BIRIBI


205ème semaine

Du lundi 1er au dimanche 7 juillet 1918

LE HÉROS DEVENU BAGNARD

André-Marcel SAGIT
Soldat au 6ème Bataillon de Chasseurs à pied
Mort le 24 juillet 1918 à l’hôpital mixte de Souk Ahras (Algérie)


André-Marcel SAGIT est né le 2 juillet 1896 à Lasalle, d’Auguste-Albert et d’Alix née Caulet. En 1915, date de son conseil de révision, il est cultivateur et habite Anduze.

Il est incorporé au 6ème Bataillon de chasseurs à pied le 13 février 1915 comme engagé volontaire pour quatre ans à la mairie d’Anduze, il n’a pas encore 19 ans.

Le 6ème BCA est alors engagé dans de rudes combats sur les hauteurs alsaciennes, au-dessus de Munster. Pendant la période du 6 au 21 mars, le 6ème bataillon perd 3 officiers tués, 6 officiers blessés et 784 sous-officiers, caporaux et chasseurs tués ou blessés. Le 15 juin le bataillon est toujours dans les Vosges et se voit chargé d’enlever une position fortifiée au Braunkopf. Après deux journées de combats très durs le bataillon est relevé, il a encore perdu cinq officiers tués, quatre officiers blessés et 489 sous-officiers, caporaux et chasseurs.

Le JMO du Bataillon commente ainsi les combats :
« Les hommes du Bataillon ont montré une belle tenue au feu et d’une rare ténacité dans le combat de grenades qui a duré 3 heures. Un grand nombre de beaux faits d’armes ont été accomplis, ils feront l’objet de demandes de récompenses.
Les résultats obtenus pour des pertes importantes ont été faibles, on peut se demander quelles sont les raisons de cette disproportion. Il semble qu’elles soient de plusieurs sortes :
1- Malgré les travaux poussés très activement le front d’attaque est trop étroit pour deux bataillons. Les boyaux n sont pas suffisamment larges ni assez profonds.
2 – La zone de rassemblement est trop étroite. Les hommes empilés à bloc dans les boyaux et place d’armes rendent l’exercice du commandement presque impossible et les pertes par bombardement importantes et démoralisantes.
3 – Tous les boyaux passent en un même goulot ainsi que toutes les communications téléphoniques, il s’en suit que les tirs de barrage incessants faits sur ce point par l’ennemi rompent totalement toute liaison et empêchent le mouvement des réserves.
4 – Le tir de l’artillerie lourde française est défectueux : irrégularité des coups qui tombaient fréquemment sur nos tranchées, nous causant des pertes démoralisantes ; défectuosité des obus qui souvent n’éclatent pas ; rupture des liaisons qui ne permet pas de rectifier le tir.
5 – Le débouché dans des terrains boisés dévastés par le bombardement est rendu presque aussi difficile que dans un réseau de fils de fer ».


C’est au cours de ces combats que s’illustre le jeune chasseur André SAGIT. Il fait l’objet d’une citation à l’ordre de la division le 13 juillet 1915 : « A pénétré le premier dans un poste téléphonique allemand, contribuant ainsi à faire les occupants prisonniers. A tué à bout portant un officier allemand qui lui avait fait feu à quatre reprises ». Cet exploit lui vaut d’être nommé caporal le 26 juillet 1915, après seulement 5 mois de présence à l’armée, juste après son 19ème anniversaire. Tout commence donc bien pour lui.

Fin novembre 1915, le 6 BCA va s’installer à Bizerte, il est préparé pour des opérations en Orient. Début janvier 1916 il embarque sur divers croiseurs et se rend sur l’île de Corfou, île grecque en principe neutre. L’objectif de cette manœuvre est d’accueillir les soldats serbes, alliés de la France, en pleine débâcle après leurs défaites contre les Bulgares.

Historique du Bataillon : « Le 11 janvier, vers 2 h 30, les croiseurs jettent l’ancre dans la rade de Corfou. A bord, le groupe alpin est depuis une heure sous les armes, tout est prêt pour que le débarquement s’effectue rapidement. A 3 h 15, le débarquement du groupe commence. Aussitôt à terre, les divers détachements partent exécuter les missions qui leur ont été confiées.
A 8 h 30, les autorités civiles font une première protestation ; le préfet des îles Ioniennes arrive sur la place du Port et demande à parler au commandant des troupes françaises débarquées ; le chef de la police grecque l’accompagne. Ils sont conduits au chef de bataillon. Aussitôt en présence, le préfet exprime son étonnement d’un débarquement des troupes françaises sur une île grecque, et proteste énergiquement contre un pareil acte de la part de la France, en violation, dit-il, de la foi des traités et de la déclaration de neutralité de la nation grecque ; il renouvelle par deux fois sa protestation. Le commandant lui répond courtoisement qu’il prend acte de ses déclarations et ajoute : « qu’ayant reçu une mission à remplir, il l’exécute ». Sur cette réponse, le préfet s’incline et se retire.
Le débarquement continue dans les meilleures conditions.
A 4 heures, tout le groupe est à terre ; le débarquement des vivres, des voitures et du matériel se poursuit très rapidement. Un détachement de la 5ème compagnie part occuper le poste de T.S.F. de Sidari. La ville de Corfou est calme, quelques curieux commencent à venir regarder le débarquement.

Les chasseurs du 6ème BCA sur les hauteurs de Corfou
A partir du 20 janvier, les débris de l’armée serbe arrivent chaque jour, jusqu’au 31 janvier. L’état d’épuisement et de misère des malheureux soldats serbes est extrême… Ils n’ont sur le dos que des loques, sont rongés de vermine et n’ont pas mangé d’aliments dignes de ce nom depuis plusieurs semaines. Aussi le typhus et le choléra font-ils parmi eux de terribles ravages ; les chasseurs les aident de leur mieux. Un médecin-major du Waldeck-Rousseau et le médecin auxiliaire Duvacher, du 6ème bataillon, font preuve d’un dévouement inlassable.
L’île de Vido, fut choisie pour l’isolement des malades dysentériques, les malheureux Serbes ont à peine la force de débarquer ; quelques-uns tombent à terre et doivent être transportés sur brancard. La plupart sont muets, squelettiques, courbés sous le poids de leur défaite et des fatigues sans nom qu’ils ont endurées, vêtus de lambeaux de capotes kaki, les pieds plus souvent entourés de morceaux de toile que de chaussures.
Tout ce monde se répand en désordre autour du débarcadère. Détail particulier, même ceux qui peuvent à peine se traîner, conservent leurs fusils, dont ils se servent comme d’un bâton de soutien.
Les brancardiers serbes, aidés des chasseurs du bataillon, transportent tous ces malheureux dans les locaux disponibles. Les officiers du bataillon font rassembler avec peine les soldats serbes pour les conduire aux deux camps : l’un au promontoire nord de l’île, l’autre dans un vallonnement à l’est. Là, ils reçoivent des toiles de tentes fournies par le bataillon et montent leurs entes individuelles. La dysenterie, le manque de nourriture et la fraîcheur des nuits de janvier sèment la mort dans ces camps. Vers le 23 janvier il en mourait quarante par jour ; à la fin du mois, ce chiffre était monté à cent cinquante. Mais de nouveaux soldats serbes, arrivant des côtes d’Albanie, comblèrent rapidement les vides ; l’île de Vido en contint jusqu’à 7 000 dans ses camps. Misérable aspect que celui de ces camps, où les soldats serbes cherchaient à réchauffer leurs membres rigides, en allumant des feux qu’ils entretenaient sans cesse, même par les jours ensoleillés et brûlants. Pour calmer leur soif, on en vit plus d’un déterrer l’herbe des talus et la manger avidement. Le seul puits de l’île était l’objet d’un siège en règle, qui nécessitait la présence d’un poste de chasseurs. Sur les rares plages, on rencontrait ces malheureux, accroupis, creusant avec leurs mains, non loin de la ligne des vagues des sortes de puisards dans lesquels l’eau de mer arrivait filtrée par le sable ; ils la buvaient au fur et à mesure. Pour apaiser leur faim, ils allaient jusqu’à essayer de déterrer les trous à ordures de la compagnie de chasseurs, pour y chercher quelque nourriture.


Dans la mesure du possible, on plaçait à part les plus fatigués, dans les rares bâtiments de Vido, à l’infirmerie, où l’on pansait les ulcères qui couvraient souvent tout le corps de ces malheureux. Nombreux étaient ceux qui marchaient sur plusieurs grosses ampoules suppurées, développées sous la plante des pieds.
Dans le coin des dysentériques graves, groupés sur un peu de paille, dans les étroits locaux existants, ils étaient environ 800, étendus les uns à côté des autres, dans un tel état d’émaciation et d’affaiblissement, qu’il fallait souvent les secouer avec force pour distinguer les moribonds de ceux qui étaient déjà morts.
Tel fut à peu près le travail des premiers jours à Vido, c’est-à-dire du 17 au 31 janvier, date à laquelle la mission française commença à fournir le personnel et le matériel nécessaire ».

Mais les choses se gâtent. Le 10 avril 1916, André SAGIT est cassé de son grade et redevient chasseur de 2ème classe, on ignore pourquoi, juste avant le retour en France à la mi-mai. En juin, le Bataillon est dirigé vers les Vosges

Le 14 août 1916, alors que le Bataillon s’apprête à gagner de nouveaux champs de bataille dans le Haut-Rhin, André SAGIT manque aux appels de son unité : il est déclaré déserteur le 21 août. Mais une semaine plus tard, la gendarmerie de Marseille l’arrête. Incarcéré, il est condamné par le conseil de guerre du 21 décembre 1916 à deux ans de travaux publics pour abus de confiance et désertion à l’intérieur en temps de guerre. Le général commandant le XVème corps ordonne le sursis, alors on ramène André SAGIT à son corps de combat sur le front.

Début 1917, le Bataillon se trouve dans la région de Belfort où il se livre à des travaux de défense. En mars-avril, il passe dans l’Aisne où il cantonne dans des grottes, avant de participer aux combats sur le canal de l’Aisne. Les pertes sont lourdes et l’attaque est un échec. Puis ce sont les terribles batailles de Craonne et du plateau de Californie.

Le 14 Juillet, le 6ème BCA fait partie des troupes qui défilent à Paris. Fin juillet il participe aux combats du chemin des Dames. Selon l’historique : « On a su par les prisonniers que les Allemands croyaient la division de chasseurs relevée quand ils ont attaqué, autrement l’attaque n’aurait pas eu lieu. Un officier allemand, blessé et prisonnier disait, en parlant des chasseurs : « Avec vous il n’y a rien à faire, ce ne sont pas des hommes que vous avez, ce sont des lions !... Un contre dix, ils se défendent encore !... ».

D’autres combats se déroulent, monotones dans leur sauvagerie : André SAGIT déserte à nouveau. Le 13 novembre 1917, le tribunal correctionnel de Lyon le condamne à deux ans de prison pour vol, condamnation confondue avec la peine antérieure, d’autant plus qu’un autre conseil de guerre l’a accusé le 19 octobre précédent de refus d’obéissance, usurpation d’uniformes et de décorations. Il est alors envoyé en Algérie pour être écroué à l’atelier de travaux publics de Bougie à partir du 22 décembre 1917. Cet atelier, produisant des huiles, est en fait un bagne militaire, auquel sont affectés les condamnés à des peines de travaux publics de 2 à 10 ans. Il fait partie d’un ensemble de dispositifs répressifs connus sous le surnom de Biribi, camps de travaux forcés, ateliers, hôpitaux. 


Après la guerre cet ensemble a été dénoncé comme inhumain par le fameux journaliste Albert Londres. En 1924, son ouvrage « Dante n’avait rien vu », dans lequel il dénonce avec force les conditions d’internement des détenus, met « Biribi » sous le regard de l’opinion et entraîne des réformes.


André SAGIT meurt à l’hôpital militaire de Souk-Ahras le 24 juillet 1918, après sept mois de bagne. Il a 22 ans. Son nom ne figure sur aucun des lieux de mémoire des poilus de 14-18 : ni Monument aux Morts, ni Livre d’Or pour lui.
A suivre…