GRIPPE ESPAGNOLE


Du lundi 26 août au dimanche 1er septembre 1918

DES ARTILLEURS DANS L’IMPOSSIBILITE DE SERVIR



Raoul-Scipion GUERIN
Canonnier au 289ème Régiment d’Artillerie Lourde
Mort le 12 octobre 1918 en ambulance à Souhesmes (Meuse)


Raoul-Scipion GUERIN est né le 28 mars 1892 à Anduze, de Scipion et d’Hortense-Antoinette née Méry. En 1912, il est chauffeur d’autos. En 1914, d’abord réformé à cause d’une otite grave, il est incorporé le 20 octobre dans une section d’infirmiers militaires. Il passe au 19ème régiment d’artillerie le 7 juillet 1917, puis quelques jours plus tard, le 22 juillet, il rejoint le 83ème régiment d’artillerie lourde, et enfin le 289ème régiment d’artillerie lourde à tracteur (RALT) le 12 décembre.

La compétence de ce soldat en matière de conduite des autos a certainement joué dans ses affectations.

L’artillerie lourde avait été dédaignée avant 1914. Malgré le cri d’alarme de quelques hommes politiques, elle n’était, avant la mobilisation, qu’une artillerie embryonnaire. Il nous fallait un matériel extrêmement mobile, de portée plus grande que notre 75, d’une puissance de destruction plus considérable, ni trop lourd ni trop léger ; un matériel tirant vite et bien. Il nous fallait une grande portée et une extrême mobilité. Les progrès réalisés dans la construction automobile permettaient l’espoir de fonder une artillerie dont les pièces seraient trainées par de petits tracteurs légers. Les essais commencèrent en 1912. Le canon adopté comme répondant aux exigences du moment fut le 120 L. de Bange avec congolis. Les tracteurs furent des tracteurs Panhard. Le premier régiment qui fut doté de ce matériel, avec avant-train modifié pour la traction automobile, fut le 4e régiment d’artillerie lourde mobile, l’ancêtre du 81e R.A.L.


Le 289ème Régiment d’Artillerie Lourde est créé à la fin décembre 1917. Il est engagé dans divers combats à partir d’avril 1918, notamment sur l’Aisne et dans le Soissonnais. Il est ensuite mis à la disposition des troupes américaines, qu’il soutient en septembre dans la région de Verdun.



L’historique du 289 RALT note  « Au cours des opérations qui se sont déroulées dans cette dernière période, le Régiment, placé sous les ordres du Lieutenant-Colonel Bedel, a donné le plus bel exemple de ce que peut une troupe instruite, disciplinée et pleine d'entrain ; malgré les difficultés résultant de son matériel, en particulier en ce qui concerne les 5e et 6e Groupes, les changements de positions demandés ont été effectués dans le plus bref délai, souvent. dans une seule nuit et cela dans un terrain tourmenté, chaotique, où tout mouvement était rendu difficile non seulement par suite du feu de l'ennemi, mais encore par la nature même du sol et le grand nombre de convois qui y circulaient jour et nuit. L'ouverture du feu à temps voulu, la souplesse et la précision des tirs exécutés par les Batteries valurent du reste au Chef de Corps une nouvelle lettre de félicitations que lui adressa le Major-Général Mac-Glacolin, de l'Armée américaine ».

Mais le 7 octobre 1918, cet historique ajoute : « Le Groupe décimé par la grippe, et dans l'impossibilité matérielle de servir ses pièces, est renvoyé à la Queue de Malat ».

En effet l’état numérique des morts et blessés du Régiment est le suivant :
Morts sur la position : 19
Morts des suites de leurs blessures : 6
Morts dans une formation sanitaire : 53
Morts dans toutes autres conditions : 13
Total : 91

La grippe dont il s’agit est la grippe dite espagnole.


Apparemment originaire du Kansas au USA, ce virus serait passé du canard au porc, puis à l'humain, ou selon une hypothèse également controversée, directement de l'oiseau à l'humain. Il a gagné rapidement les États-Unis, où le virus aurait muté pour devenir plus mortel. Cette nouvelle souche est trente fois plus mortelle que les grippes communes avec 3% des malades. Elle devient une pandémie, lorsqu'elle passe des États-Unis à l'Europe, puis dans le monde entier par les échanges entre les métropoles européennes et leurs colonies.

Elle fit environ 408 000 morts en France, mais la censure de guerre en limita l'écho, les journaux annonçant une nouvelle épidémie en Espagne, pays neutre et donc moins censuré, alors que l'épidémie faisait déjà ses ravages en France. Des chroniqueurs allèrent même jusqu’à affirmer que cette grippe était une alliée pour la France, car elle touchait nombre de soldats allemands, tout en épargnant les Français…

L’épidémie se déroula essentiellement durant l'hiver 1918-1919, avec 1 milliard de malades dans le monde, et 20 à 40 millions de morts, selon de premières estimations très imprécises faute de statistiques établies à l'époque. Au début du 21ème siècle, le maximum de la fourchette reste imprécis mais a été porté à 50-100 millions, après intégration des évaluations rétrospectives concernant les pays asiatiques, africains et sud-américains.

En quelques mois, la pandémie fit plus de victimes que la Première Guerre mondiale qui se terminait cette même année 1918 ; certains pays seront encore touchés en 1919.

La progression du virus fut foudroyante : des foyers d'infection furent localisés dans plusieurs pays et continents à la fois en moins de trois mois, et de part et d'autre des États-Unis en sept jours à peine. Localement, deux voire trois vagues se sont succédé, qui semblent liées au développement des transports par bateau et rail notamment, et plus particulièrement au transport de troupes.

Le JMO du 289 RALT note au jour le jour la progression de l’épidémie, en nommant le mal par son nom :




Raoul-Scipion GUERIN est mort le 12 octobre 1918 à 4 heures dans l’ambulance 10/22 à Souhesmes-la-Grande (Meuse), des suites de maladie contractée en service (officiellement déclarée comme une congestion grippale). Il est inhumé dans la commune de Souhesmes-Rampont, à la Nécropole nationale Fontaine Routon, tombe 240 B. Il figure sur le Monument aux Morts et sur le Livre d’Or d’Anduze.

Son frère cadet de deux ans, Elie-David, était mort lui aussi au front le 7 janvier 1915 (voir semaine 23 de ce blog).

A suivre…