BAT D'AF



Du lundi 22 au dimanche 28 juillet 1918

POUR UN VOL DE RAISIN

Louis LAMBERT
Soldat au 2ème bataillon de Marche d’Afrique
Mort le 14 septembre 1918 à Courlandon (Marne)



Louis LAMBERT est né le 27 mars 1898 à Sauve, de Justin-Auguste et Marguerite née Poitevin. En 1917, il est valet de ferme, célibataire, domicilié à Anduze. Il mesure 1,52 mètre, il n’a aucune instruction. Il aime les raisins : le 18 septembre 1916, il est condamné par le tribunal correctionnel d’Alès à trois mois de prison avec sursis pour vol de raisin, un mois plus tard il récidive et écope d’un mois de prison ferme pour le même motif. II est incorporé le 18 avril 1917 dans le 5ème Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique, il passe dans le 2ème Bataillon de Marche d'Infanterie Légère d'Afrique (3ème compagnie) le 15 mars 1918.

L'infanterie légère d'Afrique a été créée en juin 1832 pour recycler les militaires condamnés a des peines correctionnelles par la justice militaire, et des militaires sanctionnés par l'envoi dans les compagnies de discipline.

Cantonnées en Afrique du Nord, à Biribi, nom générique pour désigner leur casernement, ces unités constituent l'instrument répressif de l'Armée française : utilisées initialement pour écarter les fortes têtes, elles sont conçues pour redresser « ceux qui ont failli ». Dans les années suivantes, à partir de 1836, ces unités accueillent également des conscrits frappés par une condamnation de droit commun, ou connus pour leurs activités illégales ; de ce fait, le recrutement devient majoritairement urbain.

Illustration du livre de Mac Orlan "Les Africains", par Lajoux
Les Bataillons d'Infanterie Légère d'Afrique (BILA) forment corps. Leurs soldats, souvent âgés, relevaient de 54 catégories judiciaires différentes, allant du délit de chasse ou de pêche à la tentative de meurtre. Dans leur plus grand nombre, les Joyeux sont des hommes affranchis dont la destinée est extrêmement variée. Leur seul point commun est le casier judiciaire non vierge. Mais dans l'ensemble, ils passent pour être extrêmement redoutables, non seulement pour les ennemis, mais aussi pour les troupes des autres corps. Isolés, victimes de mauvais traitements, mal nourris, ballottés des compagnies militaires aux pénitenciers au gré des sanctions qui leur pleuvent dessus, les hommes qui les composent ressentent le besoin de se distinguer de leurs semblables : le tatouage leur apparaît donc comme un moyen commode d'y parvenir.

La loi du 21 mars 1905 sur le service militaire énonce que « sont incorporés dans les bataillons d'infanterie légère d'Afrique (sauf décision contraire du Ministre de la Guerre, après enquête sur leur conduite depuis leur sortie de prison) les individus qui ont été condamnés correctionnellement à un mois d'emprisonnement au moins pour outrage public à la pudeur, pour délit de vol, escroquerie, abus de confiance ou attentat aux mœurs prévu par l'article 554 du Code pénal.

C’est donc son deuxième vol de raisin qui conduit Louis Lambert dans ces bataillons.

En 1914, à la déclaration de la guerre, les effectifs restent en garnison en Afrique du Nord afin d'y assurer le maintien de l'ordre ; on a formé pour la durée de la guerre, et par prélèvement de compagnies dans les 5 BILA, trois Bataillons de Marche d'Infanterie Légère d'Afrique (BMILA), qui ont été engagés en métropole où ils se sont distingués : les 1er, 2e et 3e BMILA.


En novembre 1931, Pierre Mac Orlan sous le titre « L’esprit de corps » parlera des Joyeux : « Joyeux, ces enfants perdus qui ne sont pas des soldats punis, mais des soldats, tout simplement, réunis dans un corps spécial pour des raisons qui appartiennent à la vie civile. Pendant la guerre, ceux que l’on nomme les  « Bat d’Af » (ils s’appellent, en réalité, des chasseurs d’Infanterie légère) se comportèrent vaillamment. Le 3e de marche qui attaqua Rancourt en 1916, en sait quelque chose. Le bataillon portait la fourragère – du moins, les chasseurs blessés qui se trouvaient avec moi à l’hôpital l’affirmaient. L’esprit de corps chez ces bataillonnaires était exclusif. En dehors des chasseurs légers, comme ils disaient, il n’y avait rien : si ce n’est la division marocaine et la Légion qui en faisait partie avec le 1er Régiment d’Infanterie coloniale. Les Joyeux se montraient très fiers de leur uniforme. La plupart d’entre eux gardaient précieusement leur ancien képi, tout semblable à celui de l’Infanterie de ligne, mais avec le passepoil jonquille. Les bataillons aimaient la fantaisie et leur clique était bien la plus joyeuse de toutes les cliques. Somme toute, le passage au bataillon avait créé chez ces jeunes gens un idéal qui les détournait provisoirement de l’attaque nocturne et du vagabondage spécial. Cela tenait à ce fait que les chasseurs légers possédaient la conviction – et jusqu’au sacrifice de leur vie – qu’ils étaient des hommes exceptionnels. Tout l’esprit de corps consiste à donner aux soldats par des insignes qui perpétuent la tradition et par la personnalité du commandement, une opinion très nette de leur valeur combative et de leur originalité. Le soldat adore l’originalité et subit toutes les disciplines à la condition qu’elles ne soient pas celles du voisin. Puisque la vie les a conduits là où ils sont soldats pour les fautes qu’ils ont payées, il faut leur redonner l’orgueil de leur bataillon. Si paradoxal que cela puisse paraître, ce sera encore le meilleur souvenir de leur vie. Je connais quelques anciens chasseurs, de ceux qui portèrent les épaulettes à franges vertes ; ceux-là sont prêts à en venir aux mains pour l’honneur de la clique et de la fanfare des agile, des joyeux, des légers et des zéphyrs, ces quatre surnoms désignant, comme bien on pense, les quatre bataillons d’Infanterie légère d’Afrique en 1914 et avant ».


Le 12 septembre 1918, le 2ème BMILA est à Courlandon, dans la Marne, non loin de la vallée de la Vesle. Il participe à la grande contre-attaque destinée à réduire le territoire récemment pris par les Allemands lors de leur grande offensive dite « de la paix ». Louis Lambert fait partie de sa 3ème compagnie.


Voici son JMO :
« 14 septembre – Attaque au Grand Hameau, sur la ligne fosse Brienne, cote 175, cote 180. Le bataillon doit s’emparer du petit bois en équerre vers la fosse Brienne et y installer un peloton de mitrailleurs. La 3ème Cie dispose deux sections en première ligne, une section en réserve. Elle progresse jusqu’à la ligne du chemin de fer où elle est arrêtée par des tirs de mitrailleuses et mitraillettes non détruites. Le commandant de Cie (Lt Bisson) est tué à cet endroit, le Ss-Lt Monnet était déjà tombé. Le commandement de la Cie est pris par le Ss-Lt Pernay qui ne peut rester sur cette position, et devant les pertes énormes de son unité est obligé de retourner à son point de départ. En y arrivant, il est blessé d’une balle au ventre et doit être évacué, laissant le commandement de la Cie à un sous-officier.
Les sections du Bataillon se sont lancées dès le début avec un grand courage et impétuosité et n’ont dû battre en retraite que devant les pertes énormes que leur firent subir les mitrailleuses et mitraillettes boches non détruites par le tir de l’artillerie. Les restes des trois Cies réunies forment une nouvelle Cie sous le commandement du Lt Weisgerber. Cette unité s’établit dans le partie Ouest de la fosse du Diable ».


Louis LAMBERT est tué à l’ennemi dans cette attaque du 14 septembre 1918 à Courlandon (Marne), cote 180. Il figure sur le Monument aux Morts et sur le Livre d’Or d’Anduze, ainsi que sur la stèle de l’église Saint-Etienne.
A suivre…