ABSURDE



Du lundi 7 au dimanche 13 octobre 1918

UN SURVIVANT ABATTU APRÈS L’ARMISTICE

Arthur-Victorin RICHARD
Soldat au 142ème Régiment d’Infanterie
Mort le 27 novembre 1918 à Langensalza (Allemagne)


Arthur-Victorin RICHARD est né le 14 septembre 1889 à Pont-de-Montvers (Lozère), de Victor et de Malvina née Gauch. Il est cultivateur. En 1907, il est condamné par le tribunal correctionnel de Florac à 30 francs d’amende avec sursis pour chasse au fusil sans permis. En 1910, il est déclaré soutien de famille, son père étant décédé.

Il est incorporé dans le 142ème Régiment d’Infanterie de Mende le 4 octobre 1910, il y reste jusqu’au 25 septembre 1912 et se retire à Vialas (Lozère). Il est indiqué comme résidant à Tornac à partir du 28 octobre 1913.


Rappelé à l’activité le 2 août 1914 dans le même régiment, il se trouve dans la région du fort de Vaux en juin 2016. Ce fort est l’une des dernières défenses protégeant Verdun. Il est tenu par environ 250 hommes, sous le commandement du commandant Raynal. Le 142 RI forme l’essentiel de ces troupes.

Voici le récit de ces jours de juin 1916 pour le 142 RI, tels que rapportés par son historique : « Dans la nuit du 2 juin, le bombardement redouble de violence. Au petit jour, un cri retentit : « Aux armes! » Le 2ème peloton de la 7ème compagnie se précipite hors du fort, le capitaine en tête. Une terrible, lutte à la grenade s'engage aussitôt, les combattants tombent tour à tour... Il ne reste plus que l'aspirant Buffet pour rallier les éléments de la 7ème compagnie décimée, les ramener dans le fort par le coffre nord-est et en défendre l'ouverture.
L'ennemi s'est glissé jusqu'à la contrescarpe et veut pénétrer dans les fossés que lui interdisent la pièce de 120 et le canon-revolver placés dans le coffre double. Le soir, le fort est à demi entouré, l'ennemi est dans les fossés nord et ouest, il est maître de deux coffres et essaie de progresser dans les escaliers.


De l'observatoire Est, on aperçoit les Allemands se presser dans les tranchées de Besançon et de Belfort, où ses renforts arrivent sans cesse. Des groupes montent sur le plateau, chargés de sacs de grenades et d'outils de parc. Des tirailleurs, prenant d'enfilade les boyaux de communication, tirent sur les coureurs qui vont à la Laufée, et les officiers font installer des mitrailleuses sur la superstructure du fort pour battre le côté sud. Notre artillerie est toujours silencieuse malgré nos appels.
De l'observatoire, il serait facile d'arrêter ce travail et de balayer l'ennemi... Hélas ! Le créneau est trop petit pour permettre le passage d'un canon de fusil, encore moins d'une mitrailleuse, et l'observateur doit rester impuissant. Les sorties, deviennent impossibles.
Cependant, tout est devenu calme dans les couloirs. Ce silence intrigue le lieutenant Fargues de la 6ème compagnie, une patrouille se glisse avec précaution jusqu'au coffre simple nord-est ; le barrage allemand est démoli, ses défenseurs gisent au sol, tués par les grenades qui ont mis le feu à leurs vêtements. Un nouveau barrage est immédiatement établi ; mais, du dehors, les Allemands l'accablent de grenades et obligent à se reculer jusqu'au pied de l'escalier qui monte à l'observatoire. La lutte reprend alors avec rage à l'intérieur du fort, les barrages sautent à chaque instant ; il faut refluer dans le couloir, en deçà des cabinets d'aisance.




Dans la demi-obscurité du fort, la vie devient intenable, la fumée, la poudre, l'odeur des cadavres empestent l'air, qui devient irrespirable; les lampes à pétrole ne brûlent qu'avec peine ; les défenseurs, harassés, ne peuvent se reposer qu'allongés sur le ciment, le fusil à la main ; la ration d'eau est insuffisante pour calmer la fièvre des combattants et des blessés.
Mais les Allemands réussissent à faire sauter le barrage de l'observatoire, lançant des jets de fumée et de liquides enflammés qui surprennent et font reculer les défenseurs.
De nouveau, les Boches font sauter le barrage à coups de pétards, et les mitrailleuses installées dans les couloirs arrêtent leur progression. Le gaz et la fumée envahissent tout le fort, la garnison pour respirer, est obligée de déblinder les fenêtres.
La sortie (4 et 5 juin). Le fort est maintenant complètement isolé, les pigeons voyageurs ont tous été successivement lâchés pour demander des secours et signaler la position critique des défenseurs. La liaison optique n'existe plus, Souville ne répond pas aux appels, et deux signaleurs volontaires sortent, le 4, à 22 heures, pour essayer de rétablir la communication.
La provision d'eau va s'épuiser et la ration encore réduite tombe à un quart de litre. Aussi le commandant du fort, le chef de bataillon Raynal, songe-t-il à faire sortir tout ce qui ne fait pas régulièrement partie de la garnison.
La sortie doit être faite à la nuit tombante, soit en sautant des fenêtres de la caserne, soit par le coffre sud-ouest qui n'appartient pas à l'ennemi. Les détachements partiront ensemble, par paquets de 10 à 12, sous la conduite d'un gradé. Des volontaires iront les premiers avertir les lignes de l'intention de la garnison.
L'aspirant Buffet sort le premier, à 1h30, par une brèche découverte à la corne sud-ouest, suivi du caporal-fourier Bordais et du coureur Dujaucourt.
Le bruit de la chute dans les fossés a donné l'éveil aux guetteurs allemands installés sur le fort ; ils lancent des fusées et font feu. Presque aussitôt un tir de barrage effroyable se déclenche sur les bords immédiats du fort. Surpris par le tir à une cinquantaine de mètres des Allemands, les trois fugitifs bondissent de trou d'obus en trou d'obus jusqu'aux lignes françaises, où ils sont reçus par une salve de coups de fusil. A grand-peine, la petite troupe se fait reconnaître, tandis que le bombardement fait rage. On s'explique ; d'autres camarades sont en route, qu'on prenne garde de ne pas les fusiller. Et bientôt un petit groupe saute dans les tranchées. Les autres n'ont pu traverser le barrage, on ne sait ce qu'ils sont devenus. Cette première sortie a échoué, mais, au cours de la nuit du 5, une centaine d'hommes réussit à gagner nos lignes ».

Le 7 juin 1916 à 6 h 30 du matin, le commandant Raynal remet la reddition du fort de Vaux. Attaqués depuis des jours aux lance-flammes, épuisés, blessés, assoiffés, ce sont de véritables fantômes à qui les Allemands rendent les honneurs. Le lendemain, le général Nivelle lance en pure perte une vaine tentative pour reprendre le fort alors que même son état-major n'est pas d'accord. À peine les troupes ont-elles gagné leur position de départ, sous une pluie battante qui remplit d'eau les trous d'obus, qu'elles se retrouvent sous le feu des obusiers de 210 mm ; dix jours de combats inutiles et meurtriers conduisent les Français à renoncer à la reprise de ce fort.

Fait prisonnier le 8 juin dans ces combats, Arthur-Victorin RICHARD est d’abord interné à Ohrdruf (Allemagne Orientale). Puis il transite par divers camps avant d’arriver dans celui de Langensalza (Thuringe - Allemagne).


Le camp de Langensalza compte 12.000 prisonniers dont 6.000 Russes. Logés sous des tentes, à raison de 400 par tente, couchés sur la paille, avec deux couvertures par homme, les conditions de vie sont plus que difficiles. Ecoutons le récit de Paul Lebel sur sa détention dans ce camp : « On couchait sous la tente et on ne mangeait qu’une espèce de ‘ratatouille’ de choux et de betteraves. Là, on ne travaillait pas. Il faisait froid : il pleuvait tout le temps et la terre était si molle que quand on mettait le pied dehors on pouvait plus se ravoir. A Langensalza il y en a beaucoup qui sont tombés malades. Les soldats qui nous gardaient n’étaient pas trop sévères. Ils ne voulaient pas se mettre mal avec nous parce qu’ils faisaient du commerce malgré la défense : ils nous procuraient du tabac, du chocolat qu’ils achetaient en ville et nous revendaient un bon prix. Ce qui nous faisait marronner, c’est qu’on ne savait pas ce qui passait en France. De temps en temps on nous donnait une carte pour écrire chez nous et on nous distribuait des lettres et des mandats que les parents nous envoyaient ».

Mais ce camp est surtout connu pour avoir été le théâtre d’un événement dramatique survenu après l’armistice : la mort de 15 soldats le 27 novembre 1918, soit 16 jours après l’armistice.


Le journal le Temps du 17 décembre 1918 publie : « Le massacre des prisonniers français à Langensalza : On se souvient que quelques jours après la signature de l'armistice, des prisonniers de guerre français auraient été tués, d'autres blessés dans le camp de Langensalza par leurs gardiens allemands. Le gouvernement français, à la suite de cet acte odieux, avait prié le gouvernement espagnol chargé de nos intérêts en Allemagne de faire une enquête. Le rapport des délégués de l'ambassade espagnole à Berlin sur leur visite au camp de Langensalza vient d'être transmis au gouvernement français. Comme on le sait, dix Français ont été assassinés et huit blessés. Voici le nom des tués : Jean Paoli, Albert Gibaut, Jean Arabeyre, Arthur Richard, Léopold Belmas, Abomez Cognon, Maurice Lagneau, Henri Choquet, Jean-Baptiste Prunet, Jean Privat ».

Télégramme de la Croix-Rouge donnant la liste des tués dans la fusillade de Langensalza
Le journal le Temps du 10 janvier 1919 revient sur cette affaire : « Parmi les 2 050 prisonniers français rapatriés au Havre par le vapeur brésilien Alegrete, arrivé de Rotterdam, 1 000 étaient internés au camp de Langensalza. On sait que le camp de Langensalza fut le théâtre, le 27 novembre dernier, de l'assassinat de plusieurs prisonniers français par les sentinelles allemandes. D'après les déclarations des rapatriés, cette scène de sauvagerie ne fut justifiée par aucun acte répréhensible de la part de nos prisonniers. Lorsque les sentinelles allemandes tirèrent sur eux, ils allaient simplement chercher du bois pour reconstituer leur théâtre : seize des nôtres furent tués et seize autres blessés ».

Après de nombreuses rumeurs, c’est finalement le carnet du soldat Marcel Decugniere (21ème RI), témoin direct ayant vécu ces événements, qui nous informe le mieux, voilà son récit de cette journée : « Après le 11 novembre, la discipline s’étant relâchée partout et pensant être plus vite rapatriés, presque tous ces prisonniers disséminés refluèrent au camp qui rapidement a été saturé. Manque de nourriture, manque de chauffage. Or il faisait très froid. Aussi le comité Français du camp avait-il demandé et obtenu du commandant du camp l’autorisation de disposer et de démolir les baraques en bois (pour l’utiliser comme chauffage) qui nous appartenaient et que nous avions nous-mêmes édifiées pour faire un théâtre où nous donnions des représentations. Mais il y a eu une telle ruée qu’en 2 heures de temps, il ne restait plus le moindre morceau de bois de la baraque. Alors les prisonniers se sont attaqués aux baraques allemandes qui furent rapidement démolies.
Malgré l’objurgation et les menaces des sentinelles, le pillage continuait et aussi les invectives vis-à-vis des gardes. Ces derniers affolés, ont pris peur et tout à coup, TAC…TAC….TAC… de tous les miradors du camp les mitrailleuses se sont mises à cracher au hasard… Je me promenais alors avec Lucien et nous nous sommes rapidement jetés à plat ventre par terre. Puis silence total. Résultat : 16 tués, 25 blessés, plus 2 décès par la suite. Les victimes sont toutes de nationalité française, anglaise, italienne, russe. Étant au Lazaret j’ai vu dans une pièce tous ces cadavres, complètement nus, entassés les uns sur les autres et portant juste un petit carton d’identité autour du poignet. Peu de temps après il y eut une enquête de la Croix Rouge et visites d’officiels neutres ».

Arthur-Victorin RICHARD fait donc partie de ces morts. Après d’atroces combats, après deux ans de camps, il a été tué dans des circonstances absurdes, seize jours après la fin de la guerre… Ses documents militaires portent discrètement la mention suivante : « Mort en captivité - Soldat dévoué et courageux mort des suites de ses blessures le 27 novembre 1918 ». Sa mort est officiellement reconnue le 7 avril 1919 et transcrite à Tornac le 29 novembre 1920.

Il a été décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre avec étoile de bronze (JO du 13/12/1920). Il est inhumé dans la Nécropole nationale des prisonniers de guerre français de Sarrebourg (Moselle), tombe 5521.

Il figure à Tornac sur le Monument aux morts ainsi que sur le Livre d'Or du ministère des pensions. Il figure aussi en d’autres lieux de mémoire :
- Le Pont-de-Montvert – Plaque commémorative du Temple
- Saint-Maurice-de-Ventalon – Plaque commémorative du Temple
- Vialas – Plaque commémorative du Temple et Monument aux morts
- Sarrebourg - Nécropole nationale des prisonniers de guerre français.
A suivre…


Source du carnet du soldat Decugnère :