FOLIE DES HOMMES



Du lundi 12 au dimanche 18 août 1918

MORT DE SES BLESSURES PSYCHIQUES

Louis CHAPTAL
Soldat au 90ème Régiment d’Infanterie
Mort le 30 septembre 1918 à Saint-Egrève (Isère)


Louis CHAPTAL est né le 5 décembre 1876 à Anduze, de Marius et d’Alix née Beaux. Il est cultivateur à Anduze en 1896. Alors qu'il a 20 ans, il est appelé au 11ème régiment de Dragons, libéré en 1900. Vers 1912, il habite Avignon. 



L’armée le rattrape lors de la mobilisation d’août 1914, il y reste jusqu’au 3 mars 1918, date de sa libération pour cause de "maladie imputable au service".

Après les Dragons, il a été affecté au Train des équipages, corps servant pour la logistique des armées notamment pour la gestion des transports ferroviaires. L’ironie veut qu’il ait été condamné en 1903 par le tribunal correctionnel d’Alès à 5 francs d’amende pour infraction à la loi sur la police des chemins de fer…

Louis CHAPTAL est affecté successivement :
- au 15ème escadron territorial du Train du 7 août 1914 au 7 novembre 1916,
- au 3ème escadron du Train du 7 novembre 1916 au 2 mai 1917,
- au 115ème régiment d’Infanterie Territoriale du 2 mai 1917 au 28 novembre 1917,
- au 65ème régiment d’Infanterie Territoriale du 28 novembre 1917 jusqu’à une date indéterminée,
- au 90ème Régiment d’Infanterie, probablement jusqu’au 3 mars 1918, date à laquelle il est interné à l’asile d’aliénés de Saint-Egrève (Isère).

La folie chez les Poilus a longtemps été occultée par l’histoire officielle de la guerre 14-18. Elle a pourtant concerné des centaines de milliers de soldats, dont des dizaines de milliers ont été internés, comme Louis Chaptal. Une très intéressante étude de Marie Derrien, de l’Université de Savoie Mont-Blanc a été publiée sur ce sujet sous le titre "Les fous de guerre, une histoire redécouverte", dans le cadre de la fondation du Centenaire, en voici de larges extraits :

« Pendant longtemps, les historiens qui se sont intéressés aux troubles mentaux dont ont souffert les soldats de la Grande Guerre se sont appuyés sur les ouvrages et les articles publiés dans la presse spécialisée par des neurologues et des psychiatres. Si les apports de telles sources ne sont pas négligeables, seule l'étude des archives asilaires, en particulier des dossiers nominatifs établis dans les hôpitaux, permet de faire entendre la voix des poilus internés et de restituer leurs expériences individuelles.
Depuis une dizaine d'années, l'assouplissement des conditions d'accès à ces archives a donné aux chercheurs les moyens de fonder leurs travaux sur les écrits de ces soldats ainsi que sur les témoignages qu'ils ont livrés aux médecins et aux infirmiers. Dans leur diversité, ces récits inédits racontent comment la guerre bouleverse les existences, aussi bien près de la ligne de feu que loin des combats.



En effet, si l'attention des psychiatres s'est essentiellement focalisée sur les soldats dont les troubles se sont déclarés sur le champ de bataille, les sources produites dans les hôpitaux montrent que tous les « aliénés militaires » n'ont pas fait l'expérience du front : les premiers soldats internés arrivent dans les asiles quelques jours à peine après l'entrée en guerre du pays, parfois avant même d'avoir revêtu l'uniforme. Les certificats établis par les médecins font état de l'angoisse profonde qui a saisi ces appelés dès les premiers jours d'août 1914, attestant du désespoir que suscite chez ces hommes l'annonce de la mobilisation.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont tenté de trouver du réconfort et du courage dans la boisson : d'après les docteurs Georges Dumas et Henri Aimé, 31 des 131 militaires entrés au Val-de-Grâce en août 1914 sont arrivés ivres, tandis qu'à la Maison nationale de Charenton, 30 % des militaires internés à la même période présentent des symptômes d'intoxication alcoolique. Certains dissimulent des souffrances indicibles sous l'apparence d'un patriotisme exacerbé. L'attitude du caporal Léon O. par exemple semble à première vue accréditer le mythe du départ « la fleur au fusil » puisque lorsqu'il quitte son foyer le 4 août, après avoir cousu le portrait de Guillaume II au fond de son pantalon, il paraît plein d'enthousiasme. « Je suis parti à la guerre avec une gaieté qui a pu laisser croire à ma femme que j'étais heureux de la quitter », affirme-t-il d'ailleurs quelques semaines plus tard aux médecins du Val-de-Grâce qu'il supplie de le laisser rentrer dans sa famille.
Si aucun chiffre précis ne peut être avancé à ce jour, les recherches les plus récentes ont établi que des dizaines de milliers de soldats français ont rejoint, durant le conflit, ces poilus qui, les premiers, ont pris le chemin de l'asile dès août 1914. Sans avoir cherché à quantifier précisément ce phénomène, les psychiatres ont signalé l'afflux de soldats dans les asiles. Certes, la plupart ont, dans un premier temps, minimisé le problème : « les cas de démences provoquées par la guerre, tant dans la population civile que parmi les militaires, sont jusqu'à présent très rares », déclare par exemple le professeur Gilbert Ballet dans les colonnes du journal le 15 novembre 1914.

Cependant, dès le mois d'octobre 1915, le médecin-major Paul Chavigny constate que le nombre de cas d'aliénation mentale s'accroît. Plus que l'enterrement des hommes dans les tranchées, c'est selon lui «l'emploi des explosifs à forte charge » qui provoque depuis janvier 1915 l'augmentation des « accidents psychiques». En 1920, les docteurs Jacques Baruk et René Bessière affirment quant à eux que l'année 1917, marquée par l'échec de l'offensive Nivelle, a constitué le « moment critique » de la guerre. En réalité, plusieurs travaux ont montré que les pics d'entrées observés dans les asiles peuvent être mis en relation avec les grandes batailles conduites par l'armée française. Ainsi, les principaux afflux de militaires se produisent dans le sillage des batailles de Verdun, de la Somme, du Chemin des Dames puis des offensives allemandes du printemps 1918 ainsi que des contre-offensives alliées. L'impact des combats sur la santé mentale des soldats est donc clairement perceptible. Les batailles qui font le plus de morts, de disparus et de prisonniers, et durant lesquelles le nombre de suicides augmente, sont également celles qui provoquent le plus de " blessures psychiques ".
Que racontent les hommes qui, évacués du front, finissent par être internés dans les asiles d'aliénés ? Lorsqu'ils sont interrogés par les médecins, c'est le plus souvent en s'appuyant sur leur expérience sensorielle qu'ils décrivent la guerre. L'univers sonore des combats occupe une place prépondérante dans leurs récits, tout comme dans les lettres et les témoignages des combattants en général. Outre le vacarme des bombardements de masse, régulièrement évoqué, l'emploi d'armes nouvelles frappe particulièrement l'esprit de ces soldats.
La mort, avec laquelle il faut cohabiter au front, est également omniprésente dans leurs discours. Jean T. explique qu'il a cessé de se nourrir en septembre 1914, car « les aliments le dégoûtaient à la vue des cadavres des chevaux et des belligérants ». Yves N. entend grincer les dents des morts et ne peut faire cesser leur bruit. Les soldats évoquent enfin comment ils se confrontent chaque jour ou presque à l'éventualité de leur propre mort. Ce moment est très précisément décrit par Louis X., pris d'un malaise après un assaut « comme [s'il allait] mourir, comme quelqu'un qui allait être tout de suite foudroyé », ou encore le caporal Victor E., incapable de manger ou de dormir, persuadé qu'il sera tué lors de la prochaine attaque. Certains pensent d'ailleurs être déjà morts, tel le soldat Wilfrid E. qui affirme qu'on lui a enlevé son âme pendant la nuit et qu'il va être enterré.


Otto Dix - La guerre
Pour ces hommes, le temps de la bataille n'est pas seulement un paroxysme de tension terrible mais ponctuel : il envahit le quotidien. Tels que leurs dossiers les donnent à voir, les soldats internés semblent privés des « échappées mentales » qui permettent à certains combattants de retrouver, l'espace de quelques heures, une forme de paix intérieure. Pour eux, le danger revêt de multiples visages, y compris celui des « camarades », ces étrangers avec lesquels il faut pourtant vivre dans une grande promiscuité, et des chefs, dont ils craignent le pouvoir. Ainsi le soldat Louis X., qui refuse tout d'abord d'expliquer au médecin ce qui l'effrayait sur le front, finit par déclarer : « J'avais peur des gradés, de tous les gradés».



Le sentiment diffus que l'on risque de faire « quelque chose de mal » est fréquemment exprimé par les patients internés à la Maison nationale de Charenton. Le danger vient alors de soi-même et naît de l'incapacité, réelle ou supposée, à remplir son rôle. Les hommes du rang s'inquiètent de ne pas appliquer correctement les ordres reçus, tandis que les gradés craignent de ne pas parvenir à se maîtriser devant leurs hommes, tel le lieutenant Alexandre de E. qui, pris de crises de larmes, ne peut commander sa section. Nombreux sont les militaires internés qui craignent d'être coupables d'une faute grave ou de s'être mis dans l'illégalité, affirment avoir comparu devant le conseil de guerre ou devoir y répondre de leurs actes prochainement. La récurrence de ce motif dans les délires des malades est d'ailleurs relevée par le professeur Jean Lépine, chef du centre de psychiatrie de la 14° région militaire, qui constate qu'il vient la plupart du temps avant la peur de l'ennemi.


Otto Dix - La guerre
Même les permissions, considérées comme bénéfiques pour le moral des combattants, ont sur certains soldats des effets psychiques dévastateurs. Un certificat établi au sujet d'Albert E. indique que ce « bon soldat » a eu « une émotion violente » le 7 juillet 1916 en apprenant qu'on venait de lui accorder une permission qu'il n'espérait pas et s'est mis à divaguer.
Par ailleurs, le retour au front, issue inévitable de la permission, constitue à lui seul une épreuve parfois insurmontable. Maxime Laignel-Lavastine, chef du centre des psychonévroses installé à l'asile de Maison-Blanche (Seine), souligne en mai 1917 la fréquence des crises hystériques, à la gare de l'Est, au moment du départ des permissionnaires pour rejoindre leur secteur ».


Louis CHAPTAL est entré à l’asile d’aliénés de Saint-Egrève (Isère) le 3 mars 1918, il y décède le 30 septembre 1918. On note que sa fiche officielle de décès note pudiquement, mais mensongèrement, qu’il est mort « à son domicile » de « maladie contractée au service ».

Il figure sur le Monument aux morts d’Anduze. Il est déclaré Mort pour la France, bien qu’il ne figure pas sur le Livre d’Or d’Anduze.
A suivre…



Références de l’article de Marie Derrien :