CAMPS



Du lundi 14 au dimanche 20 octobre 1918


 BLESSÉ, PUIS QUATRE ANS EN CAPTIVITÉ


Fernand COURET

Chasseur au 24ème Régiment de Chasseurs à pied
Mort le 30 décembre 1918 à Bayreuth (Allemagne)



Fernand COURET est né le 9 août 1892 à Thoiras, fils d’Augustin et de Louise-Valentine née Brunet. En 1912, il est cultivateur. Il est incorporé en 1913 au 24ème Régiment de Chasseurs à pied, la mobilisation l’y trouve en août 1914. Parti en campagne le 10 août, il disparaît le 20 du même mois à Zommange (Lorraine).

Première bataille de Lorraine : Dieuze-Morhange
Historique du régiment :
« Aux derniers jours de juillet 1914, au moment où s'assombrissait le ciel diplomatique, et où, d'heure en heure, plus pressante et plus brutale, la menace austro-allemande, savamment outillée, se faisait sentir, le 24e bataillon, en manœuvre dans les Alpes, regagnait précipitamment son dépôt de Villefranche-sur-Mer.
Les opérations de la mobilisation furent rapidement menées ; le 8 août, le bataillon était dirigé sur la frontière. Au milieu de l'enthousiasme indescriptible d'une, foule brillamment et étonnamment confiante, au milieu des vivats et des acclamations, sous les fleurs, avec à sa tête le lieutenant-colonel Papillon-Bonnôt, chef adoré et brillant tacticien, le 24e bataillon traversait Villefranche et Nice, ovationné par toute une population en délire.
Le 24e, à Dieuze, a pour objectif les collines à l'est de Bidestroff. A peine nos éléments de tête touchaient-ils ce village, que ce dernier est violemment bombardé par l'artillerie allemande, puis par l'artillerie française ; une vive fusillade arrête notre progression. Nos pertes sont sensibles (plus de 600 tués, blessés et disparus) ».


Les ordres du général de Castelnau pour le 18 août, prescrivaient à la 2e Armée de venir border la Seille, « les Corps d'Armée se disposant, chacun dans leur zone, en vue de l'offensive à poursuivre ultérieurement, et faisant en conséquence occuper par leurs éléments avancés les débouchés de la rive droite de la rivière » (Ordre général d'opérations n° 23, du 17 août).
Le 18 août, une partie du groupe des bataillons alpins (20e et 24e bataillons) pénètre momentanément dans Dieuze, évacué par l'ennemi. Les avant-gardes des chasseurs poussent même jusqu'aux abords de Zommange et de Vergaville. Mais le Commandant de la 29e division ne fait pas occuper Dieuze, par crainte des tirs de l'artillerie allemande, signalée près de Vergaville. Le 15e Corps reste sans avancer au sud de la Seille, entre la corne nord de l'Etang de Lindre et Marsal. Sa droite a d'ailleurs eu la veille de grosses fatigues à endurer, lors de sa progression dans le terrain marécageux sur lequel s'étendent les inondations de l'étang de Lindre.
Plus à l'ouest, les Allemands sont fortement retranchés dans la forêt de Brides et Koking, et menaceraient sur sa gauche le 15e Corps s'il voulait se porter vers Bensdorf.


La retraite. - Le soir va tomber. Le général de Castelnau se résigne à ordonner la retraite. Il prescrit, à 16 h. 30, au 20e Corps de se maintenir le plus longtemps possible sur la tête de pont de Château-Salins, afin que soit couvert le recul de la 2e Armée. La 68e division est mise, en conséquence, à la disposition du général Foch. Le 16e Corps reçoit l'ordre de se retirer en direction générale de Lunéville, le 15e Corps en direction de Dombasle. Le 20e Corps se reportera en direction de Saint-Nicolas, après l'accomplissement de sa mission. Le groupe des divisions de réserve va organiser en hâte les défenses du Grand-Couronné.

Fernand COURET fait partie des disparus à Zommange du 24ème bataillon de Chasseurs Alpins. 

Liste des disparus du 24 BCA
En fait il a été blessé, comme en témoigne une fiche de la Croix-Rouge Internationale :


Plusieurs témoignages rapportent ce que furent les soins aux blessés dans le cadre de cette première bataille. Rapport du médecin aide-major de 2e classe Laux, mobilisé au 81e régiment d’infanterie : « J’ai été pris le 20 août 1914 au poste de secours que, sur l’ordre du commandant du bataillon j’avais installé à l’église de Zommange, (près de Dieuze). Une progression rapide des Allemands sur notre gauche nous coupa la retraite. Les Allemands ont tiré sur nous à ce moment là malgré le drapeau de la Croix-Rouge : deux soldats (alpins) ont été massacrés dans une maison, quoique blessés et sans armes. Les Allemands me permirent de continuer à soigner les blessés et d’ensevelir les morts. Du 22 au 25 août 1914, j’ai pansé des blessés à la caserne des chevaux de Dieuze. Le 25, je fus avec cinq médecins et quelques soldats enfermés dans un wagon de marchandise et dirigé sur Ingolstadt (Allemagne) ».

Un peu plus loin, à Pévange, l’unique poste de secours du 4e BCP dirigé par le médecin-chef du bataillon, le médecin major de 2e classe Grenot est déployé, vite encombré de blessés et ne peut se replier : « Rapport de Monsieur le Médecin-major de 2e classe Grenot, chef de service au 4e bataillon de chasseurs à pied, au sujet des circonstances qui ont accompagné la prise du personnel médical du bataillon et se sont déroulées pendant le temps de sa captivité.
Le 20 août 1914, à la suite du combat de Pevange (Lorraine annexée), le poste de secours du 4e BCP, installé par ordre du chef de bataillon au centre du village, ne put se replier à temps et tomba aux mains de l’ennemi. Le village fut occupé par une compagnie du 17e régiment d’infanterie, dont les hommes entourèrent aussitôt les médecins et infirmiers, sans commettre d’ailleurs de brutalité. Ils pillèrent les sacs des blessés et en jetèrent le contenu sur le sol ; ils mirent également la main sur un certain nombre d’objets appartenant aux médecins. Ils ne se livrèrent à aucun acte de violence sur les blessés. Le capitaine qui commandait se montra correct et donna toutes facilités au personnel pour assurer les soins aux blessés. A plusieurs reprises cependant, des infirmiers et brancardiers furent requis pour aider à enterrer les morts. Sur l’initiative des médecins du bataillon, quelques habitants apportèrent du bouillon aux blessés privés jusque là de toute nourriture.

Les évacuations se firent pendant la journée du 21, assez lentement d’ailleurs, parce que maintes fois les voitures requises à cet effet furent employées par les allemands pour transporter des cadavres. Le soir de ce même jour, une section emmena baïonnette au canon le dernier convoi de blessés accompagné du personnel médical. Après une assez longue attente dans la cour d’une des casernes de Morhange, un médecin militaire allemand arriva, se fit ouvrir les paniers de la voiture médicale et fit main basse sur une partie du matériel et des médicaments (boîte chirurgicale, teinture d’iode, alcool, thé, etc.). Puis les blessés et le personnel furent conduits dans des écuries voisines, où se trouvaient encore des chevaux. Les médecins du bataillon ayant fait remarquer qu’un séjour en un pareil lieu offrait de sérieux dangers pour les blessés, un médecin allemand répondit qu’il trouvait, quant à lui, le local excellent. Force fut donc aux blessés et au personnel de s’étendre sur une litière non renouvelée. C’est très vraisemblablement à ce séjour prolongé dans des écuries, où les blessés étaient littéralement dévorés par les mouches, que doit être attribué le nombre relativement considérable de plaies vermineuses constatées. Le lendemain matin, le personnel infirmier et brancardier fut emmené pour une destination inconnue, malgré les protestations des médecins qui restèrent seuls pour assurer le renouvellement des pansements.

Blessés français prisonniers à Dieuze
Les blessés ne recevaient toujours aucune nourriture ; des habitants de Morhange eurent connaissance de cette détresse et apportèrent dans la journée quelques provisions. Ils ne purent renouveler leur visite, affirmant qu’ils se rendraient suspects en agissant ainsi et qu’ils étaient surveillés de près. Le soir enfin, des voitures emmenèrent dans une autre caserne les blessés qui furent déposés dans la cour, où se trouvaient déjà réunis pêle-mêle un assez grand nombre de blessés français. Le service médical ne s’effectua qu’assez difficilement, car les médecins ne pouvaient circuler sans être surveillés et suivis par des hommes baïonnette au canon, qui interdisaient de s’éloigner un tant soit peu des bâtiments.

Un soir, survint un incident qui faillit entraîner des conséquences incalculables. Vers 9 heures, un coup de feu retentit dans la cour où se trouvaient encore de nombreux blessés, coup de feu suivi de gémissements et d’un violent tumulte. On apprit que des soldats, sous un prétexte qui ne pût être suffisamment éclairci, venaient de tirer à bout portant sur un blessé français. Les français furent alors accusés de rébellion. Les blessés qui ne pouvaient marcher furent arrachés des places qu’ils occupaient et traînés brutalement au milieu de la cour, sans égard pour leurs blessures ; les médecins furent également arrachés de leurs chambres et conduits près des blessés. Au milieu du bruit et des vociférations, tout le monde fut fouillé. Un certain nombre d’objets appartenant à des médecins disparurent ; on enleva à tous couteaux et canifs. Beaucoup de blessés furent dépouillés de leur porte-monnaie. Un commandant menaçait de faire tirer « dans le tas ». Grâce à l’intervention d’un médecin allemand qui sortait de la cantine et qui fut attiré par le tumulte, celui-ci fut apaisé et peu à peu tout rentra dans un calme relatif.

Les médecins furent prévenus qu’au moindre geste suspect de leur part, quelques-uns d’entre eux seraient fusillés. Interdiction formelle fut faite de sortir des bâtiments une fois la nuit tombée. A chaque instant le service médical fut entravé du fait de la réquisition d’infirmiers et de brancardiers qu’on emmenait au dehors creuser des fosses et enterrer des morts. La nourriture fut détestable, repoussante même pendant les premiers jours : deux brancardiers désignés pour aider les cuisiniers allemands avouèrent avoir maintes fois, retiré avant le repas, des monceaux de mouches tombées dans le liquide graisseux et noirâtre qui servait de bouillon pour les officiers et les blessés ».

La plupart des prisonniers (dont les blessés transportables) sont internés à Graffenwöhr. La Bavière avait préparé trois camps destinés à recevoir les prisonniers: le camp de Lechfeld (3 600 prisonniers), le camp de Hammelburg (4 470 prisonniers) et enfin celui de Grafenwöhr (10 500 prisonniers).


Sur ce camp, voici le témoignage du médecin auxiliaire Bovier du 4e régiment du Génie, fait prisonnier lors de la bataille de Sarrebourg, qui séjourna à Grafenwöhr du 20 août 1914 au 18 juillet 1915 : « Les prisonniers étaient pourvus d'une paillasse. Jusqu'au mois de février 1915, ces paillasses reposaient sur le béton, ou mieux, sur la boue recouvrant celui-ci, tellement les écuries étaient humides. En février une commission de délégués des nations neutres passa et ordonna l'exécution d'isolateurs pour les paillasses, ce qui fut fait. La nourriture, mauvaise dès le début, devint très rapidement exécrable et très insuffisante. Heureusement les envois de France purent bientôt arriver et lorsque j'ai quitté le camp, les hommes se nourrissaient presque exclusivement des colis de provisions qu’ils recevaient.

Distribution du pain à Grafenwöhr. A droite du chariot, un chasseur avec son béret
En général, les corvées n'étaient pas très pénibles, d'ailleurs beaucoup de prisonniers n'y allaient que d’une façon intermittente. Je n’ai eu que très rarement à constater de mauvais traitements, et lorsque cela s'est produit, nos réclamations ne sont jamais restées vaines. Tous les hommes ont été vaccinés par nous contre la fièvre typhoïde et le choléra au moyen de cultures tuées par la chaleur et additionnées d'une petite quantité d'acide phénique (pour la typhoïde, 3 injections sous-cutanées ; 1/2 cc, 1cc, 1cc - pour le choléra, 2 injections : I/2 cc et I cc.) Les allemands n'admettent pas de contre-indications. Tous les prisonniers, blessés et malades ont été vaccinés.

Prisonniers français arrivant à Grafenwöhr
J'ajouterai que le moral des prisonniers, malgré des vagues d'ennui inévitables, est bon ; il est entretenu dans cet état par la lecture fréquente de journaux français relativement récents arrivés en cachette dans des colis, par le déclin visible des forces allemandes, et surtout par un sentiment de supériorité individuelle dont il est impossible de ne pas s’apercevoir quand on voit un Français à côté d'un Allemand ».

Fait exceptionnel : un monument, réalisé par le sculpteur prisonnier Fredy STOLL, élève de Rodin, soldat du 347e RI, était érigé au camp de prisonniers de Grafenwöhr. Après la guerre il fut déplacé en 1928 à la nécropole de Sarrebourg.

Le Monument aux Morts du camp de Grafenwöhr, dû au sculpteur Freddy Stoll
Le camp de Grafenwöhr a été fermé en avril 1918 et les prisonniers transférés à Bayreuth. Cet immense camp contenait des prisonniers de guerre français, russes, anglais, roumains, italiens, américains, ainsi que de nombreux civils (femmes et enfants) et même un asile d'aliénés.

Le camp de Bayreuth avait sa propre monnaie
Fernand COURET meurt en captivité le 31 décembre 1918, à l’hôpital des prisonniers de guerre (Reslazaret) de Bayreuth II (Allemagne). Il figure sur le Monument aux Morts d’Anduze, ainsi que sur son Livre d’Or et sur la stèle de l’église Saint-Etienne. Son décès ne sera officiellement acté qu'en septembre 1920.
Il a été inhumé dans la Nécropole nationale des prisonniers de guerre français de Sarrebourg, tombe 6831. 


Créée en 1922, au Nord-Ouest de Sarrebourg, cette nécropole rassemble les corps de 13 226 prisonniers de guerre exhumés des cimetières provisoires de camps disséminés sur le territoire allemand et rapatriés en France.

A suivre…



Sources :
Sur les événements de Zommange, voir la très complète monographie publiée sur Calaméo par Jean-Claude Guillaume : « Ils sont morts à Zommange en août 1914 ». Voir : https://fr.calameo.com/read/001054848f6a1b25f969d