UN DU CENT-SIX-TROIS



Du lundi 5 au dimanche 11 août 1918

LA VIE D’UN SIMPLE SOLDAT

Abel-Louis CONILHÈRE
Soldat au 163ème Régiment d’Infanterie
Mort le 29 septembre 1918 à Anduze


Abel-Louis CONILHÈRE est né le 27 décembre 1879 à Boisset-Gaujac, d’Abel et de Clémence née Crespin. Il est cordonnier à Anduze, marié à Suzanne Brès. Sa fiche matricule ne figure pas aux archives du Gard, on ne peut donc pas suivre son parcours militaire. Sa dernière affectation a été le 163ème Régiment d’Infanterie.

Il se trouve qu’un autre soldat de ce régiment, Marius Malavialle, a publié après la guerre un livre de mémoires intitulé « Un du Cent-six-trois (163e infanterie) : pendant la guerre 1914-1918 ».


A défaut de connaître le parcours personnel d’Abel-Louis Conilhère, voici la préface de son camarade de combat :
« A mes enfants et petits-enfants, je dédie ce livre.
On n'y trouvera que le résumé de la vie d'un simple soldat d'Infanterie ayant participé à la vie commune de tous les Poilus, de la mobilisation jusqu'à la capture pendant la bataille de Verdun.
J'écris ces lignes d'après mon carnet de route tenu à jour, ce qui me permet de revivre par la pensée les diverses péripéties de la Grande Tourmente 1914-1918. Mes récits et anecdotes sont simples, sans fards. N'étant pas écrivain, je ne saurais décrire les batailles auxquelles je n'ai d'ailleurs participé qu'en millionième pion sur l'échiquier mondial. D'autres, plus qualifiés que moi-même l'ont fait, et pas mal de livres ont paru à ce sujet.
Mes récits sont véridiques ; seuls certains noms de camarades tués à l'ennemi ont été changés, afin de ne faire aucune peine aux familles des disparus qui pourraient reconnaître un des leurs.
Les faits relatés ne concernent qu'un horizon très restreint, que ce soit pendant la guerre de mouvement ou la guerre de tranchées. En effet, dans la première, ce n'est qu'une mince portion de terrain qui se déroule devant soi, dans la deuxième, le poilu ne voit que de la terre, des barbelés, et son horizon est limité à quelques centaines de mètres carrés, souvent encore moins.
J'ai souffert, comme d'ailleurs tous mes camarades, de tous les maux qu'engendre la guerre. J'ai participé à la guerre de mouvement à partir du mois d'août 1914, assauts à la baïonnette, avances, replis. Ces derniers, nombreux, hélas ! talonnés par un ennemi supérieur en nombre et en matériel. Que de jours sans repos ! Que de kilomètres de replis ! Un sac de treize kilos tirant sur les épaules et meurtrissant les chairs obligeait parfois à faire abandon de ce précieux fardeau contenant tout notre avoir. J'ai couché à la belle étoile, sous le froid, la pluie, dans la boue. J'ai mangé (Il faut vivre jusqu'à quand ?) des aliments plus ou moins avariés, reliquat du ravitaillement jeté dans les fossés par les Services de l'Intendance. Mon tour de garde venait aussi dans les tranchées et souvent au « Poste d'écoute », à quelques mètres seulement de l'ennemi, dans un trou plein d'eau, avec échange de grenades, de part et d'autres, et cela pendant douze heures de nuit.
J'ai creusé, tel un terrassier, remué des milliers de mètres cubes de terre ou de fange, dans des conditions d'inconfort inhumain, cela afin de me mettre à l'abri de la mitraille qui faisait rage.
J'ai assisté à des attaques de tranchées où les pertes, dans les deux camps, se chiffraient par centaines de morts ou blessés, tout cela pour quelques mètres de terrain qu'on devait abandonner quelques jours plus tard, et parfois, le jour même.


J'ai vécu dans la boue, comme des loques de terre, prisonnier de cette fange qui s'agglutinait à vos pieds, vous retenant au sol comme pour vous y ensevelir. Que les heures paraissaient longues, quel cruel supplice pour des enfants de vingt ans ! Et ces morts jonchant le sol de la tranchée, défigurés, hachés, hideux, des corps sans tête, d'autres amputés de plusieurs membres, tous ces malheureux crispés, les yeux jaillissant des orbites, un rictus ressemblant à d'affreuses grimaces et laissant supposer que même morts, ils vivaient encore leurs souffrances.
Que dire de ces indésirables (les poux), dont notre corps était saturé ? C'était des démangeaisons à se gratter avec le fourreau de la baïonnette, sans pouvoir s'en débarrasser. Les infiniment petits presque invisibles, donnaient autant de souci aux combattants et, quand l'irritation atteignait son apogée, il ne restait plus qu'à poser la culotte et à griller toutes les coutures à l'aide du briquet : un grésillement, une odeur de roussi, et les poux brûlaient ainsi que la culotte.
Des bombardements sans relâche dans nos tranchées vous laissaient à l'état de loques humaines ; l'odeur de la poudre desséchait les gosiers, et seul remède à cela, lécher les rondins humides des abris pour calmer la soif. Dans les moments critiques, nous eussions volontiers donné un de nos membres pour sortir de l'enfer.
J'ai fait des corvées de ravitaillement, en tant que volontaire afin de permettre l'accession aux tranchées de ravitaillement qu'on prenait alors à plusieurs kilomètres à l'arrière, dans un terrain battu par l'artillerie où la boue collait aux chaussures, rendant ainsi la marche très pénible. Cinq à six heures étaient nécessaires pour l'aller et retour, et encore bien content quand la corvée arrivait au complet ! Combien de fois n'ai-je pas assisté à la « morgue » (cabane en roseaux) à la reconnaissance d'un camarade tué à l'ennemi, parmi tant d'autres inconnus ; cela afin de lui donner une modeste sépulture. Enveloppé dans une toile de tente, quelques branches dessus, quarante centimètres de terre, une croix de bois, son nom, son régiment, le képi sur la croix, voilà ses funérailles. Certains camarades, malgré leurs pieds gelés n'étaient pas exempts de tranchées, le major ne les ayant pas jugés propres à l'évacuation. Tout cela, en somme, résume bien la vie des Combattants, pauvres hères voués à la chair à canon, alors que d'autres, devenus « tabous », dans certains dépôts, faisaient la noce à l'arrière ».


Le 163e régiment d'infanterie, originaire des Alpes-Maritimes, s'est illustré dans les combats dans la zone de Flirey de mars 1915 à mars 1916 et va subir de nombreux assauts allemands lors de l'offensive de la Marne. Placé devant le bois de Mortmare, il tient la ligne de défense en direction de Toul et de Verdun. Pendant 11 mois le régiment niçois s'y fait massacrer afin de contenir l'ennemi.
             
La campagne de Flirey compte parmi les combats les plus pénibles du fait de sa longueur, de son intensité et des pertes provoquées par une artillerie monstrueuse. La souffrance des poilus atteint son apogée dans cette guerre des tranchées au point que des mutineries éclatent. Le régiment perd 40 officiers. 3 600 hommes sont tués, blessés ou disparus, soit la quasi-totalité de son effectif.

Un épisode tragique va marquer l'histoire de Flirey. Afin d'enlever les derniers 200 m de tranchées occupées par les Allemands au cœur de cette première ligne de front devant Flirey, une attaque doit avoir lieu le 19 avril 1915 au niveau du bois de Mortmare. Tiré au sort, le deuxième bataillon du 163e régiment d'infanterie doit mener la charge, malgré la fatigue et sa participation aux combats du début du mois d'avril lors de l'offensive de la Woëvre. Au signal de l'attaque, les 250 hommes de la compagnie refusent d'attaquer. Ce refus d'obéissance entraîne la constitution d'un conseil de guerre. Deux caporaux et trois soldats comparaissent, deux ont été tirés au sort et trois désignés par leur hiérarchie parce qu’ils sont, dit-on, affiliés au syndicat de la CGT dans le civil.
                     
Le 20 avril 1915, quatre des cinq inculpés sont fusillés près de Manonville. Il s'agit du caporal Antoine Morange, du soldat Félix François Louis Baudy, du soldat Henri Jean Presbot, du soldat François Fontanaud. Ils seront réhabilités en juin 1934.


On ignore les épisodes auxquels Abel-Louis CONILHÈRE a assisté ou participé, faute de connaître son parcours. Il a été réformé n° 1 en raison d'une blessure invalidante du fait de guerre, mais on ne sait pas à quelle date. Il est mort le 29 septembre 1918, à son domicile place du Marché à Anduze. Il figure sur le Monument aux morts et sur le Livre d’Or d’Anduze. La mention "Mort pour la France" a été ajoutée en marge de son acte de décès le 2 juillet 1920.
A suivre…

On peut lire l’ouvrage de Marius Malavialle sur le site de la BnF :

Nous avons déjà évoqué l’histoire de l’un des soldats de ce 163 RI, Fabre Eloi-Félix-Eugène, passé par les armes le 26 août 1915. Voir la semaine 56 de ce blog.