204ème
semaine
Du
lundi 24 juin au dimanche 30 juin 1918
STATISTIQUES
DU CANTON D’ANDUZE
« Ce ne sont pas des soldats
: ce sont des hommes. Ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers, faits pour
la boucherie humaine […] Ce sont des laboureurs et des ouvriers qu’on reconnaît
dans leurs uniformes. Ce sont des civils déracinés ».
Henri
Barbusse (1873-1935), Le Feu, journal d’une escouade (1916)
La Longue litanie des morts que
nous avons publiée dans ces pages donne-t-elle une bonne image de la guerre de
14-18 ? Fait-elle leur part aux survivants, à ceux qui ont traversé la
tourmente et en sont revenus ?
Pour approcher cette question,
voici une statistique sur deux années de recensement du canton d’Anduze (Anduze
même et les villages environnants, Tornac, Générargues, Massillargues, etc), établie
d’après les registres matricules rédigés pour chaque jeune homme atteignant ses
20 ans. Ces registres notent son état-civil au moment du conseil, puis des
annotations sont ajoutées au fur et à mesure de sa carrière militaire. La
présente statistique porte sur les classes 1915 et 1916, qui comptent à elles
deux 114 individus. 4 d’entre eux sont exemptés du service militaire pour
incapacité profonde. Restent donc 110
incorporés.
- Agent commercial 1
- Agriculteur 1
- Ajusteur 1
- Boulanger 3
- Bûcheron 1
- Chapelier 2
- Chaudronnier 4
- Chauffeur 2
- Cocher 1
- Coiffeur 4
- Comptable 2
- Cultivateur 52
- Dépositaire de bière 1
- Electricien 1
- Employé 5
- Etudiant 2
- Fondeur 1
- Instituteur 4
- Jardinier 3
- Maçon 2
- Marchand de bois 1
- Maréchal ferrant 2
- Menuisier 1
- Meunier 1
- Négociant en vins 1
- Ouvrier agricole 1
- Pâtissier 1
- Régisseur 1
- Secrétaire de mairie 1
- Tailleur 1
- Valet de ferme 1
- Voyageur de commerce 1
Grades :
Compte tenu des métiers exercés et
du faible degré d’instruction de la plupart de ces jeunes gens, on ne s’étonnera
pas de constater que la plupart (91) ont fait cette guerre sous l’uniforme du simple
soldat de deuxième classe. On compte toutefois :
- deux officiers (1 sous-lieutenant et un aspirant)
- trois brigadiers
- cinq sergents
- un maréchal des logis
- huit caporaux
Morts :
27 n’en reviendront pas, soit 25%.
Un sur quatre…
Ils sont arrivés dans leurs
régiments en fin 1914, en 1915 ou 1916, selon leur classe de recrutement ou
leur date d’engagement volontaire. Ils ne sont donc pas inclus dans les grands
massacres d’août 1914. Leurs morts se situent ainsi dans le temps :
- 1914 1
- 1915 5
- 1916 7
- 1917 6
- 1918 7
- 1919 1
Blessés :
- 26 des survivants auront subi
des blessures suffisamment graves pour les retirer du front pendant un temps
plus ou moins long, juste ce qu’il fallait pour les rendre aux combats,
- 5 sont affectés d’une grave
maladie due au service,
- 3 sont affectés par leur
exposition aux gaz.
Ces blessures ou maladies
entraineront chez 11 d’entre eux des invalidités allant de 10% à 100%.
Prisonniers :
- 9 de ces soldats sont faits
prisonniers, internés en Allemagne ou en Grèce. Ils ne rentrent chez eux qu’au
début 1919, tant les moyens de transport manquent.
Parmi les survivants, au nombre de
83, il y aura donc eu 34 blessés ou très malades, et 9 prisonniers, on peut alors
considérer qu’il n’y aura eu que 40 hommes (à peine plus d'un tiers) arrivés indemnes au bout
de ce long chemin. Indemnes, vraiment ? Comment le croire, s’agissant de
jeunes hommes lancés à 20 ans dans plusieurs années d’horreurs et de
souffrances ?
Voyages :
La guerre aura jeté ces jeunes
gens sur des rivages improbables : Bulgarie, Grèce, Roumanie, Russie,
Turquie, pour une douzaine d’entre eux. Mais ce ne furent pas des voyages
d’agrément.
39 de ces 110 soldats ont reçu au
moins une citation, parfois plusieurs au fil des batailles. A l’ordre du
régiment, de la division, du corps d’armée, de l’armée, ces distinctions
croissantes soulignaient en quelques phrases bien ciselées la valeur
individuelle du combattant.
Quant aux décorations, 27 croix de guerre avec ou sans palmes ou étoiles, leur auront été remises, 8 autres auront reçu telle ou telle médaille. C’est une proportion nettement supérieure à la moyenne nationale.
Libération :
Pratiquement tous ces soldats
seront restés jusqu’au bout au service de l’armée française. Et le bout n’en
fut pas le 11 novembre 1918, jour de l’armistice, mais bien plus tard. Ce n’est
que courant septembre 1919 que la plupart d’entre eux seront libérés et
autorisés à regagner leur foyer, avec un certificat de bonne conduite.
Etat-civil :
Pour la plupart des victimes sur
les champs de bataille, la mort est constatée sur place et attestée par au
moins deux témoins directs de l’événement. L’avis de décès est alors transmis à
la commune, transcrit sur les actes d’état-civil, communiqué à la famille.
Mais dans le cas des disparus, ce
n’est pas aussi simple. Même s’il y a présomption de décès, rien n’est certain,
le soldat pourrait avoir été fait prisonnier, il pourrait avoir été blessé et
soigné dans un hôpital allemand. Il a donc fallu attendre la fin de la guerre
pour enregistrer un décès en bonne et due forme. Et ce n’est qu’entre 1920 et
1922 que beaucoup de jeunes veuves de guerre ont pu retrouver le droit de se
remarier.
A suivre…