. Son effectif est de 63 officiers et 3119 sous-officiers, caporaux et soldats.

Dès le 10 août ce régiment est jeté dans la reconquête de la Lorraine, voulue pour des raisons politiques de revanche, mais offensive mal préparée et catastrophique sur le plan militaire. Puis c’est le secteur de Verdun, celui de Saint-Mihiel, la bataille de Champagne (octobre 1915), la butte de Souain. Retour à Verdun que les Allemands ont violemment attaqué en février 1916.

Au début de 1917, le 40 RI est destiné à se rendre vers Salonique, dans le cadre de l’armée d’Orient, opérations terrestres destinées à porter secours à l'armée serbe, lesquelles forment le noyau de l'Armée Alliée d'Orient. Il commence par se rendre à Toulouse.

Historique de ce régiment :
« Le séjour à Toulouse n’a d’autre but que de transformer le régiment en régiment colonial (type Armée d’Orient) en vue de son départ pour Salonique. Cette transformation consiste principalement à échanger les voitures contre des mulets de bât.
Les hommes et les cadres sont envoyés en permission à raison de 50% de l’effectif : tout le monde doit être rentré pour le 4 janvier.
Le 8 janvier, dans l’après-midi, le colonel passe la revue du régiment. Le 10 janvier, à partir de 1 h. 30, le 40ème R.I. s’embarque à la gare Raynal (Toulouse) dans 4 trains à destination de Marseille via Carcassonne, Béziers, Cette, Nîmes et Tarascon. Le débarquement a lieu à Marseille-Arenc, le 11 janvier, à partir de 2 h. 30. Les éléments vont cantonner au camp Mirabeau, près de l’Estaque.
Départ pour l’Orient. - Dès le 12 janvier, 70 hommes et 420 animaux sont embarqués sur le transport Colbert qui part le 13 à 16 h. pour Salonique. Le 15 janvier, les 1er et 2e Btns du 40ème s’embarquent sur le Paul- Lecat qui quitte le port à 16 h. et va mouiller en rade de l’Estaque : le départ a lieu le 16 à 8 h. La traversée s’effectue dans d’excellentes conditions, sans alerte d’aucune sorte. Le Paul-Lecat entre en rade de Salonique le 21, vers 17 h. Les troupes ne débarquent que le lendemain à partir de 9 h. et vont bivouaquer au camp de Zeitenlick ; ce détachement est sous les ordres du commandant Patacchini.
Dans l’après-midi du 20, l’E.M. du régiment et les 10ème, 11ème Cies et la 3ème C.M. embarquent sur l’Amiral-Magon. Ce transport va mouiller en rade de l’Estaque ; il lève l’ancre le soir même à 21 h. à destination de Salonique. Il longe les côtes françaises de la Méditerranée, puis la côte Est de la Corse et de la Sardaigne, passe en vue du Cap Bon. La marche est ensuite reprise vers l’Est de façon normale, lorsque le 25 janvier, à 11 h. 19, l’Amiral-Magon est torpillé par un sous-marin allemand dans les circonstances suivantes :
Torpillage de l'Amiral-Magon (25 janvier 1917). - A 11 h. 10, des coups de sirènes répétés donnent l’alarme ; le commandant du transport (Cap. Lenormand) a vu 1e périscope d’un sous-marin ; il aperçoit la torpille et manoeuvre pour l'éviter, malheureusement la torpille sort de l’eau, change de direction et frappe 1’arrière du navire à hauteur de la cloison étanche séparant la cale occupée par des artilleurs, de celle occupée par l'infanterie. L’explosion détruit les échelles de sortie de la cale des artilleurs, ainsi qu’un radeau et une embarcation. L’eau se précipite et noie des conducteurs de à C.H.R. occupés à soigner les chevaux et des artilleurs restés dans la cale. Les opérations de sauvetage sont exécutées avec rapidité, personne n’a perdu son sang-froid.
L’Amiral-Magon disparaît 9 minutes après, entraînant les hommes qui n’ont pu s’éloigner suffisamment et ceux qui ont hésité à se jeter à l’eau.
Le sous-marin rôde autour de sa victime et montre son périscope à 30 m. du torpilleur l’Arc qui convoyait l’Amiral-Magon. L’Arc tire quelques obus sur le sous-marin et procède au sauvetage. Pendant 6 h. jusqu’à l’arrivée de la Bombarde, tout son équipage se prodigue et recueille 437 hommes et 13 officiers à son bord.
Le drapeau a été embarqué sur un radeau métallique, mais ce radeau, qui prenait l’eau, a chaviré cinq fois. Les trois premières fois, le drapeau a pu être sauvé ; à la quatrième il a coulé à pic et l’état de fatigue des survivants, moins nombreux à chaque fois, était tel qu’aucun n’a pu plonger pour tenter de le rechercher.
Les pertes en personnel sont : Infanterie : 3 officiers (lieutenant Clément, de Sabatier et Jourdan) 150 hommes ; artillerie : 41 hommes ; Equipage : 11 hommes ».


Le marin Célestin Gicquel qui fut le témoin de ce torpillage en a fait le récit :
« A bord de l’Arc – le 26 Janvier 1917 - Notre nouvelle campagne est mouvementée pour son début; j’espère que cela se calmera petit à petit. Mercredi dernier de grand matin, nous avons pris au large de Malte un convoi de 2 bateaux chargés de troupes, de chevaux et de matériel. Toute la journée de mercredi et la matinée du Jeudi cela s’est bien passé; nous étions, comme de coutume, en route devant les bateaux à environ 800 mètres; nous nous mettions à table quand un coup de sifflet parti de l’un des cargos nous a tout fait laisser; en hâte nous sommes montés sur le pont nous doutant bien de ce qui arrivait: un sous marin était là. En effet à peine arrivé sur le pont je vis l’explosion à bâbord arrière de “L’Amiral Magon”; le bateau s’enfonçait lentement pendant que nous courions dans la direction d’où était venue la torpille. Pendant ce temps on signalait à “La Pampa” qui était derrière de continuer sa route. Tout cela a pris quelques minutes; “l’Amiral Magon” s’enfonçait lentement par l’arrière et un moment j’eus l’espoir qu’il pourrait flotter assez longtemps; mais à un certain moment l’eau s’engouffrant à l’arrière fit lever le nez du bateau qui se dressa verticalement pour couler rapidement debout.
Tout cela entre l’explosion et l’engloutissement avait duré environ 14 minutes; entre temps 963 soldats et environ 80 hommes d’équipage de bord avaient réussi à mettre les embarcations et les radeaux à la mer; nous nous rapprochions de l’endroit où le bateau avait coulé en mettant nos embarcations à la mer; il y eut là un moment critique: nous étions stoppés avec une embarcation de chaque bord, plus guère moyen de bouger, quand à 30 ou 40 mètres de l’avant un peu par bâbord on vit très distinctement le périscope du sous-marin; il fut canonné mais il était trop près du bord pour qu’il fut possible de l’atteindre; malgré tout nos obus (disposés pour éclater sous l’eau) ont dû lui donner à réfléchir.
Sous la menace de le voir reparaître; il a fallu organiser le sauvetage des gens, en manœuvrant pour éviter les radeaux, les hommes accrochés à des planches; avec cela une forte houle nous gênait pour tout; l’aspect de la mer était sinistre; partout des débris, des radeaux, des hommes, des mulets. Quand nous passions près d’un groupe; c’étaient des mains qui se tendaient vers nous avec des râles, des appels au secours. Je me souviendrai longtemps de cette journée.
Mais il fallait agir promptement; le commandant fit bien les choses; on chercha d’abord à sauver les gens à l’eau, trempés complètement; un à un, deux à deux, le long du bord on les pêchait et les ramenait pendant que les embarcations allaient en prendre. Cent cinquante environ furent sauvés ainsi; les malheureux étaient dans un état lamentable, à moitié congestionnés; quelques uns sont même morts à bord ».


Et voici le récit de Gaston Jouanen, soldat du 40 RI : « J'ai embarqué sur l'Amiral Magon avec le reste du Régiment. Cela faisait plusieurs jours que nous étions en mer. Le 25 au matin, vers 11 heures, il y a eu une alerte. J'ai vu arriver la torpille. Je me suis dit : "Si elle ne me tue pas je suis sauvé !" L'explosion, un bruit et une panique épouvantable ; des jeunes qui étaient en train de se noyer dans la cale criaient. Ils ne pouvaient pas sortir ; des mulets ruaient, donnaient des coups de pieds. On mettait à l'eau des canots de sauvetage, des radeaux grands et petits. J'étais affairé à jeter à l'eau des radeaux. Avec un couteau, on coupait les cordes qui les retenaient. Il y avait un marchand ambulant qui criait autour de nous "Sauvez ma cantine! Sauvez ma cantine!". Sa cantine, on l'a jetée par dessus bord !
Quand le dernier radeau a été jeté à la mer, je me suis dit : "celui-là, il est pour moi!" J'ai regardé la photo de ma mère qui était dans mon portefeuille, reboutonné ma veste, et puis j'ai plongé.
Il y avait maintenant des mulets dans l'eau. Ils voulaient monter sur les radeaux, sur tout ce qui flottait, même sur des gens qui nageaient autour. Ils en ont fait noyer beaucoup.
La mer était mauvaise,  il y  avait des naufragés dans l'eau qui appelaient au secours. J'ai eu du mal à atteindre le radeau. Certains se lamentaient, d'autres pleuraient et cela semait la panique. 
On a attendu. Vers la fin de la journée, on a vu, à l'horizon, comme une fumée de cigarette. En rien de temps, un bateau a  été sur nous. On en pouvait plus. Des marins nous ont attrapés "comme des ballots de linge" et nous ont hissés à bord. On était sauvés. On nous a donné des vêtements secs : des uniformes de marins ».

Daniel RIBOT n’a pas la chance de Gaston Jouanen, il fait partie des 211 disparus de ce naufrage. Parmi les autres victimes de ce torpillage, on compte le félibre Roger Brunel, d'Alès. Il était considéré par les lettrés méridionaux comme un écrivain de talent. Né à Alès le 18 septembre 1884, Roger-Joseph Brunel était soldat de 2ème classe au 40ème Régiment d'Infanterie. Directeur avant guerre du journal « Le Pays Cévenol », il était par ailleurs « félibre alésien de l'école provençale".

Daniel RIBOT figure sur le monument aux morts de Tornac, et sur le Livre d’Or de Saint-Nazaire-des-Gardies.
A suivre…